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(I)VAN LE TERRIBLE

Van the man, période blues brothers avec chapeau, costard et lunettes, circa 2007

Il est le seul de sa génération à sortir encore des albums intéressants, avec peut-être Neil Young. Le dernier, Three chords and the truth (trois accords et la vérité), s’écoute avec plaisir de bout en bout. 14 morceaux signés de lui où on retrouve presque le grand Van Morrison des années 60 et 70. Sa voix puissante tenant à la fois du mantra, du soliloque et du flamenco, son folk-jazz (il a inventé l’idiome) et son génie poétique. Biographie express.

Ivan Morrison naît à Belfast en septembre 1945 d’une famille de protestants calvinistes. Tout le monde l’appellera Van. Le père est ouvrier sur les chantiers navals et il part seul tenter sa chance aux États-Unis, délaissant sa famille, ce que Van, âgé de 7 ans, considérera comme un lâchage ; un père qui rentrera la queue basse au bercail ; le rêve américain n’était pas fait pour lui. Il peut remercier toutefois ses parents de lui avoir donné les rudiments d’une pratique musicale et, très jeune, il va se familiariser avec l’harmonica, la guitare et le saxophone. Adolescent, il devient une recrue prisée des petites formations de Belfast encore partagées entre rhythm’n’blues et Skiffle (une forme musicale rudimentaire inspirée du country’n’western). Il écoute toutes les musiques populaires américaines sur Voice of America (Radio Free Europe) et commence à se passionner pour le blues et le jazz.

Mais le jeune Van a déjà de l’ambition et il joint un groupe semi-professionnel du nom des Monarchs qui fera vite le circuit des grands ports allemands aux fins de distraire les forces d’occupation américaines encore en place. Les Monarchs sont payés en nature, en bières et parfois en rapports non tarifés avec les prostituées associées aux clubs miteux où ils se produisent. Pour certains groupes, les Beatles par exemple, ces tournées hanséatiques constituent la voix royale pour le succès. Pas pour les Monarchs, qui finissent par se séparer après un seul 45 tours ignoré.

Retour à Belfast où Van crée son propre groupe, Them (Eux), avec quelques copains dont il ne serait pas utile de citer les noms tant la composition du groupe sera fluctuante. C’est au Maritime Hotel de Belfast, un foyer pour officiers de marine, que Them fait ses armes, amenant un public de plus en plus nombreux en jouant des classiques du blues et du rhythm’n’blues, avec déjà quelques compositions personnelles dont les excellents « Story Of Them » et « Philosophy » qui paraîtront plus tard, sur des compilations.

Them rencontre le producteur américain Bert Berns et signe chez Decca, le label classique qui a loupé les Beatles et accepte maintenant tout ce qui passe. Berns est déjà l’auteur de quelques hits et il compose « Gloria » avec Van Morrison. Un classique de la pop music, sauf qu’il faudra du temps pour en faire un hit alors que leur reprise du « Baby Please Don’t Go » de Big Joe Williams se classe dans le Top 10. Them s’inscrit dans le peloton de tête du British Beat et s’installe à Londres où les concerts houleux succèdent aux scandales. Van et son acolyte Billy Harrison, le guitariste, se font une spécialité de donner des interviews provocatrices qui mettent les journalistes mâles sur les nerfs et laissent leurs consœurs au bord des larmes. Ils ont une réputation de groupe sans concession, détestant les snobs et le cirque du Swinging London, mal embouchés et agressifs. De vrais méchants, des voyous.

Leur premier album (The angry young them) se vend bien, incluant d’autres hits (« Mystic Eyes ») de leur cru, mais on remarque surtout la rudesse de leurs reprises des classiques de Jimmy Reed ou de John Lee Hooker. Ils sont à rapprocher de ce Chuck’n’Bo (de Chuck Berry et Bo Diddley) qui font le succès des Pretty Things ou des Animals. Them again (Encore eux!) sort début 66 et l’accueil est plus froid malgré quelques belles réussites comme cette reprise du « Don’t Look Back » de John Lee Hooker ou du « It’s All Over Now Baby Blue » de Dylan, sans parler de « I Can Only Give You Everything » (composition de leurs managers et producteurs Tom Scott et Pat Coulder), un uppercut musical qui fera un hit par les Troggs.

Après une tournée américaine et quelques concerts aux Whisky-A-Gogo de Los Angeles où Van s’initie aux hallucinogènes, le retour à Londres est pénible et l’abus du LSD a conduit le leader de Them à la dépression. Ce ne sera pas la dernière. Il quitte le groupe et laisse se multiplier les Them, chaque ex membre se sentant habiliter à user de l’appellation (ça donnera quand même les Belfast Gypsies, le Them des frères Mc Auley, produits par Kim Fowley). Van Morrison s’habille en dandy, picole, multiplie les frasques et lit assidûment son compatriote Yeats et tous les romantiques anglais. La métamorphose opère et le chanteur rugueux devient poète inspiré. C’est le début de sa deuxième vie.

Bert Berns a quitté Londres pour retrouver New York et y fonder Bang Records, un nouveau label pop. Van Morrison le contacte et lui chante au téléphone quelques mesures de « Brown Eyed Girl », sa nouvelle composition. Van s’en va l’enregistrer à New York et n’entend plus parler de rien avant qu’on lui annonce que le disque s’est classé à la 8° place du Billboard. Cette fois c’est sérieux.

Bert Berns meurt d’une crise cardiaque au moment où Van doit venir promouvoir son disque à New York. L’ex chanteur de Them s’est amouraché d’une jeune fille en fleur du nom de Janet Planet et s’installe avec elle dans la grosse pomme. Bang Records est en fait un label, comme Roulette et d’autres, détenu par des pontes de la mafia qui ont vu le potentiel commercial de la pop music. Van Morrison veut les quitter, mais le couple subira des mesures de rétorsion de la part des sbires des patrons qui se disputent la succession. Un premier album solo sort chez Bang en 1967 (Blow your mind), avec notamment son hit et une chanson bouleversante, « T.B Sheets » qui évoque une amie morte de tuberculose. Van et Janet quittent New York et vont s’établir à Manchester (Massachusetts), avant Woodstock (État de New York où il fraie avec le Band d’après Dylan) puis d’opter au final pour San Francisco (San Feliz exactement) et le soleil californien.

Avec des musiciens de jazz, Van Morrison sort le fabuleux Astral Weeks pour Warner Bros. Un disque insensé qui mettra du temps à être compris : mélange subtil et ouaté de folk et de jazz charriant une poésie tellurique et lyrique aux multiples références mystiques et ésotériques. On est en septembre 1968 et le disque (avec des classiques de la pop que deviendront « Madame George », « Sweet Thing » ou « Cypress Avenue ») fait de Van une sorte de barde hippie autour duquel un culte païen commence à prendre naissance. Il fascine, mais prend peur et en revient à des albums au style plus classique, mélange de blues et de country : Moondance (1969) avec le hit éponyme, « V.M, his band and the street choir avec « Domino » (1970) Tupelo honey avec « Moonshine Whiskey » (1970) sont autant de succès mérités mais, si les textes restent éblouissants, on serait en peine d’y retrouver les fulgurances musicales d’Astral Weeks.

On ne les retrouvera qu’en 1972 avec Saint-Dominic’s preview, un album presque parfait de bout en bout, de cet hommage à Jackie Wilson (« Jackie Wilson Said ») à une longue suite au lyrisme échevelé qui renoue avec le génie (si le mot n’était galvaudé) poétique du grand Van (« Listen To The Lion »).

Quelques bonnes surprises encore avec Hard nose the highway (1973), le double live It’s too late to stop now (1974) et cet autre album dont on ne le croyait plus capable, Veedon fleece, où Van continue son introspection psychique et son « steam of consciousness » rodé par son compatriote James Joyce. Il aborde maintenant, même si métaphoriquement, la guerre civile irlandaise en déplorant son incroyable violence mais sans jamais choisir son camp. Van Morrison a quand même été traumatisé dans sa jeunesse par un pasteur protestant du nom de Ian Paisley qui se félicitait de la mort du pape Jean XXIII en qui il voyait l’antéchrist… Et puis, Van s’est toujours senti lié avec l’Angleterre et son histoire. La politique le désespère. Même s’il en parle peu, c’est un mystique qui cherche un syncrétisme parfait entre les religions révélées et les philosophies orientales, le tout saupoudré des croyances et mythologies celtes. Compliqué. Surtout si on y ajoute un zeste de scientologie, n’a-t-il pas dédié un de ces disques (sûrement le plus mauvais) à Ron L. Hubbard, auteur médiocre de science-fiction et pape de l’église de scientologie. Van, en assoiffé d’absolu, se cherchera partout des gourous, même si sa profession de foi sera longtemps No guru, no method, no teacher (titre de l’un de ses albums), il ne s’en tournera pas moins vers l’anthroposophie d’un Rudolf Steiner, entre autres guides spirituels. Une nature tourmentée.

Van Morrison s’efface peu à peu avec des albums qui vont du moyen au médiocre et il faut attendre Irish heartbeat (1988), enregistré avec ses potes des Chieftains, pour le voir revenir en force avec des classiques folk irlandais qu’il chante avec conviction. C’est loin d’être fini pour lui, et il va sortir régulièrement des albums ratés et d’autres fabuleux, comme ceEnlightments (1990), Hymns to the silence(1991) ou encore le splendide Magic Time (2005). Van retourne à Belfast en triomphateur, lui que la presse nord-irlandaise brocarde en parlant des « chiens fous » ingrats, le trio formé par les fils prodigues du pays : Van bien sûr, George Best, ailier virevoltant de Manchester Utd, et un champion de billard du nom de John Higgins.

À noter que Van Morrison mettra toujours un point d’honneur à remettre au premier plan les idoles de son adolescence, collaborations avec Lonnie Donegan, Georgie Fame, Acker Bilck, Mose Allison, John Lee Hooker, Linda Gail Lewis (la sœur de Jerry Lee) ou encore Cliff Richard. Depuis quelques années, il nous sort un album tous les six mois avec des reprises, des morceaux en public et des compositions nouvelles souvent inspirées musicalement, même si la poésie étincelante des grands albums n’est plus vraiment là. Van The Man, surnommé aussi par ses copains du Band Le cow-boy de Belfast, est bien parti pour être le dernier des mohicans, le dernier des grands de son exceptionnelle génération toujours en exercice et, surtout, toujours passionnant.

L’Irlande aura donné au monde Jonathan Swift, W.B Yeats, Oscar Wilde, James Joyce, Samuel Beckett…Et Van Morrison. « Magic celtic » Van, le dernier des bardes, le dernier prophète.

Pour aller plus loin, je vous renvoie à ma biographie (la seule en français sauf erreur)  : Van Morrison / Quand le poète saoul engueulait l’univers (Camion Blanc – 2018)

8 avril 2021

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