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HACKING JUSTICE : ASSANGE EN HIVER

Assange et Garzon, photo Le Soir, avec leur aimable autorisation

Le titre a été choisi par euphonie avec un célèbre roman d’Antoine Blondin qui a donné un film fameux de Henri Verneuil, où les dialogues d’Audiard font mouche. À priori rien à voir donc, si ce n’est un petit effet comique recherché. Rien à voir ? Pas tout à fait. Antoine Fouquet, le personnage de Blondin, était rendu à une triste solitude dans un milieu qui lui était hostile et il ne pouvait s’en libérer que par l’amitié, le rêve et la fantaisie. Espérons que c’est ce qui restera à Julian Assange après voir vu le magistral documentaire à lui consacré par Clara Lopez Rubio et Juan Pancorbo, lesquels décrivent un acharnement d’États qui confine à la chasse à l’homme. Un homme qui s’honore d’informer ses concitoyens, même sur des sujets où on voudrait nous faire croire qu’il vaudrait mieux se taire. Un film citoyen !

C’est l’histoire d’un journaliste australien nommé Julian Assange et, comme Edward Snowden ou Bradley Manning, il a subi les foudres d’une justice particulièrement aveugle pour avoir informé ses contemporains sur les exactions de l’armée américaine dans les différents théâtres de guerre où elle était engagée. Snowden, pour sa part, s’est contenté de révéler les exactions de la NSA et la surveillance dont font l’objet les citoyens américains.

Le film commence par des manifestations devant l’ambassade d’Équateur à Londres et on nous montre des rangées de lettres et de chiffres, des lignes de code qui servent à décrypter des textes, des messages, de l’information.

Assange, avec Wikileaks – un organe d’information participatif en ligne qui se propose de décrypter et de soumettre au grand public des informations jugées confidentielles par les politiques et les galonnés – est d’abord arrêté à Stockholm sous des accusations de viols. Deux femmes auraient porté plainte contre lui pour des faits commis lors d’un précédent séjour.

Assange nie les accusations, tout juste admet-il des attouchements librement consentis, mais une procureure, une dénommée Marianne Ny, instruit l’affaire avec zèle et Assange se retrouve en liberté surveillée dans l’attente de connaître les charges qui pèsent sur lui. Or, la dame tombe malade et Assange est donc retenu sans charges et sans procès. Il doit patienter dans l’antichambre de la justice, une sorte de purgatoire duquel il est prisonnier.

Interviewé plus loin dans le film, un magistrat suédois proclame qu’il n’y a pas de délais entre la détention provisoire et le prononcé des charges. En gros, que cette attente peut durer 10 ou 20 ans si le gouvernement suédois le juge utile. Il ajoute que l’ONU et les droits de l’homme ne prescrivent rien dans ce domaine et que c’est tout à fait légal.

Pendant que Assange poireaute à Stockholm, son confrère Snowden, détenu lui à Hong Kong, est extradé en Russie, accueilli à bras ouverts par les sbires de Poutine. Bradley Manning, lui, est devenu elle et l’analyste militaire est maintenant une femme à la suite d’un traitement aux hormones. C’est Manning qui avait transmis à Wikileaks les documents les plus horribles sur Guantanamo et les exactions qui s’y commettent. Il/elle sera emprisonné-e et, ayant refusé de charger Assange, remis en détention où il/elle fera une tentative de suicide. On peut d’ailleurs s’interroger sur le rôle de Barak Obama durant toute cette période dont les faits couvrent les années de ses mandats (2008 – 2016). Obama, les Démocrates, plus les suspects habituels, FBI, CIA et le complexe militaro-industriel américain.

Mais revenons à Assange, qui quitte Stockholm en 2011, estimant que la plaisanterie suédoise a assez duré. Il se réfugie à Londres, hébergé chez un ami, et les autorités suédoises le réclament à cor et à cris, estimant qu’il devait rester en Suède pour connaître les charges pesant sur lui. La Suède qui lance un mandat d’arrêt international contre lui. Son avocate, Sarah Harrison, rameute des personnalités des droits de l’homme pour mettre en lumière ce qui s’apparente de plus en plus à un acharnement judiciaire.

Parmi ces personnalités, le juge Baltasar Garzon, le magistrat espagnol qui a poursuivi Pinochet à Londres pour crime contre l’humanité ; a défendu des militants de l’ETA alors qu’ils étaient persécutés par l’État espagnol ; a réussi l’extradition de militaires argentins actifs sous les dictatures ; a révélé au monde les dessous de l’opération Condor et, enfin, celui qui s’est attaqué courageusement à Berlusconi. Pour la peine, Garzon a été suspendu de la magistrature pour 11 années par le Tribunal suprême espagnol, l’accusant d’écoutes téléphoniques illégales. Il fallait bien lui faire payer ses abus de pouvoir contre les dictateurs et les affairistes du monde entier. Ce qui fut fait.

Garzon ouvre son agenda et déploie ses réseaux, notamment en Amérique latine où se constitue un pôle actif pour la libération d’Assange. Rafael Correa est encore président de l’Équateur et il accepte de recueillir un Assange traqué à Londres au sein de l’ambassade de son pays. On peut remarquer que l’ambassade d’Équateur à Londres ressemble à un placard à balai, quelques pièces exiguës avec une table au milieu et pas de fenêtres. Assange vit là comme un rat, avec une rangée de bobbies en poste devant l’ambassade et quelques citoyens qui veillent. On soulignera à ce stade le silence assourdissant de la France, la France de Hollande comme celle de Macron qui, malgré les appels, les mises en garde et les protestations, ne lèveront jamais le petit doigt.

Pourtant, Assange va mal, terré dans l’obscurité et en manque d’air et de vitamines. Renata Avila, avocate des droits de l’homme, l’assiste et forme le pôle hispanique avec Garzon, quand une batterie d’avocats anglais parmi les meilleurs font du lobbying auprès des pouvoirs publics pour sa libération. C’est le « working group », le groupe de travail spécialement chargé du plaidoyer pour un homme qui n’a fait que son métier et a pris des risques pour le faire.

On ne s’étonne même pas de voir des politiciens et des journalistes de droite réclamer sa tête et sa mise à mort sur le plateau d’une émission de Fox News. L’un va jusqu’à dire qu’on ne peut pas le supprimer de manière officielle mais qu’une exécution discrète serait la bienvenue. Sa tête est mise à prix.

Lenine Moreno succède à Correa et l’une des premières mesures qu’il prend est de satisfaire aux anglo-saxons et de supprimer la protection diplomatique d’Assange. Asssange, qui s’est marié depuis en est maintenant à visiter les prisons de haute sécurité de Londres, dont celle de Belmarsh. On est en 2018 et, à bout de patience, le gouvernement de Trump demande l’extradition de Assange, sans plus de protection d’aucune sorte. Un procès a lieu et les conclusions du « working group » sont battues en brèche par la justice britannique : Assange devra aller aux États-Unis où il risque la prison à perpétuité (et même plus). Le gouvernement anglais est aux anges à l’annonce de l’extradition et Theresa May clame la bonne nouvelle à ses amis politiques qui expriment de grands « yeah » de soulagement.

Hillary Clinton accusait Wikileaks d’avoir voulu faire gagner Trump en publiant des informations sensibles sur les démocrates. Or, Trump à peine élu, Wikileaks s’empresse de publier des informations sur ses frasques et ses accointances avec Poutine. Quand on pense que la gauche américaine accusait Assange de travailler en sous-main pour les Républicains.

Dans une parfaite concordance des temps, la Suède (tiens donc) clôt le dossier Assange, faute de preuves et Assange ne doit sa non extradition que pour raison de santé. Il est dépressif et en mauvaise santé physique, amaigri et d’une blancheur cadavérique. Il a vieilli prématurément tout au long de ces dix longues années de traque. Son père est interviewé et c’est l’une des séquences les plus émouvantes du film. « Give Peace Assange » (« foutez la paix à Assange) chante-t-on à l’extérieur du palais de justice, reprenant la chanson de Lennon.

Aux dernières nouvelles, les États-Unis insistent pour que soit rendue effective l’extradition, ce à quoi s’opposent toujours les médecins qui l’entourent. La question est : jusqu’à quand ?

Aux toutes dernières nouvelles, l’extradition aurait été autorisée, seul maintenant Boris Johnson pouvant s’y opposer. Bojo en sauveur d’Assange, on peut rêver.

S’ensuit un petit débat avec la douzaine de spectateurs restés après le film. On parle du pouvoir et de l’information, des lanceurs d’alerte à protéger (Irène Frachon ou Antoine Deltour chez nous), des lois européennes sur la protection des secrets d’affaire qui, sous couvert de sauvegarde de la propriété intellectuelle, sont en fait une muselière pour les journalistes et les lanceurs d’alerte. On parle aussi des mouvements sociaux qui risquent de subir le même sort, et le débat a lieu le lendemain du premier tour des élections. Ça ne pouvait pas mieux tomber.

Les solutions ? Toujours les mêmes : l’éducation ; éducation à la presse, aux médias, à la traque des fake news. Savoir identifier ceux qui ont intérêt à nous mentir et avoir suffisamment d’esprit critique pour juger de la qualité d’une information. Vaste programme, mais que faire d’autre ?

Snowden a obtenu de la Russie un titre de résident permanent. Une chance ? En attendant, ils auront détruit la vie de Chelsea Manning et celle de Julian Assange. Who’s next ?

12 avril 2022

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