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PILOTE : D’ASTÉRIX AU MÉTAL HURLANT

Une couverture de Pilote en 1966. Très loin d’Astérix et de Lucky Luke.

Une petite histoire de l’hebdomadaire Pilote, le journal qui « s’amusait à réfléchir » ou, variante, « le journal de l’an 2000 ». On l’a acheté pendant quelques années (de 1966 à 1970, réputées les meilleures). Soit entre les Spirou et Tintin de l’enfance et la découverte des éditions du Square (Charlie Hebdo, mensuel, Hara Kiri et La gueule ouverte). Soit au sortir de l’âge bête et avant de succomber au « gauchisme à la mode » (comme disait ironiquement Jean-Roger Caussimon). Alors voilà : de Goscinny et Uderzo jusqu’aux odyssées science-fictionnesques des Druillet et Moebius. Un petit voyage dans le temps et dans l’espace.

Tous les garçons et les filles de mon âge (air connu) ont eu un jour en main un exemplaire de Pilote, fondé par René Goscinny à l’automne 1959. C’est un dénommé François Clauteaux, patron de presse et publicitaire (Mon savon par exemple), qui lance l’affaire, avec les trois mousquetaires pour la mise en œuvre : le déjà cité Goscinny, Albert Uderzo et un ex rédacteur en chef de Spirou, Jean-Michel Charlier à qui on doit Buck Danny et Les histoires de l’oncle Paul, entre autres. Quelques autres fées se sont penchées sur le berceau de Pilote, dont un ingénieur agronome, Jean Hébrard, et un politicien gaulliste, René Ribière. C’est Georges Dargaud, éditeur spécialisé dans la bande dessinée, qui reprendra le journal en janvier 1961 au nez et à la barbe du belge Dupuis.

Avec Clauteaux comme directeur de la publication, Goscinny comme directeur de la rédaction et Charlier comme premier rédac’ chef, le magazine sort son premier numéro en octobre 1959, avec comme produit d’appel Les aventures d’Astérix le Gaulois, un petit lutin casqué malin comme un singe qui déjoue les plans de l’occupation romaine dans un camp retranché breton qui seul résiste. Son partenaire et ami, Obelix, est un grand gaillard obèse et fort comme un Turc pour avoir abusé de la potion magique du barde Assurancetourix en étant petit. Tout cela est archi-connu et on n’y revient pas. Sauf pour dire que la série connaît le succès dès les premiers numéros de Pilote et qu’elle sera la bande dessinée vedette des années 1960 et 1970, un peu ce que Tintin aura été pour les décennies précédentes.

Rien de bien consistant au début, à part Astérix, à se mettre sous la dent mais, dès le début des années 1960, les dessinateurs les plus originaux vont affluer pour ce qui va vite devenir le journal de référence de la bande dessinée. Un journal qui sera plus destiné, au fil du temps, aux adolescents qu’aux enfants. En attendant, Charlier et Uderzo créent les personnages de Tanguy et Laverdure, deux pilotes de l’armée de l’air dont les aventures seront diffusées à la télévision. Jean Tabary, l’un des piliers du Record où a sévi également Goscinny, signe Dupont de l’Alma, une série loufoque, et le journal se distingue aussi par des articles et interviews de sportifs, scientifiques et autres exemples pour la jeunesse. En plus, des jeux proposés par les grands animateurs radio de l’époque, de Zappy Max à Jean-Paul Rouland ; Rémo Forlani ou Marcel Fort en passant par Pierre Bellemare lui-même (Les enquêtes du professeur Robillard).

En 1961, un dénommé Raymond Joly remplace Clauteaux à la direction et, on l’a vu, Dargaud prend le pouvoir. Le petit Nicolas, de Sempé et Goscinny, fait son apparition et la série quitte les pages de l’hebdo télé belge Moustique pour devenir une valeur sûre de Pilote. Dargaud place ses hommes et un certain Denis Lefèvre-Toussaint devient rédacteur en chef.

Dargaud a le mérite de faire souffler un vent nouveau sur Pilote avec beaucoup de recrutements :  des auteurs américains d’abord, en traduction, le Bob Morane de Henri Vernes, le Grand Duduche de Cabu, Achille Talon de Greg… Plus Mézières et Christin pour Valerian – le premier scénario de science-fiction – Fred (ex Hara Kiri) pour son poétique Le petit cirque et les premières planches de Gir (Jean Giraud déjà auteur de Jerry Spring qui deviendra le grand Moebius). On est en 1963 et le journal est concurrencé par SLC qui fait un carton dans la jeunesse. Pour lutter, Pilote propose des interviews des yéyés et en termine avec ses jeux un peu ringards. Mal lui en prend, car le public de Pilote n’est pas trop attiré par Cloclo ou Johnny.

En 1964, Greg prend les commandes et son Achille Talon au gros pif et aux bretelles voyantes va prendre de plus en plus de place, avec les personnages annexes comme Hilarion Lefuneste, un voisin pénible et exaspérant. Les phylactères sont, chez Greg, aussi volumineux que les dessins car ses personnages sont d’impénitents bavards piqués de philosophie.

En 1965, Pilote porte en sous-titre « le journal d’Astérix et Obélix », car les deux gaulois sont devenus des superstars. Radio Luxembourg diffuse une émission intitulée Pilote et France Inter débite leurs aventures en feuilleton radiophonique, avec les voix de Roger Carel et de Pierre Tornade. C’est Jean Bardin qui est au micro. Bob Morane est maintenant dessiné par Forton, le père des Pieds Nickelés, et Sempé est passé à l’Express, abandonnant son petit Nicolas. Il est temps de faire entrer les quelques dessinateurs qui feront de Pilote le journal préféré des lycéens soixante-huitards. La même année, Goscinny, avec Pierre Dac et Jean Yanne, lance le MOU (Mouvement Ondulatoire Unifié), un parti d’en rire dont va quand même s’inquiéter De Gaulle.

« Mâtin quel journal ! » sera le slogan avec, à l’automne 1965, l’arrivée de Marcel Gotlib, ex dessinateur de Gai Luron dans Vaillant, Pif le chien et la presse communiste pour la jeunesse. Avec Les Dingodossiers puis La rubrique-à-brac, il va tout de suite imprimer sa marque de créateur loufoque et délirant, maniant comme personne les armes de l’absurde et de la dérision. Fred laisse tomber son petit cirque pour Philémon et Mandryka propose ses premières œuvres, qui rendent presque des points à son ami Gotlib.

En 1966, Uderzo se consacre exclusivement à Astérix, dont le succès est colossal, et c’est Jijé qui reprend Tanguy et Laverdure, toujours avec Charlier au scénario. Jijé, c’est Joseph Gilain, un ancien de Spirou dessinateur de Jerry Spring avant le lieutenant Blueberry (avec Gir toujours). Le journal échappe de plus en plus à Dargaud et à Goscinny, et des petits nouveaux font leur apparition, comme Pichard et Lacroix mais, surtout, comme Gébé ou Reiser après la deuxième interdiction de Hara Kiri, à l’été 1966. Cabu est déjà dans la place et continue Duduche. Gébé lance Une plume pour Clovis, chronique nostalgique qui a pour héros un petit vieux banlieusard, et Reiser signe une Histoire de France sur un scénario de Jacques Lob. Après Tanguy et Laverdure viendront Les chevaliers du ciel pour la tradition et des séries de plus en plus déjantées comme Le concombre masqué de Mandryka ou encore Cellulite de Claire Brétécher.

Deux ans plus tard, on demande la tête de Goscinny, jugé trop classique et trop à droite. Les procureurs sont Giraud et Mandryka et l’accusé parle de « procès stalinien ». Autrement, les Dingodossiers deviennent Rubrique-à-brac, tout aussi hilarants et Lucky Luke s’échappe au galop des pages de Spirou pour arriver à Pilote, idem pour Iznogood quittant Record sur son tapis volant. La saison des transferts. Alexis, Solé, Mulatier et Morchoisne (et ses grandes gueules) débarquent quand les grands anciens prennent la porte, maudissant les jeunes contestataires et tous les discours prétentieux sur la B.D 9° art. Ambiance.

En 1970, Pilote devient « le journal qui s’amuse à réfléchir » et Guy Vidal, qui deviendra rédacteur en chef, signe une série avec le dessinateur Antonio Parras, Druillet et Tardi comptent parmi les nouveaux talents et Gir devient définitivement Moebius. Le virage de la science-fiction est pris, avec une nette inclination pour le Space-opera et l’Héroïc fantasy. Mais les éditions du square (Charlie HebdoHara Kiri) viennent concurrencer Pilote, moqué par les gauchistes comme étant le journal des adolescents attardés.

L’histoire, pour nous, peut bien s’arrêter là. On aura encore des talents comme Got, Pétillon, F’Murr ou Forest, en plus de scénaristes talentueux comme Patrice Leconte ou Jean-Pierre Dionnet. Puis viendront les Lauzier et les Veyron, qu’on avoue ne pas adorer. Pilote cessera de paraître en 1989 après avoir fusionné un temps avec les rivaux de Charlie Mensuel.

Goscinny passe la main en 1974 et Vidal prend sa place. Il mourra en 1977 pendant un électrocardiogramme d’effort. Une mort insolite qui aurait pu inspirer un Gotlib. Gotlib qui quitte le navire amiral en 1972, d’abord pour Rock & Folk où il publie son hilarant Hamster jovial, puis il va fonder l’année d’après le désopilant Écho des savanes, premier du nom, avec ses confrères et sœurs Mandryka et Brétécher.

Mandryka restera à l’Écho avant de le revendre pour un journal qui deviendra tout-à-fait autre chose. Gotlib, lui, a fondé Fluide glacial le 1° avril (ça ne s’invente pas) 1975 , avec ses amis Solé, Jacques Diament et Alexis. Une autre histoire avec la nouvelle génération des Goossens et Binet.

Brétécher va fonder Nana tout en restant une star du Nouvel Observateur avec son Agrippine et ses Frustrés. Métal Hurlant, fondé, lui, par Dionnet et Philippe Manoeuvre toujours en 1975, va enrôler plusieurs orphelins transfuges de Pilote, dont Druillet, Moebius, Bilal ou Caza. Là aussi, c’est une toute autre histoire qu’on n’a pas trop envie de raconter, toujours un peu excédé par les ayatollahs de la B.D considérée comme un (neuvième) art.

C’était bien tant que ça restait des petits Mickeys, comme disaient nos parents. A long time ago (and far away from home, comme disait Luke le chanceux).

5 juillet 2022

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