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WILLIAM MORRIS : ARTISTE SOCIALISTE

L’affiche de l’exposition. Très flower power.

Encore une belle exposition au musée de La Piscine à Roubaix. William Morris, mais aussi ses complices du mouvement Arts And Crafts : Ruskin, Burne-Jones et autres Faulkner dont les œuvres sont également exposées. On a aussi appelé ce mouvement Morris & Co, preuve qu’il en était le chef de file. Peinture, dessin, design, littérature, architecture, tapisseries… Morris touche à tout et aussi à la politique, puisqu’il a été le fondateur de la Socialist League qui sera écologiste avant la lettre et plutôt anarchisante. Bref, un artiste complet et un phénomène dont on ne résiste pas à dire quelques mots.

L’exposition n’est pas très grande, un grand panneau qui nous donne les repères biographiques de Morris et quelques salles où on voit des toiles, des dessins et des motifs de tapisserie à la fois de Morris et des peintres cités plus haut. Pas beaucoup d’œuvres et le parcours est vite fait, mais des images inoubliables, des couleurs, des motifs qui attirent le regard avec quelque chose de magique.

À première vue, Morris n’est pas un artiste au sens où on l’entend généralement. C’est plutôt un artisan qui a aussi été un industriel dans le textile. On peut voir dans une salle de l’exposition sa « red house » ou son idéal d’architecture : une sorte de manoir fonctionnel aux lignes sobres où évidemment le rouge domine.

C’est un passionné du Moyen-âge et des légendes médiévales, de Kaamelott à Ivanhoé et on peut admirer dans sa peinture ses portraits de dames des temps jadis comme Guenièvre, Vivianne ou Yseut.

L’art de Morris et de ses amis – à commencer par l’ami de toujours Burne-Jones – remet en question la peinture académique victorienne pour inventer un nouveau style et des formes nouvelles. Une peinture de l’imagination où les peintres se rapprochent de la renaissance italienne et du Quattrocento, préfigurant ainsi l’école les Préraphaélites ou le groupe de Bloomsbury avec des peintres comme Duncan Grant, Vanessa Bell ou Roger Fry mais aussi l’économiste John Maynard Keynes ou l’écrivaine Virginia Woolf.

Le groupe de Bloomsbury et les Préraphaélites avec ses représentations graphiques évanescentes, éthérées, tout en volutes et en fioritures. Tous ces jeunes gens issus des meilleures universités anglaises qui se rejoignaient dans le pacifisme, un certain hédonisme et des idées politiques proches du socialisme ; le tout là aussi dans une critique féroce des mœurs de la bourgeoisie victorienne et de sa pudibonderie hypocrite.

Morris est également un étudiant brillant, sorti du Exceter College et d’Oxford. Très vite, il est happé par la lecture et se passionne pour l’écrivain écossais Walter Scott, un peu l’équivalent d’un Dumas anglais, même si la période est antérieure. Il entame ensuite des études d’architecture au Malborough College et envisage de se faire prêtre anglo-catholique, une variante de l’anglicanisme qui revendique des racines catholiques romaines plutôt que protestantes.

Il fera des études de théologie au prestigieux Exceter College mais renonce à entrer dans les ordres. L’histoire, la littérature, la philosophie et les arts lui tiendront lieu de religions. Il commence à créer des objets de luxe, des beaux meubles et des tapisseries raffinées pour la bourgeoisie victorienne qu’il exècre et découvre en même temps aussi bien Marx et Engels que les socialistes utopistes français comme Charles Fourier ou Étienne Cabet. Des lectures qui le mèneront vers le socialisme et les utopies révolutionnaires.

Il entend démocratiser le bonheur en rendant accessible à la classe ouvrière l’art, le savoir et la culture. Pour lui, la beauté doit être à la portée de tout le monde, et pas seulement d’une caste de bourgeois obtus et égoïstes.

D’abord à l’aile gauche des libéraux, il rejoint les socialistes du SDF (Social Democratic Federation) avant de se rapprocher des socialistes libertaires et des marxistes qui critiquent le réformisme de la SDF. Ce sera donc la Socialist League en 1884 (il a 50 ans) qu’il fonde avec quelques camarades. Il écrira le manifeste de la Socialist League, une organisation qui ne durera que 6 années, ne survivant pas aux rivalités internes et aux querelles de pouvoir sur fond de surveillance policière.

Mais Morris n’est pas un homme d’appareil, et il parcourt le pays en activiste, tenant meetings et conférences à destination des classes populaires qu’il entend amener à la politique comme à la culture. Pour lui, la philanthropie des philistins victoriens ne vise qu’à se donner bonne conscience et il en appelle à la lutte pour gagner la guerre que se livrent le travail et le capital et pour améliorer sensiblement la qualité de vie des ouvriers de cette Angleterre de la deuxième révolution industrielle qui ne connaissent que la misère et l’oppression. Il veut faire des ouvriers d’usine des artisans qui auraient accès, grâce à l’apprentissage des arts appliqués, à l’éducation et aux loisirs.

Il défend les communs et remet en question la propriété, dénonçant le gaspillage général dans une société d’abondance où les inégalités sociales pourraient être comblées par la volonté politique. Il est plus proche des socialistes utopistes que des marxistes, tout en étant l’un des premiers écologistes, même si le mot ne désigne pas encore les mêmes réalités qu’aujourd’hui. Comme Marx, il est conscient que l’humanité livre combat contre la nature, l’exploitant sans vergogne et il alerte déjà sur les menaces que font peser cette surexploitation sur la planète et sur la vie humaine.

L’ultra-gauche et en particulier les situationnistes redécouvriront Morris comme penseur politique prônant dès le milieu du XIX° siècle un écologisme radical.

Outre l’artiste plastique, l’artisan, l’architecte et le politique, il y a aussi la littérature comme dimension essentielle du personnage.

Morris a commencé par écrire des poèmes ayant souvent pour thème les mythologies, qu’elles soient grecques, romaines ou germaniques. Il a aussi traduit nombre d’œuvres comme l’Énéide ou l’Odyssée et, avec un érudit islandais bibliothécaire à Cambridge du nom de Eirickr Magnusson, des légendes et des sagas nordiques, ce qui nous amène à son travail d’écrivain, ou plutôt de romancier à l’aise également pour faire naître des mondes et des cosmogonies.

Sans avoir encore rien lu de lui, on ne peut qu’être attirés par les titres de ses livres : Le pays creux (The hollow land) ; Nouvelles de nulle part ; La plaine étincelante ; La source au bout du monde ; Le lac aux îles enchantées ou encore La forêt au-delà du monde. Un monde féerique et onirique qui aurait inspiré des auteurs comme Tolkien ou J.K Rawling et son Harry Potter, quoi qu’on fasse la différence entre l’un et l’autre. J’en profite pour dire à quel point ce genre de littérature, échappé des livres et triomphant sur nos écrans, commence sérieusement à me courir avec leurs clichés et leur imagerie fascisto-médiévale et surtout leur insondable niaiserie. C’est devenu quasiment le Walt Disney moderne, sauf que les productions Disney existent toujours et on n’est pas loin de la double peine. Fin de la parenthèse, mais il est dommage qu’un auteur aussi original que Tolkien – même avec ses côtés réactionnaires – ne signifie pour beaucoup que ces films criards et finalement vulgaires.

Évidemment, Morris aura été aussi un théoricien et un écrivain politique, laissant des livres qui expliquent sa vision originale du monde. Citons pour mémoire Art and socialism, L’Âge de l’ersatz et autres textes contre la civilisation moderne, publié en français aux très situationnistes éditions de l’encyclopédie des nuisances, Comment nous pourrions vivre ?, préfacé par Serge Latouche ou encore La civilisation et le travail, préfacé par l’Allemand Anselm Jappe qui est un grand spécialiste de Guy Debord, comme par hasard. Morris aura surtout été un penseur du travail et du rapport entre art et socialisme. Il apparaîtra même à certains comme un précurseur de la décroissance, en même temps qu’un pionnier de l’écologie.

On lui doit aussi des essais philosophiques sur l’art qu’il entendait démocratiser et sa grande idée était que la beauté ne devait pas être l’apanage d’une classe sociale mais devait être accessible à tous. Contre l’art élitiste donc, pour un art universel. Parmi ses textes, il y a bien sûr ce Manifeste de la Socialist League de 1885.

Voilà, on s’attendait à des émotions artistiques et esthétiques, et on a rencontré un homme exceptionnel, contemporain de Turner mais ayant préféré la lumière, l’espoir et l’utopie à l’obscurité, au crépuscule et aux ténèbres. Quand les rejetons de la bourgeoisie pouvaient aussi être de grands humanistes. À voir les Boris Johnson ou les Nigel Farage, c’était avant.

William Morris, l’art dans tout. Jusqu’au 8 janvier 2023. La piscine, Roubaix

26 novembre 2022

Comments:

Merci Didier. Si j’habitais dans le coin, je voudrais absolument visiter cette expo après avoir lu cette introduction. Pour le moment, je me contenterai donc d’une visualisation virtuelle que les détails fournis aident à former dans mon esprit.

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