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COSA NOSTRA BECK OLA

Avec les Yardbirds, à l’extrême-gauche. Jimmy Page à ses côtés. Photo wikipedia.

On aurait pu tout aussi bien parler de David Crosby, l’oyseau de Laurel Canyon, mais son ego, ses addictions et ses frasques ont plus marqué l’époque que son talent, en dépit de quelques fulgurances. On préfère écrire sur Jeff Beck, mon guitariste favori tous genres confondus (oui je sais, Hendrix ; ou je sais, Clapton). Beck était non seulement un guitariste virtuose frotté du blues le plus pur, il avait aussi l’attitude, l’arrogance et le panache. Un Punk avant la lettre. Rétrospective entre des Yardbirds flamboyants et une douzaine d’albums en solo dispensables. Sans compter de multiples collaborations avec les plus grands. Jeff’s story !

Pour l’état civil, il est né le 24 juin 1944 à Wallington, au sud de Londres et est décédé le 10 janvier dernier dans sa résidence du Sussex. Comme ça c’est fait. Très tôt, il se passionne pour la guitare électrique en rejouant les chorus de Eddie Cochran ou de Cliff Gallup, le guitariste de Gene Vincent. L’instrument le fascine et, en bricoleur de génie, il sera l’inventeur de techniques (feedback, reverb, échos…) qui feront la fortune des guitaristes pop, mais on n’en est pas encore là.

Il fait une Art-school à Wimbledon, une de ces écoles où on se passionne plus pour le blues chicagoan que pour l’histoire de l’art. Beck forme différents groupes qui n’ont pas marqué l’histoire du rock, avant de devenir le guitariste des Tridents, un groupe qui aura l’insigne honneur d’accompagner Screamin’ Lord Sutch sur scène. Il est aussi musicien de studio à ses heures, chez Decca ou Pye, ce qui lui vaut de faire la connaissance d’un vieux routier des sessions, un certain Jimmy Page qui l’adoube et le recommande aux Yardbirds quand ceux-ci, lâchés par Clapton en plein envol, cherchent un guitariste. Keith Relf, leur chanteur, avait pensé à Page, mais lui préfère le statut de musicien de studio et il leur a recommandé un jeune collègue rencontré dans les couloirs des studios Decca. Avant d’être le guitariste des Yardbirds, Beck arrondissait ses fins de mois en exerçant les métiers les plus divers, peintre en bâtiment ou jardinier.

Clapton avait quitté le groupe après son premier single à succès, « For Your Love ». Il n’était pas question pour lui de se laisser aller au succès facile de la pop music et son ambition était de célébrer le vrai blues, ce qu’il fera avec le premier album des Bluesbreakers de John Mayall. Avec les Yardbirds, Beck jouera de sa guitare magique sur plusieurs singles à succès dont « Heart Full Of Soul », « Mister You’re A Better Man Than I », « Shapes Of Things » ou une version survitaminée du « I’m A Man » de Bo Diddley. Deux albums à mettre aussi largement au crédit de son jeu de guitare original et nerveux : Having a rave up en août 1965 (sorti avec des titres différents sous le titre de Our own sound sur la marque Riviera) et Over under sideways down (aussi appelé Roger the enginer) en juillet 1966, avec notamment, outre le titre éponyme, « Jeff’s Boogie » et «What Do You Want ? », deux titres où la guitare de Beck prend toute la place et vient contrebalancer la voix de Keith Relf. Parfois, il joue en solo des blues instrumentaux comme ce « Steeled Blues » qui doit beaucoup à ses bluesmen favoris, Elmore James, Howlin’ Wolf ou Jimmy Reed.

Mais Jeff Beck n’est pas heureux avec les Yardbirds, et, s’il se laisse filmer par Antonioni dans Blow-up pour un célèbre fracas de guitare devant le personnage principal, le comédien David Hemmings qui quittera la salle avec un éclat de l’instrument qu’il brandira comme un morceau de la vraie croix, il a d’autres projets orientés vers le blues. C’est Antonioni qui lui avait demandé de fracasser sa guitare sur le sol, comme le faisait Townshend avec les Who. Jimmy Page, d’abord recruté comme bassiste en remplacement de Paul Samwell-Smith parti manager Cat Stevens, prendra la guitare au sein des Yardbirds qui aura vu passer les trois guitar-heroes anglais.

Il devra ronger son frein en signant un contrat avec le producteur Mickie Most, déjà chargé de la promotion de Donovan et un temps des Animals d’Eric Burdon. Il sortira quelques singles dont « Love Is Blue » (d’après Paul Mauriat…) et « Hi Ho Silver Lining », une tarterie qui sera l’hymne des supporters des Wolves de Wolverhampton, le club de foot de la ville des Midlands. On dit que Jeff Beck aurait pu, à ce stade, remplacer Syd Barrett chez Pink Floyd, voire.

Beck songe à monter son groupe, un groupe qui jouerait un blues sans concession. Avec Rod Stewart (chant) et Mickey Waller (batterie), deux ex sociétaires de la troupe Steampacket de Giorgio Gomelski (un spectacle – comédie musicale sur les origines du blues), il a les premiers membres du Jeff Beck Group. Ron Wood (ex Birds et futur Faces) en sera le bassiste avec, en studio, Nicky Hopkins, le plus célèbre des musiciens de studio du royaume.

Le groupe changera plusieurs fois de batteur (Tony Newman, Roy Cooke), mais la formule fera mouche avec deux albums partis d’un blues séminal pour explorer des terrains qui donneront naissance au hard-rock comme aux courants du blues-boom les plus originaux. Le Jeff Beck Group sera parmi les influences principales de Led Zeppelin comme de Free. Truth sort en août 1968 avec des reprises de Willie Dixon (« You Shook Me », « I Ain’t Supersticious ») ou de Tim Rose («Morning Dew »). On remarque aussi ce « Let Me Love You » qui sera un parfait exemple de ce que fera Led Zeppelin, la voix rappeuse de Stewart dialoguant avec les riffs de guitare de Beck, mais on note aussi des envolées en solo du guitariste sur « Beck’s Bolero » ou « Blues Deluxe ». Beck Ola (sous-titre Cosa nostra, notre chose), sorti en juin 1969, est moins bon, même si on y trouve de réjouissantes versions de « All Shook Up » ou de « Jailhouse Blues », plus un long « Rice Pudding » où la guitare de Beck exulte.

C’est l’époque où, en dépit des pressions de son entourage, il refuse de jouer à Woodstock (l’historique « fuck Woodstock ! ») et, alors qu’il pense à une section rythmique avec les musiciens de Vanilla Fudge (Tim Bogert et Carmine Appice), il a un accident de dragster qui l’immobilise plusieurs mois. Stewart, ayant eu vent du remplacement de son copain Wood et estimant qu’on lui ne fait pas assez de place, quitte le groupe en même temps que Ron Wood. Ce sera une carrière solo au long cours et les Faces, avant les Stones pour Wood.

Bogerts et Appice viendront plus tard. Pour l’heure, Beck joue sur l’album de Donovan (qu’il cosigne), Barabajacal (1970) et envisage de former un nouveau Jeff Beck Group. Ce sera chose faite avec un premier album, Rough and ready à l’automne 1971, suivi de Jeff Beck Group en 1972. Le « new » Jeff Beck Group se compose de Rob Tench (chant), Max Middleton (claviers), Clive Chaman (basse) et Cozy Powell (batterie). Deux albums honnêtes, mais sans l’étincelle du premier Jeff Beck Group.

Après une période d’oisiveté où il passe son temps à bricoler des vieilles voitures (notre homme est un mécanicien hors pair), Beck s’acoquine enfin avec Tim Bogert et Carmine Appice pour former BBA. D’abord un album studio éponyme en mars 1973 avec notamment le « Superticious» dont il disputera la paternité à Stevie Wonder et une reprise du « People Get Ready » de Curtis Mayfield. Ce sera ensuite un album en public enregistré au Japon, sorti en 1974 (BBA Live in Japan). Là encore, on reste un peu sur sa faim, les super groupes n’ayant jamais donné de résultats très probants, à part Crosby Stills Nash & Young, l’exception qui confirme la règle.

Mais Beck va surprendre en empruntant la voix du jazz-rock à partir de 1975, avec deux albums, Blow by blow (1975) et Wired (1976), tous deux produits par George Martin. Des albums déconcertants pour les fans avec, sur Wired, une longue version jazzy du « She’s A Woman » des Beatles. Beck marche sur les brisées d’un John Mc Laughlin, inspiré par Charlie Mingus et Wes Montgomery.

Il montera aussi un groupe avec le claviériste tchèque Jan Hammer et sortira une dizaine d’albums en solo. On doit avouer humblement qu’on n’a pas vraiment suivi l’évolution d’un Jeff Beck converti au jazz-rock qui sera également réquisitionné sur les albums en solo de Mick Jagger, de Pete Townshend, de Tina Turner, de David Bowie ou de Van Morrison.

Beck qui avait aussi la réputation d’être un joyeux luron et un sacré bringueur, témoin son long compagnonnage avec un Keith Moon avec qui il était l’un des seuls à pouvoir rivaliser côté boissons fortes. C’est peut-être ce qui l’a tué, sans parler de ses excès divers en cocaïne notamment.

Quoi qu’il en soit, on gardera de Jeff Beck l’image du guitar-hero absolu, incarnation parfaite de ce « guitar man » chanté par Presley. Hendrix était évidemment plus virtuose avec une palette plus large ; Clapton « Slowhand » avait ce toucher indéfinissable qui rendait son instrument magique, mais Jeff Beck avait l’attitude et la grâce, sale gamin surdoué triturant les cordes de sa guitare avec dextérité et fougue. On eût dit qu’il avait mille doigts, aidé par toutes les trouvailles qu’il avait su mettre au point au fil des années.

Beck avait le défaut d’être un évadé fiscal, il s’était réfugié aux États-Unis pour échapper au fisc, comme beaucoup de pop stars anglaises, mais il avait aussi participé au concert au profit d’Amnesty International en septembre 1981. Ombre et lumière.

Mais Jeff Beck restera l’un des héros de mon adolescence, envers et contre tout. Ad vitam æternam.

25 janvier 2023

Comments:

On a beau être passionné de Rock, d’une génération très proche de celle de Didier, on apprend toujours énormément en lisant ses chroniques détaillées.. Une petite réserve sur les super groupes et leurs « résultats peu probants ». Moi, j’aimais beaucoup Cream (musicalement même plus que CSN&Y). Après, si, par probant, on entend durable, évidemment…

merci Marc mais pour moi Cream (que j’adore) n’avait rien d’un super groupe. À l’époque, seul Clapton était un peu connu pour avoir été le guitariste des Yardbçirds. Quant à Bruce et Baker, ils venaient d’obscures (à l’époque) formations blues genre Alexis Korner ou Cyril Davis.

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