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IAN RANKIN : SOUS SA RUDE ÉCOSSE…

Ken Stott, John Rebus dans une série qu’on aimerait voir par ici.

On a déjà parlé ici de Ian Rankin et de son inspecteur Rebus, du C.I.D (Criminal Investigation Department), la police d’Édimbourg. Un drôle de pistolet, mal embouché, mal aimable et colérique. Une tête de lard ou de cochon, au choix. Tous les livres de Rankin ne mettent pas en scène Rebus, mais ce sont indiscutablement ses meilleurs. Quant à lui, Rankin, c’est l’auteur de polar britannique le plus intéressant actuellement, avec David Peace – qui a abandonné le genre – et Jake Arnott. Portrait de l’artiste en jeune rebelle, aussi bien fan de rock que de football.

Depuis quelques années, j’ai pris l’habitude de lire un pavé de Rankin pendant la trêve des confiseurs. Pourquoi Rankin ? Parce que !, répondrais-je. Toujours est-il qu’il m’aide à passer cette période assez sinistre, entre deux réveillons, dans l’obscurité et la pluie, le plus souvent. Un temps de cochon, un temps d’écossais.

Écossais, Ian Rankin l’est assurément. Né en 1960 à Cardenden, dans la région de Fife, pas très loin d’Édimbourg où il situe l’action de ses romans. Il fait partie d’un groupe de rock pour lequel il écrit des chansons et, remarqué par un professeur pour ses talents littéraires, va produire une thèse de doctorat sur la littérature écossaise. Après avoir fait 36 métiers, il donne des cours de littérature à la prestigieuse université d’Édimbourg.

Changement de pied en 1986. Il épouse Miranda Harvey (le nom de Harvey, Jack, lui servira de pseudonyme), et le couple va s’installer à Londres où ils resteront cinq ans avant de s’exiler dans un petit village du Périgord. On pense au grand Robin Cook, l’auteur du fameux Crème anglaise, dont la trajectoire emprunte beaucoup à celle de Rankin.

Il commence à écrire ses romans policiers et notamment ses Rebus. Des romans non traduits en français ce qui lui vaut une réputation d’aimable plaisantin dilettante et un peu fainéant dans son village. Mais Rankin / Harvey est plutôt un forçat de la plume, et ses romans paraissent régulièrement en Grande-Bretagne avant, plus tard, d’être traduits dans plusieurs langues.

Il aura mis quelques temps à se trouver et son premier livre paru en 1986, The flood, est un roman d’apprentissage. Il s’essaye ensuite à l’espionnage façon Le Carré avant de trouver son personnage et d’écrire son premier Rebus, L’étrangleur d’Édimbourg, qui remporte un succès d’estime.

Pour Rankin, c’était plutôt une plaisanterie et un jeu littéraire et le futur professeur d’université qu’il se destine à être ne veut pas être identifié comme un auteur de polar. Mais le public a choisi pour lui et c’est Rebus qui est plébiscité. Suivront 23 épais romans policiers avec son héros et son assistante, le sergent Siobhan Clarke. Ce qui ne l’empêche pas de faire paraître des romans classiques, des nouvelles plus les séries Jack Harvey et Malcolm Fox. Un forçat de la plume on vous dit, quelque part entre Simenon et James Ellroy. Au moins pour la quantité.

Rankin dira que ses romans policiers sont un prétexte pour parler de l’Écosse. « Je disséquais une nation », et c’est bien ce qui nous intéresse. La suite est connue : des records de vente, des diplômes honoris causa dans les universités du pays, des collaborations à la BBC, des breloques comme l’ordre de l’empire britannique et même un circuit touristique à Édimbourg sur la piste de Rebus. C’est la gloire venue tardivement frapper à sa porte, lui qui se destinait à une carrière d’universitaire discret avec la littérature comme violon d’Ingres.

John Rebus est un homme d’une cinquantaine d’années, alcoolique, tabagiste, solitaire et divorcé. Il est réputé auprès de ses collègues pour son caractère difficile – euphémisme -, mais est fidèle en amitié et aime son métier de flic passionnément, y trouvant un moyen d’exercer la justice et de rendre le monde un peu plus habitable en le débarrassant de quelques crapules malfaisantes. On peut appeler ça un sacerdoce, ou un apostolat. Rebus est donc une sorte de chevalier à la Chandler qui ferait moins penser à Don Quichotte qu’à Sancho Pança, mais la geste est tout aussi noble.

Rankin lui a donné des origines polonaises et, comme Maigret, il est plutôt lourd, trapu et massif. Il sait se battre, semble tout faire de travers et mener ses enquêtes à l’instinct, sauf qu’il finit toujours par mettre dans le mille après une série d’erreurs et de libertés prises avec la procédure et les codes de la maison, ce qui lui vaut l’hostilité de ses supérieurs ; même si ses subordonnés le prennent en affection pour ses rudes manières de gros chien pataud.

En outre, et c’est peut-être l’essentiel, Rankin, par la bouche de Rebus, parle beaucoup de football, du foot écossais évidemment. Lui supporte les Hearts alors que sa collègue, la belle Siobhan, est derrière les Hibernians, l’autre club de la ville. Il peut aussi bien parler d’Aberdeen, des clubs de Dundee ou de Glasgow avec la même passion et la même compétence. Une encyclopédie ambulante. Rankin aime aussi le rock, et chacun de ses Rebus est truffé de références à ses groupes favoris : Led Zeppelin, R.E.M, Roxy Music, Clash ou Radiohead, avec une tendresse toute particulière pour les groupes du pays : Average White Band, Mogwai, Simple Minds, Franz Ferdinand ou Primal Scream. Là aussi, ses connaissances sont impressionnantes.

L’Écosse de Ian Rankin n’est pas celle, folklorique, des châteaux, des fantômes, du whisky, des cornemuses et des kilts. Il se coltine allègrement les problèmes sociaux et sociétaux du pays : chômage de masse, drogues dures, pauvreté, sida… On parle beaucoup de politique, mine de rien, chez Rankin où reviennent parfois en toile de fond les rudes années Thatcher, le conflit Nord-irlandais et les néo-travaillistes à la Blair ou Brown qui ont trahi la classe ouvrière.

On pourrait citer pêle-mêle quelques Rebus inoubliables : Exit music (un titre de Radiohead), La colline des chagrins, Causes mortelles, Debout dans la tombe d’un autre, Le carnet noir, Le jardin des pendus ou encore L’appel des morts (un Le Carré s’intitulait L’appel du mort), sans oublier cette dernière lecture qui justifie cet article : Une dernière chance pour Rebus (Resurrection men en V.O), paru en 2006. (1)

Une école de police où la « horde sauvage » (the wild bunch) de flics durs à cuire, indisciplinés et mal embouchés doit subir un recyclage pour revenir dans le droit chemin. Sont présents une demi-douzaine de ripoux et Rebus, envoyé là sous couverture par son supérieur pour infiltrer le groupe et inviter ses membres à commettre le crime de trop : le sac d’un dépôt où la police stocke la drogue saisie. Déjà, les ripoux sont suspectés d’avoir doublé un truand notoire et de lui avoir subtilisé l’argent de ses casses. Le groupe est invité par ailleurs à mener une contre-enquête, en guise d’exercice, sur le meurtre d’un voyou de Glasgow de mèche avec la pègre, une affaire dans laquelle Rebus a trempé, ce qui met la puce à l’oreille de ses collègues quant à ses intentions.

Il y a aussi le meurtre d’un riche marchand d’art et une histoire de tableau volé. L’assassinat d’une prostituée exerçant ses talents dans un salon de massage. Un petit truand retrouvé étranglé puis noyé. Le tout sur fond de rivalités et d’inimitiés tenaces entre services de police de différents endroits.

Autant d’affaires en apparence disparates mais qui finissent par se rejoindre et n’en plus faire qu’une. La grosse affaire où plane l’ombre de Gerry « Big Ger » Cafferty, l’ennemi juré de Rebus, gangster qui terrorise la ville et la met en coupe réglée. Drogue, jeu, prostitution, vols, chantages et escroqueries en tous genres, rien ne lui échappe et il touche à tout. Il touche sur tout en régnant sur une petite armée de petits criminels qui lui sont redevables et en graissant la patte des notables ou en faisant ami – ami avec des pontes de la police.

Big Ger, ou l’incarnation du mal que Rebus n’en finit pas de poursuivre. Une sorte de diable écossais supérieurement intelligent et suffisamment prudent pour s’en tirer à chaque fois à bon compte. La haine de Rebus à l’endroit de Big Ger fait peur, et c’est là la force des romans de Rankin où on alterne entre des scènes drôles et enlevées et d’autres qui tiennent plus de la tragédie où le bien affronte la mal dans un combat sans merci.

Rankin écrit bien et on sent qu’il a des études littéraires derrière lui. Ce n’est pas le cas de tous les auteurs de romans policiers hélas. Il sait trouver un savant équilibre entre les dialogues et les paragraphes consacrés à l’action, aux descriptions ou aux réflexions de ou sur ses divers personnages. Pour ne rien gâter, son humour est ravageur et il n’est pas rare qu’un éclat de rire nous prenne au détour d’une page.

Voilà, en espérant donner envie à celles et ceux qui ne le connaissent pas encore. Pour ma part, je suis heureux d’avoir encore quelques Rebus à lire, pour les trêves des confiseurs encore à venir.

(1) : Une dernière chance pour Rebus – Ian Rankin – Éditions du Masque – 2006.

3 janvier 2022

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