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L’HUMA DANS LE ROUGE

Le numéro 1, avec le célèbre éditorial de Jaurès « Notre but ». Historique. Wikipedia.

Depuis le temps que le journal L’Humanité tend la sébile, on avait envie de souligner les difficultés de ce quotidien qui n’est plus à proprement parler celui du PCF, mais qui donne à lire des articles, des chroniques et des éditoriaux de qualité avec un point de vue toujours pertinent. Il n’est pas question ici de faire un historique détaillé de ce journal plus que centenaire (né en 1904), mais d’insister sur la nécessité de sauver le seul journal bien à gauche en le lisant, en le faisant lire et éventuellement en mettant la main à la poche. Pour la bonne cause. On se contentera ici d’énumérer les nombreuses raisons qu’on peut avoir à le lire. Dans le rouge mais pas mort !

« Pour un autre regard sur l’actualité en France et dans le monde », tel est le bandeau publicitaire figurant sur le site Internet de L’Humanité (humanite.fr). Quand vous lirez ces lignes, la Fête de l’Humanité sera déjà du passé mais nous retrouverons dans le journal les débats, les tribunes et les discours qui auront marqué cet événement annuel, lequel a bien failli ne pas se produire cette année, faute de financement, et Fabien Gay, le directeur de la publication, a lancé plusieurs cris d’alarme dans son journal pour appeler les lectrices et lecteurs à mettre la main au portefeuille. C’est déjà une longue tradition et L’Humanité a frôlé la mise en redressement judiciaire avant d’avoir un feu orange de la part du tribunal de commerce de Bobigny à condition qu’il puisse refaire de la trésorerie et assainir ses comptes. Un journal sous tutelle donc, qui multiplie les efforts pour agrandir son lectorat avec un site Internet de qualité et des suppléments et hors-série réguliers. On peut d’ailleurs se demander si, dans une telle situation, l’Humanité a intérêt à jouer la « politique de l’offre », car le suspense entretenu à l’occasion de la Fête de l’Huma laisse penser que les finances sont loin d’être florissantes. Les fidèles lecteurs en savent quelque chose avec d’incessants rappels à mettre au pot.

On ne va pas refaire l’historique du journal, fondé par Jean Jaurès en 1904 avec un premier comité de rédaction qui compte, outre Léon Blum, Albert Thomas ou Aristide Briand, des plumes comme Octave Mirbeau, Jules Renard ou Michel Zevaco. L’Humanité », journal de la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO) se veut, à l’image de Jaurès, internationaliste, pacifiste, antimilitariste et laïque. C’est l’âge d’or de l’Humanité qui milite pour la justice (résolument pro-Dreyfusard), l’égalité et la solidarité ouvrière, contre les capitalistes, l’armée, la justice de classe et la bourgeoise.

Après le congrès de Tours en 1920, L’Humanité deviendra l’organe de la SFIC (Section Française de l’Internationale Communiste) puis du PCF et on vous fera grâce des sorties clandestines, des interdictions et des louches parutions sous surveillance allemande pendant la guerre. Ce sera le temps des figures dirigeantes du journal (et du parti), Marcel Cachin ou Paul Vaillant-Couturier. En 1937, Aragon et Jean-Richard Bloch fondent Ce soir, un quotidien proche de L’Humanité.

Après-guerre et dans les années 1950, la ligne du journal va se durcir pour, en pleine guerre froide, se faire souvent le propagandiste de l’URSS de Staline et des pays du bloc de l’est. Les décennies suivantes, sous Duclos puis Marchais, seront marquées par des personnalités comme René Andrieu ou Roland Leroy avec des éditorialistes comme Claude Cabane, Michel Cardoze, pas encore le Monsieur Météo de TF1, ou Jean-Paul Jouary. Malgré les dessins de Wolinski, L’Huma suit toujours une ligne sectaire et pro-soviétique. Tout juste peut-on lui accorder une certaine constance dans l’anticolonialisme, depuis les guerres d’Indochine et d’Algérie. L’invasion de l’Afghanistan par l’URSS fera quand même tousser dans une rédaction divisée, sans parler des couleuvres avalées avec la Hongrie en 1956 et la Tchécoslovaquie en 1968(« ce Biafra de l’esprit » selon Aragon, l’éternel compagnon de route).

Le PCF perd de son influence, au moins électorale, passant de près de 30 % à la Libération à 6 % en 1988. Après l’Euro-communisme, l’Afghanistan, le « bilan globalement positif » et les bulldozers de Vitry, le Parti perd de plus en plus d’adhérents et ses scores électoraux dégringolent encore. L’Humanité s’en ressent et son lectorat s’étiole malgré une prise de distance de plus en plus nette avec le Parti. Avec Hue puis Buffet, L’Humanité n’est plus l’organe officiel du Parti Communiste Français.

On va brûler les étapes et en arriver à L’Humanité d’aujourd’hui. Passons sur les changements de direction avec Pierre Laurent, Patrick Le Hyaric, Patrick Appel-Muller et maintenant Fabien Gay.

Maud Vergnol est directrice de la rédaction avec Sébastien Crépel et l’excellent Jean- Emmanuel Ducoin, chronicoeur du vendredi et amoureux du Tour de France, assume les fonctions de rédacteur en chef. Il se dit qu’on surnomme Roussel Frank Dubosc dans les couloirs du journal.

Un journal qui se distingue par son traitement de l’étranger avec une équipe de correspondants rigoureux et bien informés. L’Ukraine avec Vadim Kamenka ou la Palestine avec le grand reporter tout terrain Pierre Barbancey. Les articles de Christopne Deroubaix sur les États-Unis sont toujours intéressants, comme ceux sur l’Allemagne signés Bruno Odent. L’Afrique et l’Asie sont bien couverts avec des correspondantes comme Rita Massaoui ou encore Lina Sankari. Les femmes sont d’ailleurs à l’honneur dans le journal, souvent mises à des postes de responsabilité. On n’oublie pas l’Amérique latine avec Luis Reygada.

Un service Investigation également performant avec des dossiers souvent bouclés par Thomas Lemahieu. C’est lui qui a sorti dernièrement le dossier Périclès de Stérin avec son ambition de réconcilier droite et extrême-droite pour une prise de pouvoir à l’horizon 2027 avec tout un arsenal de formations de cadres, de spectacles historiques réactionnaires et de rachats de titres de presse.

Les pages Économie et Social sont elles aussi bien fournies et L’Humanité est le seul quotidien où les luttes trouvent un écho régulier avec une large place accordée à l’économie sociale et solidaire. Pierric Marissal est par ailleurs le préposé aux nouvelles technologies, du télétravail à l’Intelligence artificielle en passant par l’uberisation. L’Humanité parle souvent des conditions de travail, des risques psycho-sociaux et de la souffrance au travail en encourageant les reprises d’entreprises sous des formes coopératives .

Les pages sportives ne sont pas oubliées, avec toujours des points de vue féministes et progressistes pour en finir avec le sport spectacle et le sport fric. À la rubrique Société, on parle souvent des banlieues, du logement et on met l’accent sur les inégalités en soulignant les initiatives du monde associatif. Côté Culture, on a aussi des chroniqueurs compétents dans tous les domaines, avec le théâtre (et Jean-Pierre Leonardini) le lundi, arts plastiques et photographie le mardi, cinéma le mercredi, littérature le jeudi et musique(e)s le vendredi. Demandez le programme !

L’Humanité, ce sont aussi des chroniques régulières du maire de Grigny, Philippe Rio, du médecin urgentiste Christophe Prudhomme ou de Charlotte Recoquillon sur l’international, sans parler de la chronique hebdomadaire du déjà cité Jean-Emmanuel Ducoin qui porte un regard original sur l’actualité de la semaine.

On ne saurait être complet sans citer Maurice Ulrich, homme de grande culture qu’on peut souvent lire dans les pages culturelles, mais c’est en tant que billettiste qu’il est le plus remarquable. Il taille un costard aux importants, aux réactionnaires et aux imbéciles en quelques lignes inspirées avec ce côté ironique et vachard qu’on ne trouve pas ailleurs.

Voilà, j’ai fini de faire l’article et on me pardonnera de profiter de cette rubrique pour la promotion d’un journal. Mais c’est le seul quotidien de gauche actuellement en kiosque (même si les maisons de presse et les marchands de journaux ne l’ont pas toujours). Alors que Libération, après ses multiples rachats et reventes (Drahi pour le dernier épisode) est devenu libéral-libertaire, que Le Monde, dit aussi « le quotidien vespéral des marchés » est passé de la social-démocratie au social-libéralisme et que La Croix, bien qu’étant un journal de qualité, n’a jamais été de gauche mais plutôt proche de ce qui reste de la démocratie chrétienne, disons centre-gauche en étant bienveillant.

« Urgence pour l’Humanité, votre don peut tout changer », peut-on lire sur leur site (l’humanite.fr) avec, en sous-titre, « faites vivre un média libre et engagé, toujours du côté de celles et ceux qui luttent ». On ne saurait mieux dire.

On finira bien par n’avoir le choix qu’entre Le Figaro et Le Parisien, tant la presse papier quotidienne va mal. Le Parisien bientôt racheté par Bolloré à Arnault ? Avec peut-être L’Équipe et Les Échos. Ça ne sera même plus la peine de se déplacer pour acheter le journal, encore moins de s’abonner. Les Gafam et les chaînes d’info en continu auront gagné.

Et celles et ceux qui croient encore à l’information libre, indépendante et engagée auront tout perdu.

30 août 2025

Comments:

C’est bizarre, je suis en train de lire un livre qui retrace la grève des Penn Sardin à Douarnenez en 1924 et à la fin du livre il y a des photos dont celles de l’Humanité qui mettait en avant cette lutte de femmes. En lisant ton article, tu m’as presque donné envie de m’abonner à L’Huma !

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