C’était un groupe anglais de rock qui avait tiré son patronyme d’un poème de Milton sur un passage de la bible où Samson se faisait brûler les yeux par les Philistins avant d’être condamné à moudre du grain dans un moulin. Sans yeux (ou aveugle) à Gaza, peut aussi résumer l’attitude d’Israël et des États-Unis devant le massacre à Gaza qui dure depuis bientôt deux ans. Sans parler de ces médias occidentaux qui n’en finissent pas de rappeler le 7 octobre 2023 pour justifier, ou au moins fermer les yeux, sur ce que le Comité Spécial des Nations-Unies, Amnesty International et beaucoup d’ONG considèrent comme un génocide. Et 246 journalistes palestiniens morts depuis octobre 2023. Cet article n’apprendra pas grand-chose à pas grand-monde, il se veut un modeste hommage au martyr du peuple palestinien, hommage à sa résistance et – qui sait ? – à sa résilience.
On parle de 63000 morts à Gaza, et des cadavres encore à découvrir sous les décombres. On s’empresse de répondre à celles et ceux qui vont crier « 7 octobre » sur l’air des lampions que les morts israéliens imputables au Hamas se comptent à 1188 très exactement et 4834 blessés. Et, côté palestinien, le bilan s’alourdit de jour en jour en attendant un improbable cessez-le-feu sans cesse renvoyé aux calendes grecques par Netanyahou qui conditionne toujours l’arrêt des bombardements à une reddition totale du Hamas et à la libération de tous les otages, sans parler d’une occupation de Gaza et d’un plan de découpage de la Cisjordanie baptisé sobrement E1.
E1, ou la construction de 3400 logements sur une zone de 12 kilomètres carrés à partir de Jérusalem et jusqu’aux abords de Ramallah, soit la division en deux de la Cisjordanie et la quasi-impossibilité d’un futur état palestinien. Une annexion condamnée par l’Onu et par la communauté internationale. Ajoutons que les Palestiniens habitant ces zones ne pourront plus emprunter la route existante actuellement et devront prendre des chemins de traverse, comme ils ont pris l’habitude de le faire avec les colonies, les checkpoints et les occupations militaires (60000 réservistes ont été réquisitionnés encore récemment). « Une nouvelle route de l’apartheid », a commenté l’ONG israélienne La paix maintenant. Il faut se souvenir que la continuité géographique était déjà mise à mal après les accords d’Oslo, la fameuse « peau de léopard » façon bantoustan, on n’en est même plus là et on pourra parler de peau de chagrin.
Génocide, apartheid, tout de suite les grands mots qui suffisent à faire de vous un antisémite côté israélien, mais aussi chez les Républicains aux États-Unis et sur une large partie de l’échiquier politique en France, de « gauche » social-libérale sauce Glucksman à l’extrême-droite.
Le génocide, ce sont les Juifs qui en ont été victimes et il serait honteux d’inverser les rôles et la notion d’apartheid est bien entendu réservée aux affreux afrikaners et à l’Afrique du Sud ou à l’ex-Rhodésie. Comment oser comparer la « seule démocratie du Moyen-Orient » à ce régime abject institutionnalisant le racisme comme politique d’état ?
Mais que dire d’une politique qui consiste à bombarder tout un peuple pour laver l’affront d’un attentat terroriste ? Que dire d’une politique qui vise à affamer cette même population ? Que dire de ces projets trumpiens de « Riviera du Moyen-Orient » ou du projet d’occupation totale de Gaza par Tsahal et les colons derrière elle ?
D’autant qu’Israël a exporté sa guerre dans les pays voisins, d’abord au Liban pour éradiquer le Hezbollah, puis en Syrie pour protéger les Druzes et enfin en Iran l’ennemi principal, épaulé à Téhéran par les Américains qui n’ont pas hésité à bombarder des sites nucléaires. À qui le tour ? On aura en tout cas avec ces agressions une fabrique de terroristes qui se rappelleront à l’occident dans les années à venir.
On sait que le gouvernement israélien issu des législatives de 2022 est une coalition de partis d’extrémistes religieux et de partis d’extrême-droite avec des individus obsédés par la survie d’Israël qui impliquerait la destruction de la Palestine afin d’aboutir à une continuité territoriale allant du Jourdain à la Méditerranée, soit le grand Israël biblique. Les ministres ont pour noms Smotrich, Galant, Ben Gvir, Katz et sont tous à vomir dans leur volonté de liquider les Palestiniens et les opposants, ce qui reste de la gauche israélienne défendant encore la possibilité d’un énième processus de paix et d’une solution à deux états, voire à un état multi ethnique et multi confessionnel, ce qui paraît impossible après l’adoption par la Knesset, en 2018, de la désignation d’Israël comme « état-nation du peuple juif ».
Depuis l’automne 2023, j’ai dû assister à une demi-douzaine de conférences-débats sur Gaza, sans oublier les discours prononcés par les orateurs d’associations comme l’AFPS ou Lille Naplouse pendant les manifestations et les rassemblements.
Qu’ils s’appellent Henry Laurens, Vincent Lemire, Rony Brauman, Alain Gresh ou Denis Sieffert, tous disent peu ou prou la même chose, à savoir que le conflit vient de loin en refaisant l’historique depuis la déclaration Balfour jusqu’à la situation actuelle en passant par la Nakbah, la guerre des 6 jours, l’intifada et les accords d’Oslo. Tous répètent que la situation née des attentats du 7 octobre 2023 remontent à loin, à la résistance d’un peuple contre une nation de plus en plus impérialiste, totalitaire et belliciste, pour ne pas dire raciste. Il a fallu attendre le 7 octobre pour remettre la Palestine à l’agenda international après qu’on eût cru la question réglée avec les accords d’Abraham et l’arrivée de l’extrême-droite religieuse au pouvoir. Tous ont dessiné des pistes pour sortir de cette situation mais
il sera de plus en plus difficile d’appliquer des solutions de paix après la politique du fait accompli pratiquée par le gouvernement israélien. « Les Palestiniens ont gagné la bataille de l’opinion » a dit Rony Brauman en débat public à Roubaix, mais c’est une victoire de consolation, pourrait-on commenter face au désastre en cours.
Après l’arrestation des flottilles par les autorités israéliennes l’année dernière, une autre flottille est partie de Barcelone avec toujours Greta Thunberg en figure de proue. On parle de « 1000 bateaux » qu’on n’arrêtera pas, même si on sent bien que ce genre de formule a pour principale fonction de donner du courage aux militants de la cause palestinienne. La flottille se donne pour but de rompre le blocus et de laisser les ONG apporter l’aide humanitaire et sanitaire la plus urgente. Déjà une ambition qui paraît démesurée face à la brutalité du gouvernement israélien.
On se souvient que Rina Hassam, députée de la France Insoumise, était du voyage il y a quelques mois. Rina Hassam qui vient d’honorer de son nom une promotion de l’Université libre de Belgique, au grand dam des universitaires et des politiques locaux. Les étudiants ont voté deux fois, confirmant ainsi leur choix. À l’heure où l’on voit des antisémites et des islamo-gauchistes derrière les militants de LFI, voilà le genre d’information qui fait plaisir. On peut noter que les plus féroces partisans du Mélenchon bashing sont aussi celles et ceux qui parlent de dédiabolisation du Rassemblement National, devenu subitement philo-sémite, mais pas antiraciste si on en juge par sa haine toujours implacable pour les musulmans, les Arabes et les noirs qui sont en train de nous « grand remplacer ».
On peut aussi citer des socialistes en peau de lapin comme Jérôme Guedj ou Manuel Valls (et le Printemps républicain) qui voient eux aussi des antisémites derrière la moindre critique de l’état d’Israël et des Islamo-gauchistes derrière celles et ceux qui contestent les politiques sécuritaires et anti-immigration.
Sans parler de raisons d’espérer, il y a toutefois des signes encourageants qui peuvent nous donner un peu d’espoir. Les manifestations dans le monde qui attirent toujours du monde (peu de peuples dans l’histoire ont suscité une telle ferveur, un tel soutien), la flottille humanitaire, on l’a dit, mais aussi des lézardes dans l’opinion israélienne qui n’en peut plus de cette guerre et exige avant tout la libération des otages. C’est aussi au sein même de l’armée que des gradés contestent la politique jusqu’au-boutiste de Netanyahou, avec de plus en plus de jeunes qui refusent l’incorporation et de réservistes qui ne veulent plus servir une armée d’occupation. Si même Tsahal a des états d’âme… Aux États-Unis, la communauté juive s’interroge de plus en plus.
Et puis il y a les pays qui, de plus en plus nombreux, reconnaissent l’état palestinien et condamnent la politique annexionniste du gouvernement israélien. La France devrait le déclarer officiellement à l’Assemblée générale de l’ONU qui, certes consultative, n’en est pas moins importante diplomatiquement et politiquement. Alors, Palestine vaincra, Palestine vivra ?
Comme disait jadis Lincoln, « on peut tromper quelqu’un tout le temps, on peut tromper tout le monde une fois… Mais on ne peut pas tromper tout le monde tout le temps ». Désolé de devoir citer un vieux républicain, mais les temps sont confus.
1° septembre 2025 ?