ou PETITE HISTOIRE DES TRAITÉS DE LIBRE ÉCHANGE
On a fêté, façon de parler, les 20 ans du non au TCE (Traité Constitutionnel Européen) et on sait malheureusement comment tout cela s’est terminé avec le traité de Lisbonne de Sarkozy et la troïka (BCE, U.E, FMI) repartie de plus belle et dure aux faibles (voir la Grèce ou le Portugal). Le TCE n’était que le triomphe en Europe de la mondialisation libérale dont les fondamentaux sont à peine écornés par l’Ubu américain, j’ai nommé Donald Trump. Brève histoire (pour les nuls?) de cette mondialisation heureuse que nous promettait Alain Minc, version moderne du « doux commerce » cher à Montesquieu.
On commencera cette histoire avec les accords de tarifications douanières de Bretton Woods, en août 1944. Les USA sortis grands vainqueurs de la seconde guerre mondiale. C’est la mise en place de l’architecture financière mondiale (FMI, Banque centrale…) sur fond de dollarisation des économies. Viendra ensuite la création du GATT pour les accords douaniers en 1947. Les pays de l’est à Moscou créeront le Comecon en 1949, marché intérieur aux pays du Pacte de Varsovie.
La déconnexion dollar / or en août 1971 viendra mettre à mal cette harmonisation des monnaies et des marchandises. Nixon et son administration décident de déconnecter la référence à l’étalon or pour le dollar. C’est le début de l’obligation pour les États de se financer sur les marchés, autant dire le début de la fin des régulations et du poids des états dans les économies des pays occidentaux.
En France, 1973 marquera de la même façon la limite des financements via la Banque de France
Dans le prolongement de la politique monétaire états-uniennes, Pompidou et Giscard d’Estaing décident que la France se financera sur les marchés, une tendance qui se généralisera dans toute l’Europe.
Après la guerre du Kippour entre Israël et deux de ses voisins arabes (Égypte et Syrie), l’occident est confronté aux chocs pétroliers qui provoquent des tensions monétaires et des soubresauts économiques.
Avec la hausse du coût des matières premières, du pétrole notamment consécutive à la guerre du Kippour viendra le premier choc pétrolier et la fin de l’énergie bon marché héritée des époques coloniales. Il y aura une réduction significative de la production décidée par l’OPEP et l’entrée dans la crise économique des pays d’Europe occidentale.
Les remèdes à la crise économique vont rendre impopulaires la plupart des social-démocraties européennes et les populations finiront souvent par leur préférer des gouvernements libéraux. C’est ainsi que Thatcher prend le pouvoir en Angleterre dès 1979, balayant les travaillistes et que Reagan l’emporte en 1980.
C’est l’heure du monétarisme et de ce qu’on appellera le Consensus de Washington. Pour Thatcher, ce seront les privatisations massives et l’affaiblissement des services publics. Pour Reagan, ce seront des politiques néo-libérales comprenant la monnaie forte, des mesures contre l’inflation, des privatisations massives, la déréglementation, le démantèlement des services publics et sociaux, une réforme fiscale douce aux riches, la baisse des dépenses publiques et, pour ce qui nous concerne, la suppression des barrières douanières et libéralisation du commerce extérieur.
« L’État est le problème, pas la solution », dira Reagan, faisant écho aux « il n’y a pas d’alternative » (au capitalisme néo-libéral) ou à « la société n’existe pas » de Thatcher. Pour marquer leur territoire, l’un écrasera la grève des aiguilleurs du ciel en 1981 quand l’autre réprimera durement la grève des mineurs en 1984 et 1985. Leurs hauts faits d’arme en prélude à une politique qui passe par la répression des mouvements sociaux et des mesures toujours plus conciliantes pour les riches.
Un modèle économique qui fera école, puisque la ces politiques néo-libérales marqueront la fin des dernières démocraties sociales de par le monde, dont la France «socialiste ».
On ne parle pas encore de mondialisation et elle prendra vraiment forme sur les bords de l’Atlantique, à Punta Del Este, station balnéaire uruguayenne. Ce sera d’abord l’AGETAC qui va remplacer les accords du GATT. en 1986.
L’AGETAC, Accord Général sur les Tarifs Douaniers et le Commerce, remplace définitivement les accords de Bretton Woods et le GATT. Il y a dans les états libéraux et sous la pression des milieux d’affaire une Volonté de privatisation ou de baisse drastique des tarifs douaniers pour l’agriculture, les télécommunications, les services financiers et le commerce. C’est l’affirmation des multinationales et la financiarisation des économies mondiales. On laisse aux États le régalien et le social (pas trop).
L’Europe, de son côté, signe l’Acte Unique Européen qui va dans le même sens, avant Maastricht et la monnaie unique et avant les traités de Nice, le TCE et le traité de Lisbonne.
La suite logique est dans les accords de libre échange, avec les accords de Marrakech en avril 1994.
C’est l’acte final de l’Uruguay Round qui prévoit la création de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). Trois traités de libre échange sont alors en négociation : l’AMI (Accord multilatéral sur l’Investissement qui porte sur les quatre domaines cités ci-dessus), l’AGCS (Accord Général sur le Commerce des Services, sur les services publics et sociaux) plus les ADPIC sur la propriété intellectuelle et le commerce. ADPIC pour Agreement on trade-related aspects of intellectual property rights. On notera que tous les sigles sont en Anglais, la langue du capitalisme.
Parallèlement, l’ALENA sera signé en janvier 1994. L’Accord de Libre Échange Nord-Américain (ou NAFTA) n’est pas issu de l’OMC. C’est un accord ee partenariat économique inégal entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, grand perdant de ce traité.
Le 1° janvier 1994, les communautés indiennes du Chiapas se soulèveront contre cet accord et contre leur gouvernement. Ce sera, pour beaucoup, l’acte de naissance de l’altermondialisme avec ses contre-sommets internationaux : Porto Allegre d’abord, avant l’Afrique, l’Asie et les sommets européens dont Gênes, en 2001, restera dans les mémoires.
Dans le même esprit, un traité de libre échange avait été signé en 1991 par la quasi-totalité des pays d’Amérique latine. C’est le Mercosur qui se veut d’abord un accord politique du Cône sud pour échapper à l’emprise des États-Unis. Dès 1996, le Mercosur deviendra vite un simple accord de libre échange. Et plusieurs pays le quitteront (Chili) ou en seront chassés (Venezuela) pour aboutir à sa forme actuelle.
La naissance officielle de l’OMC peut être datée de janvier 1995, portée sur les fonts baptismaux à Genève. L’Organisation Mondiale du Commerce n’est pas une agence de l’ONU, bien qu’elle entretienne des rapports avec elle. Elle se donne pour but de régir le commerce international d’après les accords de Marrakech, de réduire les obstacles au libre échange et d’encourager les exportations et importations de marchandises.
Elle entend également régler les litiges entre acteurs -(États et entreprises) par des tribunaux spéciaux appelés ORD (Organisme de Règlement des Différends). Les ORD céderont progressivement la place à l’ICS Investissement Court Service, selon le même principe
Les cycles de conférence de l’OMC auront lieu à Singapour, Genève puis Seattle. L’OMC organise des cycles réguliers de conférence pour définir les secteurs d’activité qui seront ouverts à la libéralisation. Après l’agriculture, les télécoms et les services, il est question de la culture (cinéma). Plus rien ne doit échapper aux marchés.
Parmi les principaux accords, l’ AMI,et, en lien avec l’Union Européenne, l’ AGCS. L’AMI qui porte sur l’investissement, sera rejeté par la France en 1998. L’accord s’appliquera néanmoins ailleurs avec les procès gagné par les multinationales contre les états (exemple, parmi d’autres, de l’électricien Vattenfall contre l’Allemagne après sa sortie du nucléaire).
La conférence de Seattle voit l’émergence spectaculaire du mouvement altermondialiste. Pendant 3 jours, activistes, syndicalistes, écologistes et citoyens empêchent la tenue du sommet et les négociateurs ne quittent pas leur hôtel. C’est un échec cuisant qui fait suite à l’effondrement des bourses asiatiques en 1997.
Après l’Uruguay Round, le Doha Round commence sous les pires auspices puisque les BRICS (coalition de pays sur le modèle des non-alignés) refusent tout accord sur l’agriculture. Ce sera le début de la fin pour l’OMC qui laissera la place aux accords dits bilatéraux et l’Union Européenne aura un rôle moteur dans ces accords.
À commencer par les A.P.E (Accords de Partenariats Économiques). Des partenariats vont s’instaurer entre l’U.E et des pays d’Afrique pour la libéralisation de certains secteurs (accord de Cotonou après celui de Lomé qui vise à baisser les tarifs douaniers et à libéraliser les économies). Des échanges inégaux qui mettent en péril des économies déjà fragiles.
D’autres accords bilatéraux seront plus médiatisés : TAFTA, CETA, MERCOSUR. Tafta entre l’UE et les États-Unis, remis en cause par Trump, Ceta entre l’UE et le Canada qui s’applique dans sa partie commerciale mais pas dans sa partie « politique » (arbitrages). Et le Mercosur qu’Ursula von Der Leyen est venue en personne négocier, à Rio et à Montevideo, au nom de la Commission Européenne.
La politique tarifaire de Trump va-t-elle mettre en échec cette mondialisation libérale ? Rien n’est moins sûr et elle servirait plutôt de prétexte à l’Europe de pousser les feux de cette mondialisation pour échapper aux diktats souverainistes et protectionnistes de l’homme aux cheveux oranges. D’aucuns ont pu dire que Trump bafouait les lois du capitalisme. Rien n’est plus faux. Il veut simplement tordre ses règles au profit de son seul pays. C’est un néo-fasciste ultra-libéral qui milite contre toute régulation (Gafam) et toute atteinte aux droits des multinationales de son pays. Ses palinodies et rodomontades vont se briser sur les dures réalités de l’économie mondiale où la Chine et l’Inde joueront un rôle majeur. C’est plutôt le déclin des États-Unis dans cette géopolitique du désastre qui oblige Trump et ses affidés à adopter des postures agressives et à montrer les dents, sentant bien que la situation ne tourne plus à leur seul avantage. Make America great again ? Les coups de menton volontaristes n’y suffiront pas. Le rêve américain est loin derrière nous, s’il a jamais existé, mais son cauchemar, lui, est bien réel.
1° juin 2025