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CYCLE PALESTINE

Couverture de la B.D Lemire – Gaultier, avec leur aimable autorisation. Un best-seller!

On appelle ça un cycle de conférences, soit trois débats publics consacrés au même thème : la guerre que livre Israël au peuple palestinien après le 7 octobre et l’offensive meurtrière du Hamas. Henry Laurens d’abord, puis Vincent Lemire et enfin Denis Sieffert sont venus, à l’invitation de la LDH, nous expliquer les enjeux, chacun remontant, en historiens, aux racines du conflit et à ses étapes historiques. Autant d’étapes vers la situation dramatique vécue aujourd’hui. Retour sur ces trois soirées passionnantes.

Trois soirées introduites par Emmanuelle Jourdan-Chartier. Présidente de la section de Lille de la LDH, puissance invitante. On commence avec Henry Laurens, qui échangeait avec un public nombreux dans un amphithéâtre du campus de Lille Moulin. C’était le 8 novembre dernier. Laurens est un historien universitaire, spécialiste du monde arabe et professeur au prestigieux Collège de France. Il est aussi, entre autres, membre du CNRS et du haut conseil de l’Institut du Monde Arabe. « Je suis aujourd’hui d’un pessimisme total non seulement sur le conflit israélo-palestinien mais pour l’ensemble de la région », confiait-il à l’Orient – Le Jour en 2015. Un pessimisme confirmé après le 7 octobre.

Gageons que son pessimisme ne s’est pas démenti après les événements du 7 octobre et la répression terrible qui s’en est suivie. Il fait débuter son propos d’historien à la question juive et retrace l’historique du statut des Juifs en France depuis la révolution française. Puis c’est le Yiddishland d’Europe centrale et la question du sionisme : créer sa propre société. Laurens fait aussi l’historique de l’antisémitisme et de ses motivations qui aboutit à la recherche d’un ailleurs en terre sainte . Car le racisme antisémite, s’il est avant tout basé sur la religion (les Juifs, peuple déicide), l’est aussi sur le rapport à l’argent, les Juifs ayant été longtemps confinés à des métiers d’usuriers ou de prêteurs et à ce sentiment de ne pas appartenir à la nation où ils vivent, c’est le mythe du peuple étranger n’adhérant pas aux principes et valeurs de la nation hôte.

C’est ensuite la question d’Orient avec le mandat britannique à la chute de l’empire ottoman et le partage entre Grande-Bretagne et France. Avec Balfour puis Sykes-Picot, la question d’un foyer national juif en Palestine se fait jour et devient impérative après la Shoah. Une immigration vers la terre sainte avait déjà commencé et les Anglais en ont assez de devoir gérer les conflits sur une terre ne représentant guère beaucoup d’intérêt pour eux.

On passe d’une culture de paix à une culture de combat avec la Nakhba, la guerre des 6 jours, la guerre du Kippour, le terrorisme et la lutte pour la conquête des lieux saints. Un jeu à somme nulle pour la conquête d’une terre à la fois matérielle et religieuse.

Laurens ne croit plus en la solution à deux états et pense que le conflit actuel marque l’échec militaire du sionisme. Très pessimiste, il ne voit que la guerre civile pour horizon avec l’instrumentalisation de l’antisémitisme d’un côté et l’appel à la solidarité du monde arabe de l’autre. Une impasse. Tout juste envisage-t-il, après un rapprochement Iran / Hamas (la caution sunnite de l’alliance) une hypothétique solution à la libanaise où politique et religion seraient étroitement mêlés.

Vincent Lemire (historien et maître de conférences) parle de guerre existentielle et de combat à mort entre deux populations menacées. Il rapporte les chiffres des morts, des blessés et des déplacés à la population française. Des chiffres édifiants. Il insiste sur la mise à distance nécessaire pour bien comprendre la situation.

Pour lui, il s’agit d’un cinquième acte du conflit après les projets nationaux concurrents, les affrontements sous tutelle internationale, les guerres Israélo-arabes et l’Intifada. On a maintenant autre chose, l’inconnu.

Toutes les solutions vers la paix sous l’égide des Nations-Unies (Oslo, Camp David) ont été tuées dans l’œuf par l’État d’Israël et les faiseurs de paix ont été assassinés. La gauche israélienne est devenue inaudible et des pouvoirs autoritaires et fascisants se succèdent à Tel Aviv.

Il en vient à la situation actuelle et revient sur un meeting à Jérusalem où les orateurs, membres du gouvernement Netanyahou, ont rivalisé de propos tendant à coloniser toute la Palestine. « Aller au-delà du projet Hertzl », « une émigration volontaire avant d’être imposée »… On entre dans une phase de post-sionisme où les impératifs de sécurité et de judaïté pèsent moins qu’une volonté de puissance et de domination avec une immigration juive choisie et limitée.

L’Israël socialiste des kibboutzim a laissé la place à un messianisme religieux en phase avec les évangélistes anglo-saxons. Pourtant, si la première charte du Hamas revendiquait un territoire du Jourdain à la mer, la seconde ne parle plus que d’un retour à la situation d’avant la guerre des 6 jours, reconnaissant implicitement l’État d’Israël.

Pour Lemire, entre suprémacisme des uns et terrorisme des autres, il voit une maturation des projets politiques et un rapprochement Hamas / Fatah à l’intérieur de l’OLP. En cela, il se montre moins pessimiste que son collègue historien.

Outre ses ouvrages, Vincent Lemire a sorti une bande dessinée (Histoire de Jérusalem) en collaboration avec Christophe Gaultier (Les Arènes). C’est devenu un best-seller !

Historien, Denis Sieffert ne l’est pas et c’est en journaliste qu’il nous parle. Mais un journaliste (éditorialiste à Politis) qui connaît l’histoire qu’il fait démarrer à Herzl, aux amants de Sion et à la conférence de Bâle. La diaspora juive aspire à retrouver la terre sainte occupée par les musulmans depuis les croisades.

Il en vient à la Nakhba, à la ligne verte puis à la guerre des 6 jours, suites logiques d’un sionisme religieux basé sur une lecture stricte de la Bible. Il passe ensuite à la guerre du Kippour, aux accords d’Oslo et à ceux de Camp-David pour mettre en parallèle la mauvaise foi israélienne, exigeant de plus en plus de concessions de l’OLP (charte dite « caduque ») sans rien céder. Le Fatah Conseil révolutionnaire est membre de l’OLP dont les dirigeants ont dû s’exiler d’abord en Jordanie (Septembre noir) puis au Liban en guerre et en Tunisie. Toutes les résolutions de l’ONU en faveur de la constitution d’un État Palestinien ont été bafouées, sous le pression d’Israël et des États-Unis.

Durant toute la période, la colonisation s’accentue en même temps que les soulèvements (Intifada) sont durement réprimés. 700.000 colons israéliens en totale contradiction avec la résolution 242 de l’ONU. Pour lui, la perspective d’une solution à deux états s’est encore plus éloignée, et la solution politique en Palestine est introuvable, avec une génération de mutilés et de blessés dans un territoire de plus en plus colonisé, de plus en plus étroit. Les pressions pour faire évacuer les Palestiniens vers l’Égypte ou la Jordanie, si elles n’aboutissent pas pour l’instant, pourraient se voir renforcées et ne resteraient alors que des réserves d’Indiens au milieu des colonies, comme pour le grand Trek sud-africain.

Sieffert parle des analogies avec l’Algérie colonisée par la France, avec des colons israéliens qui font penser à l’OAS de la guerre d’Algérie. Sinistre.

Beaucoup de questions sont communes aux trois conférences. Répercussions sur les élections américaines, risques d’extension du conflit (Liban, Iran, Jordanie…), rôle de l’Iran et du Hezbollah, rôle de l’Union Européenne, de la communauté internationale, de la France, accords d’Abraham, droit international, Jérusalem, apartheid (saisie de la CJI par l’Afrique du Sud), analogies avec l’Iran, avec l’Algérie. Les réponses sont souvent les mêmes et les trois invités insistent sur le climat de haine qui règne dans la région, rançon du refoulement et d’un colonialisme de plus en plus agressif, sans jamais justifier les massacres du Hamas.

Trois intervenants qui nous ont dressé, chacun à sa manière et bien au-delà du 7 octobre et de ses suites, un tableau historique permettant de comprendre cette actualité tragique. À rebours de la vision des médias nationaux qui ne retiennent que l’agression, inexcusable, du Hamas, en occultant le massacre.

23 février 2024

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