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BREST ATAO!*

Pierre Lees-Melou, the best of Brest (photo Wikipedia).

On arrête plus le Stade Brestois qui, après un début de saison sur les chapeaux de roue, s’est hissé à la deuxième place du classement de la Ligue 1, derrière le PSG, mais devant les grosses écuries monégasques ou niçoises (sans oublier Lille, Lens, Rennes et Marseille). Pourtant, il n’y avais pas matière à s’emballer devant les effectifs du club breton en début de saison ; une équipe modeste qui luttait chaque saison pour le maintien. Et puis, Éric Roy est arrivé et la machine rouge s’est mise en marche, bien partie pour découvrir l’Europe en outsiders sans palmarès, mais avec la grinta.

Cette saison, cela aurait pu être le Stade de Reims, ou le Toulouse F.C. Chaque année, il y a un club modeste, un outsider, qui réussit à s’infiltrer dans le Top 5, au milieu des grosses écuries de la Ligue 1. Ce sera donc le Stade Brestois, même si on n’aurait pas misé un liard sur eux avant le coup d’envoi de la saison 2023 – 2024.

Le Stade Brestois qui aurait pu , à une époque, s’appeler le Truand Football Club, sous la présidence de François Yvinec, personnage haut en couleur et abonné de la chronique judiciaire de la presse régionale. Jusqu’à concurrencer Tapie.

Transferts douteux, commissions, trafic avec les agents de joueur… On se souvient notamment de l’affaire Cabanas ; soit Roberto Cabanas, international paraguayen évoluant à l’America de Cali, un club colombien tenu à bout de bras par les narco-traficants. Des narcos qui avaient fait monter les enchères et un Yvinec quasiment capturé, pris en otage en Colombie avant de revenir en triomphateur avec ledit Cabanas dans ses bagages. Un transfert à hauts risques qui avait défrayé la chronique sportive à la fin des années 1980. Un autre joueur devait accompagner le Paraguayen, mais la transaction avait échoué devant les surenchères des sicaires du cartel de Cali. Pour l’anecdote, le Cabanas en question ne fit pas d’étincelles à Brest, avant d’être revendu deux ans plus tard à l’Olympique Lyonnais et d’entamer une carrière à Boca Juniors. Mais – cocaïne oblige – il terminera son épopée dans des clubs colombiens tous suspectés de collusion avec les narcos, à Guayaquil puis à Medellin et enfin à Cartagène. Fin du sketch.

Dans les années 1960 – 1970, le Stade Brestois était un pensionnaire du championnat de France amateur (CFA), groupe ouest. Il évoluait dans des stades dégarnis contre des clubs bretons qui n’avaient pas encore accédé au professionnalisme, que ce soit en Division 2 ou en Division 1 : le Stade Briochin (Saint-Brieuc), Lorient, Le Mans, Laval, Guingamp, Quimper… Un club sous les radars des commentateurs sportifs et des amateurs de football qui connaissaient mieux les rivaux de l’A.S Brest, le club qui avait accédé aux quarts de finale de la Coupe après avoir éliminé le Racing Club de Paris, en 1965.

Ce n’est qu’à la fin des années 1970 que le Stade Brestois accède à la Division 2 et, sous l’ère Yvinec, il se hisse en première division au début des années 1980 avec de jeunes joueurs aussi prometteurs que talentueux comme Bouquet, Le Roux, Le Guen ou Buscher ; les trois derniers seront d’ailleurs internationaux.

Les Stadistes créent souvent la surprise et se classent en première partie de tableau, pour une équipe qu’on ne calculait pas à chaque début de saison. Le petit club sympathique est en passe de devenir, à la manière de l’A.J Auxerre de Guy Roux, la bonne surprise du championnat de France.

Mais Yvinec, en plein hubris, voit plus grand et veut faire de son club un cador du championnat en se lançant dans des transferts aux montants pharaoniques, souvent entachés d’irrégularités financières. C’est ainsi que débarquent en Finistère les Argentins Goycotchea et Brown, en plus du Brésilien Julio-César, tous trois vedettes de la Coupe du monde 1986. Côté français, c’est David Ginola, entre deux séjours parisiens (Racing puis PSG) et son exil anglais et Corentin Martins, formé au club lui, qui sera plus tard leur entraîneur.

La mégalomanie s’est emparée du pauvre Yvinec, empêtré dans ses ennuis judiciaires, mais les résultats ne suivent plus. Yvinec avait viré l’entraîneur emblématique Raymond Keruzoré et il finira par faire un séjour à l’ombre. Le club descend en 1991, avec une ardoise de 120 millions de Francs (l’équivalent de 18 millions d’Euros actuels). Fin de partie pour Yvinec qui s’était vu prince du football à la manière d’un Borelli ou d’un Tapie, mais qui finit comme Roger Rocher, ruiné et embastillé.

Tout au long des années 1990, sous la présidence de Alain Guilloux, le club vivote en deuxième division. La situation financière tend à se rétablir, mais pas les résultats qui sont médiocres. Les Rouges vont même connaître l’enfer du National, dans les années 2000, et un certain Frank Ribéry fera partie de l’effectif qui fera retrouver aux Brestois la Ligue 2 où ils ne feront qu’un bref séjour avant de retrouver l’élite, en 2010, soit 19 ans après la chute.

Cette fois, chat échaudé, on joue la prudence. Pas de transferts ruineux mais un centre de formation qui fournit son lot annuel de jeunes prodiges : Makélélé, Guivar’ch, Colleter… Des joueurs qui vont s’illustrer dans les grandes écuries françaises avant l’étranger. Mais le Stade Brestois rechute et redescend à l’étage inférieur, privé de ses talents partis ailleurs et ne parvenant pas à former de nouveaux joueurs susceptibles de pallier aux absences.

Le club fait, pendant quelques années, la navette, l’ascenseur, entre Ligue 2 et Ligue 1 et il faut attendre le début des années 2020 pour le voir remonter une fois de plus, grâce à un buteur du nom de Gaétan Charbonnier, ex du Stade de Reims. À partir de là, le club va se stabiliser dans les hautes sphères, sans toutefois faire des étincelles.

Michel Der Zakarian porte le club au bord de la relégation avant de céder la place à Olivier Dall’ Oglio. On a permuté les entraîneurs, Dall’Oglio venu de Montpellier le remplace quand Der Zakarian s’installe dans l’Hérault. Ça ne s’arrange pas pour les Brestois qui, au printemps 2023, sont en position de relégables avant l’arrivée de leur sauveur, Éric Roy. Un ex-joueur, à Nice notamment, accessoirement consultant football pour la télévision et c’est le miracle attendu : une osmose parfaite entre un homme et une équipe. Avec lui, Brest remonte les échelons quatre à quatre et termine en milieu de tableau après une série de victoires y compris aux dépens des gros.

On ne change pas une équipe qui gagne. Brest ne fait pas de folies et garde son ossature. On garde le gardien Bizot, international néerlandais et, en défense, Brassier et Chardonnet l’ancien. Bradley Loko (fils de Patrice) arrive de Reims et Lala de Strasbourg comme arrières latéraux. Une défense de fer rarement prise en défaut. Au milieu, Del Castillo reste avec Lees-Melou, Camara et Pereira-Large. On leur adjoint le jeune Magnetti (ex Bastia) et l’ex Rémois (encore un) Kamory Doumbia plus Jonas Martin, vieux routier de la Ligue 1 venu de Lille. Un carré magique tout en percussion et en finesse. En attaque, l’Uruguayen de l’Inter Milan Sitriano vient épauler les déjà vieux briscards Mounié et Le Douaron, plus le petit Brahimi, lui aussi passé par Reims.

Et ça marche, du tonnerre (de Brest). Le Stade Brestois enchaîne les bons résultats et a tôt fait de se retrouver dans les cinq premiers. Loin de se contenter de jouer les trouble-fêtes, Brest en vient à inquiéter les leaders, atteignant la troisième puis la deuxième place, au nez et à la barbe d’équipes aux effectifs dix fois plus coûteux (Monaco, Marseille, Nice…).

Si les Brestois ont été éliminés de la Coupe de France par le PSG, ils seront, en championnat, ses dauphins, s’ils continuent à ce rythme avec une qualification directe en Champion’s Ligue ; situation que les supporters du club n’auraient pas envisagé même dans leurs rêves les plus fous. C’est possible, car Brest se distingue par sa régularité quand les faux pas de ses rivaux sont nombreux.

Restera à ne pas décevoir et, quand on voit les piètres performances des clubs français en Coupe d’Europe, avec des effectifs autrement huppés, on peut nourrir des craintes pour les Brestois qui pourraient bien devenir ce qu’a été l’A.J Auxerre dans les années 1980 – 1990. Un grand du championnat de France, avant un grand d’Europe ? Sans faire les folies du temps d’Yvinec. Petit budget mais grosse envie et mental à toute épreuve.

« Souviens-toi Barbara, il pleuvait sur Brest ce jour-là » (Prévert). Le soleil et la lumière sont là.

* jeu de mot sur Breizh Atao (Bretagne toujours!). Les Bretons auront compris.

24 février 2024

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