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J.O.P COMME POLITIQUES

Nieman, Smith et Carlos sur le podium du 200m. à Mexico. Le gant noir des Black Panthers. Widipedia.

J’avais songé au départ à faire un article sur la gratuité qui se serait intitulé « Aujourd’hui on rase gratis », axé sur la campagne roubaisienne pour les transports gratuits menée par Attac Métropole à Roubaix. Un débat public sur le sujet à Roubaix a été reporté et l’atelier que nous devions animer (avec Monique Ladesou) à la Rencontre des Comités Locaux Attac du 15 juin s’est vu lui aussi ajourné pour cause de manifestation. Voilà, on vous promet un article sur le sujet à la rentrée, si ce blog existe encore, et on remplace par un article sur les Jeux olympiques (puisque c’est semble-t-il incontournable dans la période) les plus politiques,, que j’avais fait pour la Lettre de la LDH (section de Lille). Des jeux pas du tout gratuits, eux, loin s’en faut. Amis sportifs bonjour !

Loin de la vision bisounours qu’en ont eu Coubertin et sa suite, les Jeux Olympiques du XX° siècle ont souvent été l’arène de rivalités politiques sur fond de montée des fascismes ou de guerre froide. On s’arrêtera ici sur trois éditions : 1936 à Berlin, bien sûr, mais aussi Mexico 1968 et Munich 1972, sans préjudice des J.O boycottés par l’un ou l’autre camp de 1976 à 1984, juste avant la chute du mur. Où l’Olympe a parfois été perturbé par les passions humaines.

D’abord 1936. À l’apogée du régime nazi, Berlin est choisie comme organisatrice des jeux. L’occasion pour le régime de prouver aux yeux du monde la suprématie physique de la race aryenne. Mais c’est un athlète noir américain – Jesse Owens – qui rafle toutes les médailles des courses de sprint et Hitler l’a mauvaise. Entre parenthèses, c’est à dater de ces jeux que la flamme olympique partira d’Athènes pour arriver, par étapes, à la cité élue. Un clin d’œil complice avec la Grèce antique, patrie sacrée du rationalisme occidental. Owens remporte quatre médailles d’or et, au nez et à la barbe des dignitaires nazis, fraternise avec le sauteur en longueur Luz Long, un Allemand. Ach !

Des contre-jeux seront organisés dans la Barcelone rouge, les Olympiades populaires, du 19 au 26 juillet 1969, hélas brusquement interrompus par le pronunciamiento du général Franco et les débuts de la guerre civile espagnole, la guerre d’Espagne.

Déjà, l’Italie fasciste de Mussolini avait profité de la coupe du monde de football de 1934 pour valoriser son régime aux yeux du monde. La Squadra Azura battra les barbares tchécoslovaques en finale au stade olympique de Rome.

On passe sans transition à Mexico en octobre 1968, au lendemain d’une révolution mondiale qui a échoué et d’un retour à l’ordre. C’est la première fois qu’un pays du « tiers-monde » se voit confier l’organisation des J.O et ça commence mal avec l’assassinat d’étudiants contestataires sur la place des 3 Cultures à Mexico, dit aussi massacre de Tlatelolco, avec entre 200 et 300 morts exécutés par l’armée et la police. Des jeux qui se termineront avec la démonstration de solidarité de deux athlètes noirs américains avec la lutte pour le plein exercice des droits civiques, après l’assassinat de Martin Luther King, et le combat radical des Black Panthers. Tommie Smith et John Carlos lèveront un poing ganté de noir sur le podium du 200 mètres et leur compagnon de podium, l’Australien Peter Norman, se montrera solidaire. L’hymne américain retentira, mais les deux compères seront vilipendés par l’Amérique WASP, juste avant l’élection de Richard Nixon qui sifflera la fin de la récréation.

Munich 1972 et les exploits du nageur américain Mark Spitz en préambule à des Jeux tragiques qui verront un commando palestinien baptisé Septembre noir (en souvenir des réfugiés palestiniens de l’OLP – dont le FPLP de George Habache – chassés de Jordanie par le roi Hussein en septembre 1970) prendre en otage des athlètes israéliens. Les 5 et 6 septembre, l’événement fait la une de l’actualité et 11 athlètes sont tués, en plus d’un policier allemand, avant l’exécution de 5 Palestiniens parmi les 8. Un massacre en mondiovision qui se termine sur le tarmac de l’aéroport de Munich où le Boeing affrété pour les Palestiniens sera la cible de tireurs d’élite. En représailles, Tsahal va bombarder des camps de réfugiés. Une situation en résonance avec les événements actuels, même si comparaison n’est pas raison.

Là où il y avait consensus olympique au nom d’une communauté internationale réconciliée dans le sport, les jeux de 1976 constitueront le premier accroc à l’entente cordiale dite aussi coexistence pacifique. À Montréal, plusieurs nations africaines boycottent les jeux à cause de la présence de la Nouvelle-Zélande qui a autorisé ses All Blacks à faire une tournée dans l’Afrique du Sud ségrégationniste. Cela n’empêche pas la gymnaste roumaine Nadia Comaneci d’être la reine de Montréal avec autant de médailles qu’un maréchal de l’armée rouge.

À Moscou en 1980, ce sont cette fois les Américains qui font défaut. Les États-Unis de Jimmy Carter, en proie au chantage de l’Iran de Khomeiny avec ses otages américains, ne parviendront pas néanmoins à entraîner tout le monde occidental, mais une cinquantaine de pays boycotteront officiellement pour protester contre l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS. L’ours Misha, mascotte des jeux, ira bouder dans son coin.

Rebelote à Los Angeles, où c’est cette fois l’URSS et les pays frères qui boycottent les Jeux. Officiellement, les athlètes du bloc de l’est disent craindre pour leur sécurité dans la cité des anges, mais ce n’est en fait qu’une réponse du berger à la bergère après le boycott occidental de Moscou.

Séoul, en 1988, réconciliera tout le monde avec un Gorbatchev soucieux de l’image rénovée d’une URSS de la glasnost et de la perestroïka dont l’économie est en chute libre pour avoir voulu concurrencer « la guerre des étoiles » et les dépenses militaires américaines. Un an plus tard, les dominos tomberont un à un et l’ours soviétique s’effondrera. Plus de raison de boycotter dans le monde parfait de la fin de l’histoire, selon Fukuyama.

Pour s’en tenir aux J.O du XX° siècle, on aura encore Barcelone en 1992 qui donnera lieu à une vaste opération de spéculation immobilière et de ce qu’on appelait pas encore gentrification. Les romans de Manuel Vazquez Montalban sont asses révélateurs à cet égard. Puis ce sera Atlanta en 1996, des jeux sponsorisés par Coca Cola dans sa ville emblème. Inutile d’aller plus loin, si ce n’est pour signaler le retour en grâce de la Chine par le CIO en 1979, autorisée à participer avec les athlètes de Taïwan. La Chine de Deng Xiao Ping contre celle de Mao. La Chine qui aura le droit d’organiser à son tour les Jeux en 2008, malgré la réprobation générale, juste après le retour des Jeux dans leur jardin d’origine, à Athènes. La boucle est bouclée.

Avec les éléphants blancs et les faillites des villes organisatrices, mais c’est une autre histoire. Jusqu’à nos jeux parisiens (et un peu Lillois) qu’on nous propose cet été, avec des quais de la scène jonchés de tribunes métalliques qu’on installe à la hâte, des QR Codes pour passer dans certaines zones, des pauvres qu’on va reléguer dans les banlieues des banlieues (ou des gymnases ou des C.R.A), et d’autres victimes collatérales de jeux où le moindre billet se vendra à des prix indécents. Mais bon, l’essentiel n’est-il pas de participer, comme le disait ce cher Baron de Coubertin, un réactionnaire notoire, pour ne pas dire un fasciste.

Des jeux que plus personne ne veut, et la seule candidature de Los Angeles a été retenue pour 2028, sans guère de concurrence. Reste les Jeux olympiques d’hiver de 2026 qui devraient aussi échoir à la doulce France. Même si des mobilisations sont en cours ou se préparent. On ne veut plus jouer à vos jeux de cons qui, sous prétexte d’internationalisme sportif fraternel, mettent des villes en faillite et font du tri social entre les souhaités et les indésirables.

« Ce s'rait chouette les Jeux Olympiques / Tous ces athlètes dans la foulée / Pour un marathon fantastique » (Henri Tachan, Les Jeux Olympiques).
Ce serait bien, oui, mais on n’en est vraiment plus là. La marchandise et le spectacle, comme aurait dit Guy Debord. Ou le spectacle de la marchandise. Hors compétition.
19 juin 2024

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