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BUDDY MURPHY

Elliot Murphy à l’Abattoir de Lillers (62). Photo Murielle D. (sur place).

Buddy Holly et Elliot Murphy, pas grand-chose à voir apparemment. Sauf une anecdote personnelle. Un soir d’hiver, en 2009, j’avais vu Elliot à Wattrelos (Nord) et je m’étais enhardi à venir lui parler après le concert. J’avais commencé par les 50 ans de la mort de Buddy Holy (on était le 3 février), mais le dandy de Rockville (État de New York) n’avait pas compris ce fan français à l’anglais approximatif. L’occasion de faire d’une pierre deux coups : les 65 ans de la mort du binoclard de Lubbock (Texas) et un concert d’Elliot Murphy à Lillers (62), un de plus. Fan un jour…

D’abord Buddy Holly, décédé dans le crash d’un avion tombé du ciel de l’Iowa, le 3 février 1959. Les conditions météorologiques étaient désastreuses, mais le spectacle se devait de continuer et les vedettes qui partageaient l’affiche (Richie « La Bamba » Valens) et le Big Bopper (« Chantilly Lace ») étaient morts dans la neige avec lui. A suburban tragedy ! Buddy Holly était le premier, avant Eddie Cochran. La route du rock’n’roll allait être jonchée de cadavres.

Il était le rocker le plus doué pour les mélodies, à tel point que l’on a pu se demander s’il n’émargeait pas plutôt à la vague College rock, ses chœurs séraphiques, ses mélodies suaves et ses chroniques du vert paradis des amours adolescentes, pour paraphraser Baudelaire.

On revoit sa tête, peu en phase elle aussi avec les standards du rock’n’roll : cheveux courts frisottés sur le devant, épaisses lunettes de myope et large sourire sur une rangée de dents parfaites. Costard-cravate plutôt que blouson de cuir et jeans.

Il naît en octobre 1936 à Lubbock (Texas) et commence à se produire avec ses frères, jouant un peu de guitare. En 1949, il fonde un duo avec un autre chanteur, Robert Montgomery, avec lequel il reprend des classiques de la Country’n’western. Le Texan a plus à voir, là aussi, avec la bonne vieille Country qu’avec le Blues. Il va avoir 20 ans en 1955 quand le groupe s’étoffe et en est maintenant à vouloir imiter Elvis Presley que RCA va signer après des enregistrements remarqués chez Sun Records.

Le succès de Presley amène des producteurs à enregistrer tous azimuts, et Buddy Holly peut enregistrer 4 titres à Nashville, qui resteront dans l’ombre. D’autres sessions auront lieu, à Nashville encore (avec une première version de « That Will Be The Day ») puis chez Decca avec le gratin des musiciens de studio. Mais rien n’y fait, son heure n’est pas arrivée.

C’est en 1957 que Buddy Holly réunit ses anciens comparses pour former The Crickets (les Beatles s’en souviendront en matière de noms d’insectes). Lui à la guitare, Jerry Allison à la batterie, Nicky Sullivan à la guitare rythmique et Larry Welborn à la basse. Dans le studio du producteur Norman Petty sis à Clovis (Nouveau-Mexique), le groupe enregistre plusieurs morceaux dont certains figurent sur leur premier album (The chirping crickets en novembre) : « That Will Be The Day », « Oh Boy ! » ou « Not Fade Away », tous cosignés avec Petty (et parfois Allison). « That Will Be The Day » se classe à la troisième place des charts et Buddy Holly a inventé un style, mi-rockabilly, mi- crooner country.

En février 1958, c’est Buddy Holly sur Coral avec « Peggy Sue » (son plus gros hit), « Everyday », « Rave On », « I’m Gonna Love You Too » ou encore-l’exquis « Word Of Love ». Buddy Holly tourne régulièrement avec Eddie Cochran, les Everly Brothers (au style très proche) ou Chuck Berry.

Troisième album en avril 1958 (That’ll be the day), sorti cette fois chez Decca. Trois albums en six mois, comme s’il sentait la mort à ses trousses. Un album sans véritable hit qui reprend ses premières sessions à Nashville, avec l’increvable « That Will Be The Day », son titre fétiche. Outre les premiers Crickets, Sonny Curtis tient la guitare et Floyd Cramer est au piano.

The Buddy Holly story sortira après sa mort, en février 1959, en fait une compilation avec quelques inédits dont « Heartbeat ». Sa mort qui survient alors que la tournée dite Winter Dance Party (qui comprend aussi Dion & The Belmonts) vole de Clear Lake (Iowa) à Fargo (Dakota). La suite est connue. Le Jiminy Cricket du rock n’avait pas 23 ans. On gravera par erreur Holley sur sa pierre tombale et Don Mc Lean lui rendra, avec « American Pie » le plus bel hommage qui soit.

Buddy Holly sera une grande source d’inspiration pour les Beatles ou les Hollies mais aussi, côté américain, pour les Walker Brothers ou les Beach Boys. De Profundis.

Avec Elliot Murphy, c’est une longue histoire d’admiration. Murphy n’est d’ailleurs pas sans avoir du Buddy Holly en lui, amoureux des mélodies ciselées et d’une certaine élégance dans la façon d’être.

Le gamin de Rockville (ça ne s’invente pas) nous l’a joué Génération perdue à ses débuts, une sorte de Scott Fitzgerald en costume vanille. Aquashow, dès 1973, contenait toutes les nostalgies d’Hollywood et de l’âge d’or du rock (« Last Of The Rock Star »). Hommages à Marilyn Monroe (« she died for her sins »), satire des classes moyennes (« White Middle Class Blues », « How’s The Family »).

Murphy avait fait de la figuration dans le Roma de Fellini, avait sillonné la vieille Europe et écrit les notes de pochette du 1969 Live du Velvet Underground ! « rock’n’roll people are living to the edge ».

Il vénère cette Génération perdue, ces écrivains américains (Fitzgerald, Hemingway, Miller, Dos Passos…) venus se perdre dans le Paris des années 1930, entre deux guerres mondiales. C’est le titre de son album sorti en janvier 1975 avec ce poignant « Lost Generation » mais aussi le superbe « Hollywood » et « Bittersweet ». L’univers de Murphy se partage à nouveau entre nostalgies hollywoodiennes et citations littéraires ; le tout combiné à une vision presque religieuse du rock. Le magazine Rolling Stone (auquel il va collaborer) voit en lui un nouveau Dylan (un de plus) et Creem a les yeux de Chimène.

C’est Murphy le dandy qui surprend encore avec son troisième album, peut-être le meilleur, Night lights (décembre 1975), produit par Steve Katz. On atteint le sublime avec « Isadora’s Dancer » et ses chœurs d’enfants ou « You Never Know What’s You In For » qui reste sa plus belle chanson.

Marinière et manteau de fourrure, Just a story from America, en 1977, nous le montre presque souriant. On peut encore se régaler de quelques morceaux de choix : «Just A Story From America », « Rock Ballad », « Drive All Night »…

Mais Murphy sera balayé par la vague punk qu’il a pourtant largement contribué à faire advenir. Viré du label Polydor pour insuccès chronique, les albums vont se raréfier et, même si la qualité est toujours là, on sent une certaine lassitude. De lui ou de nous ? Un peu les deux. Suivront  Affairs (1980), Murph the surf (1982) et pas moins d’une vingtaine d’albums jusqu’à nos jours, certains sortis sur le label français New Rose, mais il faut avouer qu’on a décroché .

On a fini par préférer le Murphy écrivain, auteur de Café notes et de délicieux recueils de nouvelles, plus un roman original (Marty May) sorte de western surréaliste. Murphy a une belle plume et des lettres, n’hésitant pas à lire sur scène une nouvelle de O’ Henry. Il vit à Paris depuis des lustres et a épouse une Française, tournant dans les coins les plus reculés de province avec le guitariste Olivier Durand (ex Little Bob Story).

Ainsi a-t-on pu le voir à l’Abattoir de Lillers, le 16 février, flanqué d’une violoniste. Cela faisait bien la dixième fois que j’avais l’honneur de l’applaudir mais le concert n’a pas été son meilleur. Au milieu d’un public concentré sur quelques mètres carrés, avec nombreux allers et retours du bar à la salle, on a eu droit aux favorites (mais pas toutes), surtout au rappel. Autrement, beaucoup de titres inconnus de moi, sûrement des chansons de ses albums plus récents. J’aurais bien crié « Isadora’s Dancer » ou « Hollywood » pour qu’il les fasse, mais je suis devenu un vieux monsieur et ce n’est plus de mon âge. Et puis, quelque chose ne fonctionne pas, la voix peine, le violon n’est pas bien venu et on se demande ce que fait l’homme à la rythmique qui se contente de frotter des bouts de bois. Heureusement, on a toujours l’harmonica qui pleure et la guitare qui s’emballe. Mais Elliot, chapeau sur la tête (pour dissimuler sa calvitie?) est toujours aussi attachant et on repart satisfait de constater que des gens comme lui sont toujours en piste, en exercice. Alive and well !

J’aurais voulu aller lui parler après le concert, faire mieux qu’il y a 15 ans, mais l’heure tardive et la route à faire… Et puis, on ne parle pas aux étoiles, on se contente de les admirer. Reviens quand tu veux, Buddy Murphy, je serai toujours là.

25 février 2024

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