OU DOLÉANCES HORS SERVICE

Deux films sur des sujets en apparence différents mais qui se rejoignent dans leur regard précieux sur l’humanité. Les Doléances, dont on a déjà parlé ici et Hors Service, un documentaire sur cinq ex salariés démissionnaires de la Fonction publique. On ne s’attardera donc pas sur Les Doléances, si ce n’est pour rappeler la démarche de la section de Lille de la LDH et pour revenir sur la séance du Fresnoy à Tourcoing, le 9 novembre dernier. Pour Hors Service, on a pu voir le film et on vous en parle ci-dessous. Un documentaire social à ne pas rater. Prochainement sur vos écrans, comme on disait dans le temps.
HORS SERVICE de Jean BOIRON-LAJOUS
Ils sont cinq à cohabiter dans un hôpital désaffecté et chacun prend en charge sa part de travail pour la vie quotidienne et aussi pour rénover un bâtiment qui menace ruine. Tous sont des ex-fonctionnaires qui ont démissionné et qui expliquent pourquoi tout au long de discussions entre eux ou face caméra donnant parfois l’impression d’une thérapie de groupe. Mais le mot thérapie n’a rien de péjoratif, tant ces abîmés du travail ont besoin de se reconstruire et ont terminé leurs carrières respectives malades, soit en burn-out, soit en dépression ou pour des affections psycho-somatiques en lien avec leur travail et la dégradation de leurs conditions de vie.
L’un était dans la police, l’autre était facteur à La Poste. Côté femmes, les plus affectées car subissant la souffrance au travail et leur condition de femme, on trouve une salariée de l’éducation nationale, une infirmière de l’hôpital public et une juge.
Toutes et tous font le même constat, à savoir le délitement du service public vers les contraintes financières et mercantiles du secteur privé. Leurs services publics doivent être rentables et les méthodes du « new management » privé leur sont appliquées, avec encore plus de zèle que dans le privé. Ils subissent toutes et tous des conflits de loyauté, des manquements à leur éthique professionnelle, des consignes et des modes opératoires qui vont à l’encontre de leurs valeurs. « Hors service », ils le sont, et ils n’ont pas hésité à quitter leur emploi pour, en lanceurs d’alerte, dénoncer leurs administrations respectives et refuser le rôle qu’on veut leur faire jouer, au nom de la rentabilité et de la concurrence.
Le policier était entré dans l’institution par désir un peu romantique de venir en aide aux citoyens, et on lui confie des missions de répression contre les populations les plus pauvres et les plus précaires. Il n’accepte pas et, marginalisé par ses collègues qui voient en lui un fada idéaliste et en dehors des réalités, il s’en va. Le postier raconte que le tri postal était quelque chose de convivial, on discutait entre collègues et on blaguait. Les facteurs reçoivent maintenant le courrier trié dans des plateformes et ils doivent courir pour terminer leur tournée. S’il reste des missions de service public comme aider de vieilles personnes ou remplir des papiers pour des gens en difficulté, on fait payer le service, sans vergogne. Ce sont des missions que les facteurs faisaient avant, de leur propre initiative. On suit encore les procès après les grandes grèves,dans les Hauts-De-Seine notamment.
L’éducation nationale est pilotée par des technocrates qui ont les yeux rivés sur des indicateurs de performance et les fameux classements de Shanghai ou d’ailleurs. On cherche l’excellence, tout en laissant de côté les élèves les plus en difficulté, celles et ceux dont les parents n’ont pas de capital culturel. Celle qui nous parle a tout essayé pour enseigner comme elle le souhaitait, avec bienveillance et compétence, mais elle s’est épuisée.
L’infirmière n’a plus supporté les injonctions contradictoires, la maltraitance des patients, le manque de personnel, la tarification à l’activité et les carences de l’hôpital. Elle n’a plus voulu nuire aux patients, elle qui ne voulait que les soigner avec sollicitude et bonté. Et puis c’est la juge qui ne peut plus se laisser broyer par la machine administrative, les prévenus à l’abattage, les consignes sécuritaires de la hiérarchie. Elle pose la robe aussi pour protester contre une justice en manque de moyens qui ne laisse plus le temps nécessaire à la réflexion, à l’exercice d’une justice sereine et à la réinsertion.
Cinq portraits convaincants avec des amateurs démissionnaires qui ne cherchent pas à faire l’acteur, mais qui nous émeuvent et nous interpellent. Jusqu’à quand peut-on faire un travail qu’on a choisi pour son côté humain et qui en réalité nous nuit, nous rend malade, et se trouve être le contraire de ce à quoi on aspirait en terme d’utilité sociale et d’épanouissement personnel ?
À la fin, on voit les cinq téléphoner à des collègues qui sont restés, et ils ne se jugent pas. On les voit aussi reconstituer leur milieu professionnel dans de petites pièces aménagées pour l’occasion, comme pour finalement pouvoir en rire. Pour les cinq, il s’agit de nourrir le projet d’un centre d’accueil pour d’autres démissionnaires, un havre de paix pour se reconstruire et partir vers d’autres horizons. Une utopie ? Ce beau film laisse croire en tout cas à la possibilité d’élargir le champ des possibles. En la possibilité d’un ailleurs pour chacun de nous.
LES DOLÉANCES de Hélène DESPLANQUES
Du film, on a déjà parlé. On a pas parlé en revanche d’une démarche militante initiée par la section de Lille de la LDH. On va la résumer en quelques mots. Afin de combattre les idées nauséabondes de l’extrême-droite mais aussi d’une certaine droite qui en est de plus en plus proche, la section avait décidé d’une initiative consistant à aller aux archives départementales et de consulter les cahiers de doléances du département du Nord, ces lettres par lesquelles s’exprimaient les citoyens dans tous les domaines. Plusieurs après-midis ont été consacrés à ce travail et un tableau récapitulatif renseignait sur les principaux thèmes abordés. Contrairement à ce qu’on aurait pu croire, on parle peu d’immigration ou d’insécurité et les thèmes qui reviennent le plus sont la justice fiscale (rétablissement de l’ISF), les inégalités, la démocratie à travers le RIC (Référendum d’Initiative Citoyenne), les conditions de vie (logement, santé, coût de la vie, transports….) et les privilèges des élus.
Nous avions volontairement borné notre étude à trois types de secteurs géographiques : zones rurales avec Templeuve, semi-rurales avec Hazebrouck et urbaines avec Roubaix-Tourcoing. Après avoir organisé des ciné-débats à Hazebrouck et Templeuve sur la base des Cahiers, notre dernière séance avait lieu au cinéma Le Fresnoy de Tourcoing, en présence de la réalisatrice, le 9 novembre dernier.
Pour rappel, les Gilets jaunes et leur révolte des années 2018 et 2019 ont obligé Macron à lancer le grand débat à partir des Cahiers, mis à disposition de la population dans toutes les mairies. Le supposé « grand débat » n’a pas vraiment eu lieu, malgré quelques assemblées ici ou là. Le jour où Macron devait y aller de son grand discours sur les Doléances, il y a eu le feu à Notre-Dame et la presse et les médias ont préféré mettre la focale sur cet événement. Les mouches avaient changé d’âne, comme on dit au rugby. Puis il y a eu le Covid (mars 2020) et on est passés à autre chose, au « quoi qu’il en coûte » et au « la France est en guerre ».
Le film a le mérite de revenir sur cette séquence et la réalisatrice – Hélène Desplanques – a travaillé avec le maire d’une petite commune de l’Oise (Auger Saint-Vincent), Fabrice Dallongeville qui milite depuis des années pour que les Cahiers soient rendus publics et qu’on en tire enfin le bilan. Dallongeville est présenté dans Altersmédias comme quelqu’un qui « défend une démocratie enracinée dans le quotidien, la parole et la commune… / … Il croit en en la puissance politique des territoires et refuse de succomber à la résignation ».Précisons qu’il n’ a rien à voir – que je sache – avec le Dallongeville du Pas-De-Calais, ex-maire (P.S) de Hénin-Beaumont qui aura mis en selle le Front National avec Briois comme maire et Le Pen fille comme députée.
Le film nous montre donc des image de la révolte des Gilets jaunes qui a fait l’objet d’une répression sans précédent car les gueux ont osé défier le pouvoir sur les lieux saints où il s’exerce. Une vraie guerre sociale qui a mutilé des gens dont le seul tort est de s’être battus pour plus de justice sociale (le rétablissement de l’ISF) et une démocratie directe, à travers le RIC.
On voit donc le cheminement, de la rue à l’Assemblée, pour rendre publics ces Cahiers, pour les numériser et pour qu’il en soit tenu compte. On peut souligner le rôle important qu’a tenue la députée écologiste de la Drôme Marie Pochon dans ce combat qui n’avait rien d’évident tant le but du pouvoir était d’enterrer ces revendications et de passer à autre chose, d’oublier cette révolte des gueux qui a fait trembler la bourgeoisie le temps de quelques week-ends.
Des habitants de Roubaix -Tourcoing on pu prendre connaissance des principaux thèmes de leurs Cahiers, avec une introduction des militants de la LDH qui ont pris le sujet à bras le corps pour relayer les aspirations d’un peuple méprisé et pour aller porter sa parole contre une extrême-droite qui croit savoir ce que veut le peuple : la sécurité et l’immigration. Ces Cahiers nous prouvent qu’il en va tout autrement. Il s’agit maintenant de nous rendre les Cahiers, comme le réclame une association (Rendez-nous les cahiers). En attendant, peut-être, une nouvelle insurrection si les choses en restent là avec la politique de l’offre et ses dégâts sociaux ; une politique rejetée par une grande majorité de la population et qui est conduite par des gouvernements se succédant après une victoire, certes relative, de la gauche aux dernières Législatives. La politique du pire et le mépris, toujours…
9 novembre 2025