
On connaissait jusqu’ici les socios du Barcelone CF ou du Real Madrid, soit des supporters investis dans leur club aussi bien sur le plan sportif que sur la gestion et sur les choix stratégiques de leur équipe favorite.Quelques rares clubs ont suivi ailleurs en Europe, avec des modalités différentes, comme le Bayern Munich ou Sankt Pauli (Hambourg) en Allemagne. C’est maintenant en France que le phénomène prend corps avec d’encore timides participations des supporters au capital. Saint-Étienne, Sochaux, Rouen, Bastia, Guingamp, Bordeaux, Metz… En attendant d’autres clubs qui se laisseront séduire par ce mode de fonctionnement lequel, quoiqu’encore embryonnaire, pourrait rehausser la participation des supporters et les valoriser et, surtout, trouver des alternatives au football fric.
Le modèle économique du football professionnel est en train de s’effondrer. Si les grands clubs ou supposés tels s’en tirent encore avec les droits télé conséquents des compétitions européennes – et avec le merchandising qui va avec – les petits et les moyens s’essoufflent et cherchent désespérément d’autres voies pour rester à flot. Les clubs les plus huppés sont détenus par des aventuriers de la finance quand ce n’est pas des fonds de pension. On a vu ce que cela a pu donner avec l’Olympique Lyonnais et son propriétaire, John Textor, lequel possédait aussi les clubs de Botafogo, Crystal Palace et le RWDM en Belgique.
La bataille sur les droits télé, revus drastiquement à la baisse, a privé en partie la plupart des clubs de leur source principale de financement. Les abonnements DAZN (une chaîne anglaise qui négocie chaque année à la baisse) sont hors de prix et beaucoup de téléspectateurs potentiels ont renoncé.
À cela s’ajoutent des sponsors qui font souvent défaut et des recettes billetterie en baisse constante, surtout quand ces clubs accumulent les contre-performances et restent en bas de tableau.
À côté de cela, le marché des transferts, on l’a vu, s’est emballé et il en coûte énormément pour faire venir des joueurs compétitifs, même si, à la revente, l’opération peut se révéler rentable. D’autant que des pays comme l’Arabie Saoudite ou le Qatar n’hésitent pas à sacrifier des sommes colossales pour s’adjoindre les services de joueurs de Ligue 1. Auparavant, ces pays aux salaires somptuaires étaient la maison de retraite des stars du football (Neymar, Christiano Ronaldo, Benzema…) ; ils recrutent aujourd’hui de jeunes joueurs à peine majeurs pour le plus grand bonheur des clubs qui ont l’heur d’attirer leur attention. C’est ainsi que le club de Neom entraîné par Christophe Galtier, nouveau promu d’Arabie Saoudite, a fait venir Koné (Reims), Benrahma et Lacazette (Lyon). Si les deux derniers sont en âge de raccrocher les cramons, Amadou Koné vient d’avoir 20 ans. Et la tendance est générale dans tous les clubs de la péninsule arabique, jusqu’à se demander s’il finira par rester des joueurs de classe internationale dans les clubs français puisque outre l’Arabie Saoudite ou le Qatar, l’herbe est plus verte en Angleterre, en Espagne, voire en Italie grâce à des recettes beaucoup plus importantes en billetterie autant qu’en droit tv.
Sans parler de SCOP ou de SCIC, on n’en est pas encore là, les quelques tentatives de participation significative des supporters à la vie des clubs pourrait peut-être changer, ne serait-ce qu’un peu, la donne, en attendant l’enracinement de ce phénomène récent (en France en tout cas) et sa généralisation pour atteindre un seuil critique capable de relayer un modèle à bout de souffle. On n’en est pas encore là, mais c’est une tendance à prendre en compte.
L’AS Saint-Étienne a lancé les affaires, avec un sociétaire de marque du nom de Michel Platini, mais les supporters lambda des Verts ont réussi à s’associer et à agir de concert. Si en France les statuts juridiques des clubs interdisent pour l’instant d’obtenir un siège à la direction, les choses pourraient bien évoluer dans le sens d’une place laissée aux supporters qui sont à la base de l’édifice.
À l’En Avant de Guingamp, les socios sont montés à la hauteur de 7,5 % du capital du club et, que ce soit à Saint-Étienne ou à Guingamp, ces prises de participation ont eu lieu dans des clubs aux finances plutôt saines.
Il n’en est pas de même pour le FC Sochaux, les Girondins de Bordeaux, le FC Rouen ou le SC Bastia. Là, les supporters accourent pour des opérations survie, pour sauver leurs clubs favoris de la faillite et de la relégation aux étages inférieurs, comme ce fut le cas de Bordeaux, pensionnaire de National 2 ou, il y a quelques années, de Sedan descendu en Régionale, sans parler des Chamois Niortais, longtemps en Ligue 2 et relégués en Régionale 2. La direction financière de la LFP ne fait plus de cadeaux et, depuis quelques années, se montre impitoyable.
À Bordeaux, les Girondins Socios ont inscrit sur leur site : « une initiative passionnée visant à organiser un actionnariat supporter aidant le club avec pour principal objectif : agir pour le respect de l’institution FCGB ». Tout un programme, sauf que dans un club failli, il est plus facile d’acheter une partie du capital pour cogérer le club.
C’est ce qui s’est passé à Sochaux, un club longtemps pensionnaire de la Ligue 1 avant de descendre en Ligue 2 puis en National où les Lionceaux ne jouent pas les premiers rôles. Après des résultats médiocres et le désinvestissement de Peugeot devenu Stellantis, le club était en redressement judiciaire et a été sauvé par ses supporters les plus généreux qui ont présenté un projet de rachat. Cela a aussi été le cas à Bastia, revenu en Ligue 2 après une descente aux enfers de la Ligue 1 au National.
Des supporters qui volent au secours de leurs clubs fétiches dans des situations de crise, mais, on l’a dit, ils peuvent aussi bien se fédérer et s’unir lorsque leur équipe est en bonne santé. C’est le cas du FC Metz, même si on tient à rappeler que « les supporters supportent », sans négliger leur rôle. Souvent, les supporters restent d’ailleurs dans leur rôle, sans avoir l’ambition de cogérer le club ou d’être associés aux décisions stratégiques.
La fédération des Socios de France est née en octobre 2023 et elle vise comme son nom l’indique à fédérer toutes les associations de supporters, même si elles n’ont pas toutes les mêmes objectifs et les mêmes pouvoirs.
Ces groupements de supporters visent aussi à réduire la distance qui existe entre les dirigeants, les encadrants sportifs (entraîneur, préparateur physique, directeur sportif) et les joueurs. Des joueurs qui passent quand les supporters restent fidèles à leurs clubs de cœur. Les supporters ne veulent plus être d’éternels cochons de payants mais entendent s’inscrire dans la marche du club.
C’est aussi l’image du supportérisme qui est en jeu. Là où la caricature présente souvent des individus avinés, forts en gueule et cherchant à en découdre, ces associations prônent des attitudes et des comportements dignes excluant la parole raciste et homophobe ainsi que les insultes envers des joueurs, le corps arbitral ou des supporters adverses.
Si l ‘entrée au capital et les participations à la gestion et à la stratégie n’est pas encore à l’ordre du jour, l’émergence d’un réseau de supporters crée les conditions d’une meilleure approche du supportérisme dans le but de créer des liens entre tous les échelons de la hiérarchie du club et d’apparaître comme des individus à respecter, eux qui font vivre le club et dont la fidélité est presque toujours indéfectible.
Les clubs ont trop longtemps méprisé leurs supporters, ne prenant conscience de leur existence que pour les stigmatiser en cas d’incidents de tribunes, d’envahissement de terrain ou d’échauffourées aux alentours du stade. C’est ainsi que l’AS Nancy a vu ses matchs à domicile se jouer à huis-clos depuis le début de la saison, ou que des groupes de supporters finissent par bouder leur équipe comme c’est le cas des Ultrems, groupe de supporters acharnés du Stade de Reims. On pourrait citer d’autres exemples de divorce entre les clubs et leurs supporters.
Des socios qui auraient voix au chapitre et pourraient peser sur les décisions seraient peut-être une solution pour éviter des situations de ce genre. Et l’économie malade du football aurait tout intérêt à laisser les supporters constituer un apport de capital stable et constant. De quoi préserver bien des clubs d’investissements hasardeux et de déconvenues financières. Mais on n’en est pas encore là et la prise de pouvoir des supporters n’est pas pour demain. Un jour, peut-être… On peut rêver.
28 septembre 2025
PS : il faut saluer la prise de position anti-fasciste de l’ex défenseur de Manchester United Gary Neville, en direct sur Sky après les manifestations anti-immigrés et le saccage de leurs lieux de vie. Plutôt rare dans un milieu où il est de bon ton de ne pas afficher d’opinions.