
On connaît la petite phrase de Guy Mollet, premier ministre d’une quatrième république finissante et longtemps secrétaire de la SFIO : « nous avons la droite la plus bête du monde ». On connaît aussi la provocation cynique de Staline quand on lui disait que le Vatican vomissait le communisme : « le Vatican, combien de divisions ? ». Manière de dire que seule la force compte. Si la droite n’a jamais brillé par l’intelligence, on peut toutefois se demander si ce n’est pas la gauche telle qu’elle est divisée qui serait « la plus bête du monde » et de rebondir ironiquement sur l’interrogation narquoise du camarade Staline : la gauche, combien de divisions ?
À l’heure où l’extrême-droite piaffe aux portes du pouvoir qu’il finira bien par atteindre avec l’extrême-centre et les L.R qui lui feront la courte échelle en écho du fameux « mieux vaut Hitler que le Front populaire » ; la gauche, qui stagne à un gros 30 % toutes élections confondues, ne parvient pas à s’unir alors qu’elle en aurait le besoin urgent pour contrecarrer l’arrivée maintenant plus que possible d’un Bardella ou d’une Le Pen. On va faire la tournée des popotes à gauche pour voir où chaque parti en est et surtout pour se poser la question de savoir si les divergences, les veto, les oukazes et les dissensions peuvent être dépassées, ou pas.
On va commencer par LFI, avec son leader Jean-Luc Mélenchon et ses presque 20 % aux dernières présidentielles. Même si le programme économique de LFI a toujours été ambitieux et visionnaire, force est de constater que ce qui fait problème réside surtout dans l’autoritarisme de son chef et sa position sur quelques dossiers internationaux parmi lesquels l’Ukraine (mais il y avait eu aussi la Syrie auparavant, sans parler d’un soutien indéfectible à Maduro au Venezuela). L’éviction des contestataires à la veille du second tour des Législatives de l’été 2024 n’a pas aidé, et on ne parle pas de l’élection controversée d’un exécutif qui excluait déjà les réfractaires à l’autoritarisme régnant .
Il est vrai que la démocratie n’a jamais été le point fort du parti gazeux. Pas d’assemblées, pas d’instances intermédiaires entre la base et le sommet avec une direction qui décide et des militants qui suivent, tout juste autorisés à prendre des initiatives locales sans grande portée politique.
On sait que, quoi qu’il arrive, Mélenchon se présentera aux présidentielles et qu’il refusera jusqu’au bout l’idée d’une primaire à gauche. Il n’est pas sûr qu’il fasse aussi bien qu’en 2022 avec les torrents de boue qu’il essuie quotidiennement dans les médias dominants, y compris la scandaleuse accusation d’antisémitisme. « Ce sera eux ou nous !», a-t-il souvent répété à sa base, sous-entendu les fascistes contre LFI. Prédiction autoréalisatrice ? Cela pourrait bien être ni l’un ni l’autre.
À l’autre extrémité du spectre, on a les socialistes et leurs tendances au compromis, si ce n’est à la compromission. Les sociaux-libéraux qui n’ont pas rejoint le macronisme (Hollande, Delga, Le Foll…) sont vent debout contre Olivier Faure et ses partisans, lesquels l’ont emporté d’une courte tête aux deux derniers congrès. Glucksman fils et sa Place publique ne veulent pas entendre parler de Mélenchon et de la F.I, réputés pro-Poutine et antisémites.
Restent au milieu les centristes genre Valleau, Kanner ou Delaporte, qui feront sûrement basculer le parti d’un côté ou de l’autre. Dans les deux cas, la réconciliation et l’unité seront presque impossibles et les socialistes attendront les résultats des Municipales de mars 2026 pour prendre la décision de s’unir ou de partir sous leurs propres couleurs, reste à savoir avec qui comme chef de file ? Faure serait légitime, mais Glucksman rêve d’y aller, sans parler des vieux chevaux de retour à la Hollande. Dans tous les cas, la traversée du désert devrait se poursuivre, en même temps que la dérive social-libérale.
Les Écologistes de Marine Tondelier affichent un profil résolument unitaire, mais les arrières-pensées ne sont pas loin. Forts de leurs scores flatteurs aux dernières Européennes, les Verts se sont vus trop beaux et se sont pensés un temps comme la première force à gauche.
Hélas, les marches pour le climat font de moins en moins recette et le greenwashing et l’écologie de marché ont le vent en poupe dans les cercles dirigeants. Pourtant, les incendies, les inondations et les cataclysmes divers devraient amener de l’eau à leur moulin, mais les Écologistes sont aussi victimes de la bande de traîtres convertis au macronisme ou assimilés ; les De Rugy, Placé, Cohn-Bendit ou Canfin qui justifient en partie le qualificatif de girouettes s’appliquant souvent à eux.
En tout cas et quoi qu’il en ait, c’est le seul parti capable de se plier à la discipline unitaire par une primaire de gauche. Quitte à partir seuls si l’unité n’est pas au programme. Reste à savoir, là aussi, avec qui en tête de gondole ? Tondelier, qui se dit prête, un peu léger ; Rousseau, un repoussoir ; Jadot, un écolo-libéral. Pas sûr qu’une figure émerge d’ici là, et c’est peut-être pour cela que les Écolos sont si unitaires. En tout cas en façade.
Et les communistes ? Une grande confusion programmatique où on parle d’un côté d’économie sociale et solidaire, de sécurité sociale de l’alimentation ou du logement, de nationalisations, d’une banque publique d’investissement et d’une grande réforme fiscale. De l’autre, on a Roussel et ses obsessions de réindustrialisation à marche forcée, son choix du nucléaire, sa volonté d’en finir avec les minima sociaux (tous en formation!), ses propos pro-chasse et anti-woke. Roussel est aussi l’ami des patrons et il ne désire rien tant que de dialoguer avec eux, à la fête de l’Huma ou dans d’autres enceintes. L’ami des policiers aussi, on l’a vu, c’est un homme d’ordre.
Il a été mis à la tête du Parti pour que le PCF ait un candidat à chaque présidentielle, quitte à faire perdre son camp avec ses 2 % dans le meilleur cas de figure. Mais Roussel est là pour faire le job, en petit malin démagogue et roublard. Pas question d’unité pour lui et son Parti où on va encore crier sur l’air des lampions : « le programme avant le candidat ». À quoi bon se poser la question puisque le candidat, c’est toujours lui, hélas.
On passera vite sur l’extrême-gauche ou ce qu’il en reste, à savoir les frères ennemis trotskistes. Le NPA « l’anticapitaliste » s’est rapproche de la LFI et de la gauche, accusée de réformisme par le NPA dit « révolutionnaire » qui a scissionné. On avait déjà les dissidents de Révolution permanente, mais la scissiparité n’est-elle pas une tradition chez eux ?
À Lutte ouvrière, rien de nouveau. On fera encore son petit 1 % (le temps où une Arlette Laguiller tutoyait la barre des 5 % est bien révolu), sans chercher d’alliance et en rabâchant ad libitum le catéchisme archéo-marxiste comme s’il ne s’était rien passé depuis les années 1950.
Les Lambertistes sont aussi divisés que le NPA, c’est dans leur ADN. Le POI s’est lui aussi rapproché de la FI et des militants de cette chapelle composent le service d’ordre du parti. N’appréciant pas ce rapprochement avec les sociaux-démocrates, les opposants se sont réunis sous le sigle POID (D pour démocratique), avant de redevenir le P.T, l’appellation initiale, avec Daniel Gluckstein, lambertiste historique, à leur tête. Un futur candidat à la présidentielle ?
Et puis il y a des petits partis plein de bonne volonté et sincèrement unitaires, mais combien de divisions ? On a Génération.s, son porte-parole Benjamin Lucas et son fondateur Benoît Hamon. Génération.s veut servir de trait d’union de toute la gauche, vaste programme. Ses militants sont actifs et très investis, mais leur fixette sur le revenu de base ne plaît pas à tous leurs partenaires potentiels.
On a aussi L’Après (Alliance Pour une République Écologique et Sociale), qui se veut, comme Génération.s, un trait d’union pour la gauche. Cela nous fait deux traits d’union mais cela risque de ne pas être suffisant. L’Après est pourtant un mouvement intéressant, avec les exclus de LFI (Corbières, Simonet, Garrido), des anciens d’Ensemble Insoumis, du Picardie Debout de Ruffin (même si Ruffin n’a pas engagé sa boutique nationale Debout tout court) et la GDS (Gauche Démocratique et Socialiste) du camarade Filoche. Un mouvement qui se veut féministe, autogestionnaire et écologiste.
Clémentine Autain, ex Ensemble et LFI, est la personnalité la plus visible de ce regroupement de micro-partis. Encore une candidate potentielle ? On plaisante à peine, tant beaucoup de gens à gauche l’apprécient. Votre serviteur le premier.
La gauche saura-t-elle surmonter ses divisions ? Rien n’est moins sûr et, si le pire n’est jamais sûr, les prochaines échéances électorales, à commencer par les municipales de 2026, risquent fort de nous décevoir. Faute d’amener de nouvelles couches de population à voter à gauche dans les quartiers, les zones rurales et dans ce qui reste de la classe ouvrière ; faute d’aller chercher les abstentionnistes (mais tout le monde dit ça), on risque fort de se retrouver gros-jean comme devant, comme un certain 21 avril 2002. Sauf qu’il n’y aura pas de troisième tour. Un jour sans fin ?
27 septembre 2025