
Quand on doit expliquer une blague ou un jeu de mot, c’est généralement que ce n’est pas très bon. Greg pour Gregory Schneider, journaliste sportif à Libération et invité régulier de L’Équipe du soir sur la chaîne L’Équipe. « Y chie le talent » pour l’homonymie, l’euphonie avec Achille Talon, bande dessinée de Greg, justement, qui fit les beaux jours de Pilote. Ceci posé, on peut y aller, en s’excusant encore mais on n’a pas trouvé mieux.
On n’a pas souvent eu de belles plumes dans le journalisme sportif, surtout dans le football. Peut-être un Vincent Duluc dans L’Équipe, quelques vieux briscards de feu France Football, la plupart décédés, comme Gérard Ernault, Jean-Philippe Retacker, Max Urbini ou François De Montvalon ; sans parler des jeunes turcs de So Foot qu’il m’arrivait de lire dans le temps. On ne va pas remonter à Antoine Blondin, hors concours, qui d’ailleurs parlait peu football. Souvent imité par la corporation, mais jamais égalé. Ne pas confondre fulgurances et calembours.
Mais Gregory Schneider, avec ses costumes, sa coupe de cheveux soignée et sa bouille juvénile, c’est du très haut niveau, comme on dit dans le jargon sportif. Un physique d’employé de banque, le genre qui ne paie pas de mine, une mine justement plutôt renfrognée et rarement souriante. Celui qu’on appelle « l’intello du foot » n’est pas ce qui s’appelle un marrant et il convient de convoquer d’autres journalistes pour amuser la galerie sur les plateaux télé. Pas son genre. Pas un rigolo, non, mais beaucoup mieux que cela. Un journaliste-écrivain, presque un moraliste.
Mais c’est d’abord un styliste, entré en 2001 à Libération dont il est devenu le rédacteur en chef des pages sportives. Une syntaxe souvent bousculée et des bonheurs d’écriture comme il s’en trouve rarement. Schneider sait rendre vivant un papier et trouver les mots justes, les formules qui font mouche, les « punchlines » comme on dit maintenant.
C’est en plus un remarquable sociologue du monde du football, connaissant parfaitement les données économiques du foot fric, la politique des dirigeants, des clubs et des instances internationales. Aucun de ses enjeux ne lui est inconnu.
Schneider a des principes, qu’il rappelle souvent sans avoir besoin de les énoncer à chaque fois mais qui peuvent facilement se lire entre ses lignes : priorité aux joueurs qu’il considère comme les vrais créateurs de valeur, et soutien indéfectible aux petits clubs, ceux qui réalisent parfois des performances sans moyen mais avec du cœur.
Une belle écriture donc, mais aussi des analyses sociétales, culturelles ou politiques qu’on trouve rarement chez ses confrères un peu beaufs du genre « ne mélangeons pas le sport et la politique ». Même si leurs médias respectifs n’ont pas été les mêmes, on peut dire que Schneider, c’est l’anti Thierry Roland. Une sorte de Roland Barthes du foot, si on peut imaginer ça.
Gregory Schneider a obtenu un DEA (diplôme d’études approfondies) en économie de l’environnement, puis il a fait de la critique de cinéma dans un fanzine du nom de Repérage. Et enfin Libération, on l’a dit, et à un moment des chroniques sur I Télé (devenu C. News) avec déjà Pascal Praud en rédacteur en chef d’une émission de foot.
Les téléspectateurs ont pu le voir sur la chaîne L’équipe dans l’émission L’équipe du soir où il tranche avec les autres invités réguliers par ses analyses fines, ses informations précises, ses paradoxes et ses provocations, car l’homme n’est pas du genre robinet d’eau tiède et il a nourri quelques polémiques dont on parle encore dans les vestiaires.
Dire par exemple qu’il considère que l’O.M n’a jamais gagné de coupe d’Europe (la fameuse Champions League de 1993 aux dépens du Milan A.C) au motif que le club payait les arbitres. Le genre de vérité pas bonne à dire et qui vous vaut une quasi interdiction de séjour dans les Bouches-Du-Rhône et même dans tout le sud du pays.
Mais il est comme ça, notre petit Gregory, avec un côté romantique et chevaleresque, prêt à payer de sa personne pour défendre l’éthique et la vérité envers et contre tout.
On le soupçonne, politiquement, d’être bien à gauche mais il reste discret sur le chapitre, peu enclin à nous faire part de ses opinions autres que footballistiques et quand bien même il a tendance à considérer le foot, et le sport en général, comme un fait social total et un parfait reflet de la société.
Côté littérature, Schneider a déjà été invité à écrire sur le football dans les colonnes de la NRF, la revue prestigieuse de chez Gallimard. C’est aussi un amateur éclairé de rock et on comprend que ce type me plaise tout particulièrement. Il avait écrit dernièrement un article après la mort de David Ball, fondateur de Soft Cell avec Marc Almond et producteur du Novice de Alain Bashung, entre autres. Affaire de génération, c’est un véritable puits de science sur le rock des années 1980 et 1990. Après tout, le footballeur a presque remplacé la rock star de nos jours, et on court derrière Mbappé ou Lamine Yamal comme on a pu courir derrière des Rod Stewart ou des Elton John dans les années 1970. Rock & Foot, indeed.
Un passionné quoi qu’il en soit, sous des dehors un peu froids et avec une réserve toute british. Mais le grand mérite de Gregory Schneider est de briser les murs, de casser les codes et de casser les frontières entre les publics et les classes sociales, d’écrire à la fois pour le fan de foot traditionnel et pour les intellectuels et les sachants qui peuvent en avoir une approche plus critique. En cela il est un vrai passeur, fédérateur et surtout capable de faire partager ses passions par le style et par l’enthousiasme.
On pourrait rêver que Schneider soit un jour commentateur à la télé ou à la radio à la place des tristes sires qu’on peut voir ou écouter sur Bein ou Canal, sans parler de TF1 ou de M6, mais on gage qu’il dirait que ce n’est pas son métier et qu’il préfère en rester à l’écrit pour un média qu’il affectionne.
On rappellera aussi pour terminer ce concert de louanges que Schneider, et c’est ce qui fait beaucoup de son charme, n’a pas la même vision du foot et des footballeurs que la plupart de ses confrères. À ceux, par exemple, qui disent, avec raison, que les stars du foot sont surpayées, milliardaires rompus à l’évasion fiscale ; lui leur rétorque que ces gens-là, souvent issus de familles pauvres, peuvent faire vivre toute une communauté.
Une façon de voir pour le moins originale qui dit tout sur l’homme, quelqu’un qui aime à prendre à contre-pied ou à dribbler ses collègues du prêt à penser. Bref, un mec bien.
5 novembre 2025