Le site de Didier Delinotte se charge

MÉDIATONIQUES 12

LES REQUINS ET LES PIEUVRES

La fameuse cartographie des médias made in Monde Diplomatique et Acrimed. Merci à eux

On parlait déjà de la pieuvre Hachette dans les années 1970, avec un Lagardère père qui détenait journaux et radios. Le fils a cramé la caisse et d’autres pieuvres, d’autres requins, ont émergé dans l’océan des médias. On les connaît et on a souvent parlé d’eux dans cette rubrique. Stérin, Bolloré, Kretinsky, Arnault, Saadé, Drahi sans parler des plus discrets Bouygues, Pinault, Niel ou Dassault. On remet la focale sur ces quelques individus qui possèdent à eux seuls 90 % des médias, d’autant qu’ils ne se fixent plus aucune limite et s’étendent encore, avant des élections cruciales pour l’avenir du pays. Plus qu’inquiétant.

Stérin par exemple, qui avait, à travers sa fondation Pericles (pour Patriotes, Enracinés, Résistants, Identitaires, Chrétiens, Libéraux, Européens et Souverainistes) le projet de former les futurs cadres de la droite et de favoriser des rapprochements entre la droite dite classique (qui l’est de moins en moins) et l’extrême-droite dans le but de rafler des villes lors des Municipales de 2026 et, plus important, de faire gagner son camp de réactionnaires racistes, néo-fascistes et « anti-woke » pour les Présidentielles de 2027 et les Législatives qui s’en suivront, à moins qu’elles n’aient lieu avant ces échéances.

Après avoir fait choux blanc avec Marianne puis La Croix, Pierre-Édouard Stérin est en passe de racheter Valeurs Actuelles au groupe Valmonde. On n’est pas surpris de voir ce torchon réac tomber dans son escarcelle et on n’oublie pas que l’ex directeur de la rédaction de l’hebdomadaire, Geoffroy Lejeune, était devenu celui du JDD sauce Bolloré, placé là par la volonté du menhir (l’autre menhir, pourrait-on dire).

Pendant tout l’été, Stérin a aussi organisé des spectacles « sons et lumière » sous différentes appellations au nom du Fonds du bien commun ; des spectacles genre Puy-Du-Fou avec une lecture de l’histoire de France qu’on imagine bien orientée à l’extrême-droite, peut-être plus encore que chez son ami De Villiers (et Retailleau). De nombreux maires se sont opposés à ces spectacles dès qu’ils ont connu qui les sponsorisait, ce qui prouve que Stérin, l’homme des Smart-boxes, est loin d’avoir gagné la partie et qu’il a jusqu’ici essuyé plus d’échecs que de succès, ce qui ne l’empêchera pas de continuer. Il a du temps, et de l’argent, beaucoup.

Puisqu’on parle du Puy-Du-Fou, on en vient à Bolloré, qui vient de racheter UGC et a publié le livre nauséabond de son ami De Villiers, Populicide, chez Fayard. La thèse est hardie puisqu’il y est question du génocide du peuple français sous les coups de boutoir de l’Islam, de l’immigration, des dealers, des délinquants, des gauchistes, des woke, des technocrates, des athées et de la finance mondialisée. Ne manquent que les Juifs et les Francs-maçons pour retrouver un parfum d’années 30. De Villiers qui s’est fait une place de choix dans les médias Bolloré, chroniqueur à C. News et sur Europe 1. Politis nous apprend que De Villiers, dans son livre, a vendu la mèche en écrivant que c’est Bolloré lui-même qui l’a tiré de sa paisible retraite en lui proposant ces postes de chroniqueur dans ses médias, lui qui jurait, sous serment, devant une commission d’enquête parlementaire, n’avoir en aucune façon influencé les médias qu’il détenait. On appelle ça un parjure.

Bolloré va maintenant racheter Le Parisien, très endetté, à son ami Arnault. Il ne manquait plus qu’un grand quotidien à son empire médiatique. C’est complet.

Arnault qui, lui, rachète Challenge au quasi-centenaire Claude Perdriel, jadis immortel propriétaire du Nouvel Observateur. C’est cette fois Le Canard Enchaîné qui nous révèle que Arnault a l’intention de modifier la charte éditoriale du magazine en nommant lui-même le directeur de la rédaction. C’est son protégé Nicolas Beytout (L’Opinion) qui l’aurait annoncé au personnel de Challenge. Il faut dire que Arnault s’était souvent plaint publiquement de se voir figuré en tête du classement des 500 plus grosses fortunes de France, alimentant de ce fait une haine des riches qui aboutit à des aberrations comme la taxe Zucman, fort heureusement retoquée. Pour vivre heureux vivons cachés, dit-on.

Le Tchèque charbonneux Kretinsky, lui, est toujours l’heureux propriétaire de Marianne dont il a évincé Natacha Polony, ex directrice de la rédaction pourtant pas une gauchiste. Lui aussi ne doit certainement pas intervenir dans les journaux qu’il détient… Promis.

Mais Kretinsky, c’est aussi Elle qui fête cette année ses 80 ans avec, comme cadeau d’anniversaire, une émission spéciale animée par Inès de la Fressange sur T18, télévision détenue par la CMI, son groupe. Comme le dit Le Canard dans ses brèves Médias, « on n’est jamais mieux servi que par soi-même ».

Requin ou pieuvre, Rodolphe Saadé, l’ami de Trump, étend son empire (BFM TV, RMC, La Tribune dimanche…) à Brut, le média en ligne souvent critiqué pour sa dépendance aux réseaux sociaux comme pour de nombreuses démissions pour souffrance au travail et un anti-syndicalisme acharné. Ce n’est pas Saadé qui risque de ramener la paix sociale. On a à faire à un vrai capitaine d’industrie.

Et si on parlait un peu de Xavier Niel, l’ex pornographe recyclé dans la téléphonie, l’Internet et la presse (Le Monde, Télérama et des participations importantes dans beaucoup de quotidiens régionaux). C’est encore Le Canard Enchaîné (5 novembre) qui nous en apprend de belles : Niel et son épouse Delphine Arnault font construire sur la côte atlantique une maison en bord de mer, en fait un ancien bordel appelé La Rotonde, au mépris des normes de construction locales et, surtout, de la situation du futur palace en zone submersible. On sait bien que des gens de cette qualité n’ont pas à subir les mêmes lois que le commun des mortels. À quoi servirait l’argent, sinon ?

On termine avec le sinistre Patrick Drahi (Libération, L’Express), mais contrairement aux précités, lui vend tout : BFM, RMC jusqu’à son groupe de téléphonie Altice. Endetté comme une mule, Drahi a dû céder ses principales acquisitions et il a trouvé plus requin que lui. C’est la loi du milieu, dira-t-on, mais on peut s’inquiéter de l’avenir de Libération, qui reste un quotidien lisible, dans ces conditions.

Voilà, un tour d’horizon rapide qui rappelle que ces gens forgent l’opinion et détiennent en partie les clés des élections à venir. Acheter, aider, faire vivre les quelques îlots de salubrité de la presse indépendante est plus que jamais nécessaire. Au risque du pire.

6 novembre 2025

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Catégories

Tags

Share it on your social network:

Or you can just copy and share this url
Posts en lien