Le site de Didier Delinotte se charge

NOTES DE LECTURE 76

JOHN BUCHAN – LES 39 MARCHES – Artaud / J’ai lu

Un polar qu’on connaît surtout grâce au film d’Hitchcock. La période anglaise, selon moi la meilleure, avec des petits chefs-d’œuvre comme Young and innocent ou A lady vanished (Une femme disparaît), entre autres.

La préface est de Boileau-Narcejac, des maîtres du roman policier à la française. Elle est édifiante. Ils encensent Buchan et son héros, Richard « Dick » Hannay et louent le polar anglais, jamais très éloigné du fantastique, à la manière d’un Maurice Leblanc qu’ils citent d’abondance.

Hannay donc est un exploitant de mines en Rhodésie. Il se trouve à Londres on ne sait trop pourquoi mais s’y ennuie. Studder, se faisant passer pour un espion, se dit traqué par une mystérieuse organisation composée à la fois d’anarchistes et d’affairistes souhaitant en finir avec les États. Il a simulé sa mort en mettant un cadavre à sa place et parle d’un complot international qui ressemble aux prémices de la première guerre mondiale.

Les Balkans sont troublés et un homme politique grec doit venir à Londres le 15 juin. Studder est persuadé qu’on va l’assassiner, ce qui va entraîner l’Angleterre dans la guerre. Mais Studder est assassiné et commence la fuite de Hannay, pourchassé à la fois par la police qui le soupçonne du meurtre de Studder, comme il est poursuivi par l’organisation.

Il prend la fuite en Écosse et réussit à décrypter les carnets de Studder où il est question du complot international et de mystérieuses 39 marches, ce qu’il pense être le nom de code de toute l’opération. Toujours en cavale, Hannay rencontre un député libéral – Sir Harry – qui lui laisse le soin de prononcer une partie de son discours. Il est toujours sous la menace de la police et de l’organisation. À pied, à bicyclette ou en voiture, Hannay fuit dans la lande écossaise, poursuivi par des hommes en voiture ou en avion. Il use de tas de déguisements avec la complicité de bergers ou de paysans. Un fugitif qui n’est pas sans rappeler le Cary Grant de La mort aux trousses. Hitchcock toujours.

Et puis, au bout de cette fuite éperdue, un quidam qui lui offre l’hospitalité. Il reconnaît vite l’homme au regard de hibou décrit par Studder, le chef de la conspiration, La pierre noire, et Hannay s’est fourré dans la gueule du loup. Il est emmené dans une ferme et fait prisonnier au sous-sol. Rien ne pouvant l’arrêter, il trouve de la dynamite et s’évade à nouveau après une explosion. Il veut revoir le fermier qui l’avait hébergé mais, ne le trouvant pas chez lui, il décide à repartir en Angleterre, à Birmingham.

À peine sorti du train, c’est un certain Sir Walter qui se présente à lui. Il sait tout de l’histoire et est un lord diplomate. Walter commande à la police de le laisser tranquille pour le crime de Portland Place et l’introduit dans le cercle fermé de la diplomatie anglaise. Le Grec, Kilopidès, a été assassiné avec un jour d’avance et un sommet est consacré à l’accueil d’un plénipotentiaire français du nom de Royer. Lors de la réunion préparatoire, Hannay confond le chef de l’amirauté et prouve qu’il est un imposteur. On parle enfin des 39 marches. C’est un document de Studder qui indique cet escalier en bord de mer. Par déduction, Hannay le situe sur une plage du Kent et il trouve une maison en bord de mer habitée par des bourgeois en apparence bien tranquilles.

Ce sont en fait des Allemands appartenant à la Schwarze steine, la pierre noire, et Hannay les démasque à cause d’un tic qu’a l’un d’eux. On est le 15 juin et il est trop tard, les secrets militaires sont passés en Allemagne et la guerre est déclarée quelques semaines plus tard. Hannay s’engage dans l’armée et part au front, mais la plus grande de ses aventures est celle qu’il vient de raconter.

Là aussi, ça se lit vite et on tourne les pages sans s’en apercevoir, pris par l’intrigue. On ne parle même pas de Mr Memory, un prodige de mémoire qui avait un numéro de music-hall dans le film de Hitchcock. Décevant. La première édition date de 1915, réédité en 1962, et le film est de 1935. On peut mesurer l’apport d’Hitchcock qui aura transformé un roman finalement assez médiocre en chef-d’œuvre cinématographique. The touch of class, ou le bonjour d’Alfred.

COLLECTIF DEGEYTER – SOCIOLOGIE DE LILLE – La découverte

Rien à voir avec ce qui précède, c’est de la sociologie comme son titre l’indique. Sociologie de Lille par le collectif Degeyter (auteur de la musique de L’Internationale sur des paroles d’Eugène Potier). Un collectif qui regroupe sociologues, politologues et économistes dont on connaît certaines figures par ailleurs. Des chercheurs comme Fabien Desage, Rémi Lefèvre ou l’ami Antonio Delfini.

D’abord un historique de la métropole lilloise avec le développement du textile et l’émergence de villes comme Roubaix et Tourcoing, à côté de Lille, la préfecture où les industries sont plus diversifiées. Le patronat du textile est plutôt paternaliste, empreint de catholicisme (si peu) social mais la misère ouvrière est grande avec logements insalubres, courées, pauvreté… D’où des problèmes d’alcoolisme et de promiscuité. Du Zola, on dira. Les grandes familles, elles, habitent généralement les maisons de maître du grand boulevard où passe le fameux Tramway d’Alfred Mongy. L’immigration est d’abord flamande avant d’être polonaise puis espagnole, portugaise et maghrébine. Le textile manque de bras mais c’est déjà le déclin dans les années 1950 et l’industrie va péricliter, victime de la concurrence et des délocalisations. Les grandes familles du textile vont se reconvertir dans la grande distribution (Mulliez et Auchan) ou dans la Vente Par Correspondance (VPC).

C’est ensuite de la métropolisation qu’on nous entretient dans le chapitre suivant. D’abord la création de la Communauté urbaine avec une ville nouvelle – Villeneuve d’Ascq en 1970 – pour contrebalancer le poids de Roubaix et Tourcoing. On nous parle du consensus communautaire, à savoir que les élus pratiquent le « donnant – donnant », soit la distribution des mannes communautaires vers les villes de la métropole. Métropolisation et attractivité avec la construction d’Euralille, quartier d’affaires et grand magasin et d’une nouvelle gare Lille Europe qui se veut incontournable pour le continent.

Les grands projets se concrétisent, votés par des maires à qui l’on promet de rénover leur centre-ville. Lille métropole européenne, qui se veut une capitale régionale tertiaire capable de rivaliser avec Londres ou Bruxelles. On rénove aussi l’habitat, avec des destructions de logements populaires pour des immeubles haut standing. Ce qu’on appelle pas encore la gentrification. Tout cela rejoint évidemment les questions du logement et de l’urbanisme. Les pauvres font tâche et on les relègue à la périphérie quand, dans le même temps, on installe au centre des quartiers d’affaire sans contact, et encore moins de profit, pour les populations ségréguées. Eurasanté, Eurotechnologies, Euralille et Grand Stade à Lille, Plaine Image et Eurotéléport à Roubaix, L’Union éco-quartier à Tourcoing. Les exemples se multiplient, aussi vite que la relégation.. Et les géants du BTP s’affairent.

La troisième partie est consacrée à l’emploi et aux inégalités qui sont criantes. La tertiarisation, si elle a été pourvoyeuse d’emplois, n’a pas remplacé les emplois industriels et elle a eu pour corollaire la précarité. Des emplois d’encadrement, mais aussi beaucoup de petites mains (Nettoyage, gardiennage, logistique…). Le contraste entre les classes montantes de l’encadrement et un nouveau prolétariat « de service » est saisissant. Le chômage grimpe dans des villes comme Roubaix, la plus pauvre de France avec 45 % de la population au RSA alors qu’étudiants et salariés du tertiaire et de la tech s’implantent à Wazemmes ou dans des quartiers pauvres de Roubaix – Tourcoing. Pendant ce temps, la bourgeoisie prend ses quartiers dans les villes au bord des grands boulevards (Croix, Wasquehal, Marcq, Bondues, Mouvaux…). La situation des immigrés est encore pire côté emploi, ou plutôt côté chômage, avec des embryons de solution communautaires et solidaires. Les enfants d’immigrés ne parviennent pas à accéder aux standards de vie qu’on leur promet, avec relégation, délinquance et racisme.

Sur la jeunesse et l’éducation, les auteurs soulignent d’emblée le poids du patronat catholique dans la formation des écoles et universités lilloises. L’Université catholique (La Catho), l’ICAM ou HEI à Lille, comme l’ENSAIT ou l’IPR à Roubaix. Formation de cadres et d’ingénieurs pour l’industrie mais aussi, à un niveau plus bas, des futurs ouvriers. L’enseignement confessionnel est dominant par rapport à l’enseignement public. Les futurs ouvriers sortent vite du système scolaire et les inégalités éducatives sont, là aussi, criantes.- Ségrégation spatiale aussi, les grandes écoles à Lille ou Villeneuve d’Ascq et les écoles d’apprentissage à Roubaix ou Tour coing. La carte scolaire est détournée plus que dans tout le pays et la mixité sociale reste une incantation.

Au plan politique, Lille a toujours été un bastion socialiste. Un bastion fissuré ? Des dynasties socialistes se sont succédé à Roubaix alors que Tourcoing a souvent été à droite. Lille et Villeneuve sont socialistes, le « socialisme municipal », comme ils disent, assimilé par certains à du clientélisme. Les nouvelles couches de population boudent la gauche quand les quartiers populaires prisent la gauche radicale. Les logements ouvriers qui votaient massivement socialiste le font de moins en moins. C’est le temps des alliances, pour contrecarrer le recul. Un recul qui semble inexorable car, même si les socialistes sont encore aux affaires à Lille, Roubaix et Tourcoing sont tombés à droite. Avec un nombre de voix ridicule, car le phénomène le plus prégnant reste l’abstention. Une abstention qui frappe surtout les classes populaires et moyennes, ce qui laisse à penser que la gauche vit peut-être ses dernières heures à Lille, même si Lille vote largement à gauche à tous les scrutins nationaux.

Le dernier chapitre est pour la culture, avec les opérations Lille 2004 capitale de la culture puis Lille 3000. Plus le musée La Piscine à Roubaix, le Musée d’art moderne de Villeneuve et d’autres lieux prestigieux. Culture élitiste contre culture populaire ? De grandes manœuvres culturelles qui attirent du monde mais qui semblent loin des couches les plus modestes de la métropole.

La conclusion nous amène dans deux endroits contrastés de la métropole : L’Union, quartier rénové à Tourcoing avec ses lieux pour jeunes urbains dans un cadre dégradé où les classes populaires sont passées à côté de la rénovation. Brigode, quartier résidentiel privatisé de Villeneuve d’Ascq, interdit aux gens extérieurs à la résidence. Les auteurs auraient pu parler des démolitions à l’Alma et à l’Épeule à Roubaix, si le livre avait été plus récent.

Ce n’est pas parce que je connais la région que le livre est intéressant. Il vaut pour le pays, avec des modalités différentes. Un travail utile et précieux qui pousse à la réflexion autant qu’à l’action.

ALAIN ADE – SUPER 16 II : UN ÉTÉ EN PENTE RAIDE – Hello Éditions

Un nouvel opus de l’ami Alain Ade. On avait déjà parlé ici du premier volume, Pas de printemps pour marner (notre homme a toujours fait montre d’un goût immodéré pour le calembour et ses dérivés) et il nous en livre ici la suite. L’été après le printemps, c’est logique, au rythme des saisons. On pourrait lui suggérer pour les deux prochains volumes L’automne à requins ou Un songe en hiver, mais gageons qu’il trouvera beaucoup mieux.

Pour mémoire, le premier volume décrivait avec drôlerie et verve le projet et les prémices d’un film par une bande de sympathiques amateurs, rats de cinémathèque. Le scénario était tiré d’une vieille légende médiévale bretonne exhumée par un professeur de littérature nommé Chouchen, le metteur en scène, Jonathan Queutoy en était le premier assistant, soit l’homme à tout faire et les principaux financements émanaient d’un propriétaire de sex-shop. Des personnages hauts en couleur pour une aventure artistique aussi dérisoire qu’exaltante.

Adoncques, Kadvoz, le chevalier breton rêvant de jeunesse éternelle et d’élixir de jouvence signe un pacte en lettre de sang avec les korrigans dans une forêt obscure. On assiste à tous les détails d’un tournage avec gros plan sur les petits métiers du cinéma. On sent que l’auteur est de la partie et qu’il connaît bien le sujet.

L’acteur principal – Marc Roppert – arrive d’Avignon et la première scène de jour doit se tourner avec Marie-Do en sorcière. La sorcière Arzhula, dite la scrofuleuse, auprès de qui Kadvoz doit se rendre pour mener à bien son projet. Mais la vieille minaude et le succès n’est pas assuré. Le contraste entre le fantastique, voire la féerie de ce conte avec les petits détails du quotidien d’un tournage est saisissant. C’est aussi ce qui fait l’intérêt de ce livre.

Les épisodes se succèdent. Le maire intervient pour faire dégager un véhicule de chantier planté dans ce décor féerique et les gendarmes menacent de sévir avant de s’excuser platement. On peut tourner la scène du druide, du chemin de pierre et de la fontaine miraculeuse. Puis le temps se gâte et on tourne les scènes d’intérieur à la commanderie. Le roman est truffé de références culturelles, littéraires, musicales ou cinématographiques. Pas un étalage de culture, juste des clins d’œil.

C’est ensuite les équipes de télévision qui se bousculent sur le tournage, FR3 Normandie avant Bretagne puis la presse papier locale. Il y a aussi des antinucléaires (on est à l’époque des manifestations contre Plogoff). Un joyeux bordel. Un huissier vient saisir la caméra de Mick Amora, le propriétaire du sex-shop qui n’a pas payé ses traites. On le rassure en lui disant qu’on va appeler Philippe Menez, le producteur, présentement en vacances en Grèce. Plus de caméra mais pas question d’arrêter. On cherche des expédients. Le Berre, qui filme les antinucléaires ou un riche parent, un oncle canadien en vacances en Bretagne. L’argent devient l’obsession et on fait des prédictions aux dominos tout en ayant l’intention d’organiser un loto. Coup de théâtre, Menez n’est pas en Grèce mais sur place.

Non seulement il est rentré mais la famille raque et on rattrape l’huissier de justesse (tiens, je me mets à faire du Ade). Reste à tourner les scènes les plus emblématiques du film : le seigneur Kadvoz qui regarde ses terres du haut d’une tour et le même se mirant dans un lac avec la face du vieux comédien De Kerke se substituant à celle du jeune Roppert. La transfiguration. Encore une fois, trucages, ficelles, système D et stratagèmes. Puis c’est la mort de la biche (pas Eugène), censée symboliser celle de la femme de Kadvoz, Abélia. Du Flaubert, normal pour un Normand. Pour figurer une momie dérivant sur la rivière, on prend une poupée gonflable qui éclate, mordue par un castor. Dernière scène, celle du dialogue entre Odilon le berger et Kadvoz pour l’eau de jouvence, en fait une arnaque d’un sorcier.

Toute l’équipe prend son dernier repas à la commanderie et le tournage est terminé. Une fin de tournage mélancolique. Fin de la saison. Chouchen fait une dépression et Sylvie et Jonathan s’en vont à Londres, en amoureux. Le cinéma s’arrête où commence leur vraie vie.

Un livre attachant, fraternel où on sent une vraie sensibilité derrière le masque de la gaudriole. La pente était raide, mais la route est droite, comme disait à peu près Raffarin (tin tin) pour rester dans la note.

ÉMILE ZOLA – LA FORTUNE DES ROUGON – Unide / France Loisirs

Mimile Zola auto-portrait au béret, Wikipedia

Encore un Zola, je vais finir par avoir lu tous les Rougon-Macquart. Les 20 volumes, depuis ce roman qui est le premier de la saga, jusqu’au Docteur Pascal. L’histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second empire, depuis le coup d’État de Napoléon III (1851) jusqu’à la débâcle de Sedan (1870). L’œuvre d’une vie, débutée en 1871 avec ce livre et terminée en 1893. Soit 22 ans pour cette colossale entreprise, cette fresque qui aura marqué l’histoire de la littérature française. Qui aura marqué l’histoire tout court. Ce premier volume devait s’appeler, fort justement, Les origines.

Zola commence par nous décrire le cimetière de Plassans, une ville de Provence qui pourrait bien être Aix, la ville-berceau des familles qui feront cette histoire. Sur une tombe, Silvère, qui enfouit son fusil en espérant venir le reprendre pour se mêler aux insurgés contestant le coup d’État de Napoléon III. Miette, sa promise, le rejoint et ils s’en vont ailleurs se prodiguer leurs tendresses. Le couple voit arriver les insurgés au son de La Marseillaise, venus de tous les villages voisins et Silvère va se mêler à eux, dans l’enthousiasme et l’exaltation. Les jeunes amants retrouvent ceux de Plassans et partent avec eux. Silvère va déterrer son fusil et Miette sera leur porte-drapeau.

Le deuxième chapitre s’ouvre sur une sorte de sociologie de Plassans : ses quartiers, ses classes, ses familles. C’est aussi la généalogie des Rougon et des Macquart. De Adelaïde Fouque, fille de maraîcher qui épouse un paysan nommé Rougon. Ils ont un fils ensemble, Pierre, avant que le père Rougon ne décède prématurément. Adélaïde s’intéresse à un trimardeur débrouillard du nom de Macquart et elle aura deux enfants avec lui, au risque de se couvrir d’opprobre. Macquart est tué par un douanier alors qu’il fraudait et c’est là que le jeune Pierre Rougon trouve à s’accomplir. Il spolie sa mère, rachète sa propriété, gruge ses demi frères et sœurs qu’a reconnues Macquart, et s’en va épouser la fille d’un marchand d’huile – Félicité – qu’il renfloue avec l’argent qu’il a détourné à son profit. Voilà pour les débuts, les origines aurait dit Zola. Mais l’affaire n’en périclite pas moins et le couple est bientôt à la tête d’une famille nombreuse. Les aînés font des études brillantes avant de rentrer à la maison.

Pierre devient un avocat qui perd tous ses procès, Aristide un étudiant noceur et Pascal, le cadet, se destine à la médecine en s’intéressant à l’hérédité et à l’atavisme. Lui seul n’a pas le profil des Rougon.

C’est ensuite du Plassans politique que nous parle Zola. Des clans se forment en fonction des adhésions politiques au fil des événements historiques. Pierre Rougon et sa femme choisissent la réaction des légitimistes représentés par un vieux nobliau, le marquis de Carnavant, le libraire Vuillet, catholique royaliste et Sicardot, une ganache bonapartiste. Tous férocement anti-républicains, ils rêvent au retour de Henri V. Le salon jaune des Rougon reçoit toute cette coterie réactionnaire et seul Eugène se dit partisan de Louis-Napoléon, lançant un journal – L’indépendant – qui scandalise les conjurés. Son frère Aristide y écrit aussi. Eugène fait miroiter à son père une place de receveur des impôts s’il épouse sa cause. Aristide, son frère, est plutôt du côté républicain et Pascal se contrefiche de la politique, fréquentant le salon jaune uniquement pour établir des comparaisons entre hommes et animaux.

Arrive le coup d’État de Louis-Napoléon, futur Napoléon III, le 2 décembre 1851. C’est la panique dans le salon jaune et chacun se demande s’il ne vaut pas mieux faire allégeance au nouveau pouvoir. Mais des colonnes d’insurgés fondent sur Plassans au son de La Marseillaise. Les bouleversements politiques dans la capitale affectent la bonne société de Plassans, avec quelques jours de retard.

Retour en arrière avec Antoine Macquart qui, démobilisé après la chute de Napoléon, s’en retourne à Plassans demander sa part d’héritage à son demi-frère Jean Rougon. C’est un ivrogne et un fainéant ; Rougon et Félicité ne cèdent pas et il part faire des petits boulots dans la région en maudissant le couple qu’il conspue. Apparaissent tous les personnages qui vont compter dans l’œuvre de Zola : Fine, qui vit avec Antoine, Gervaise leur fille que convoite Lantier, un jeune ouvrier. Macquart est républicain et a l’intention de mener la vie dure aux bourgeois. En attendant, il exploite sa famille où tout le monde travaille sauf lui. N’ayant rien obtenu de Rougon, il se tourne vers la sœur, Ursule devenue Mouret dont le mari s’est pendu. Leur fils, Silvère, est un ouvrier républicain et il vit chez la grand-mère Adélaïde, tante Dide. Macquart tente de le monter contre les Rougon, mais Silvère est une nature généreuse qui ne tombe pas dans le piège.

Fine décédée, Macquart voit partir ses enfants. Il n’a plus de ressources mais 1851 arrive et il prend la tête d’une colonne d’insurgés qui attaque la mairie et les habitués du salon jaune. On en revient au début du récit, là où Silvère et Miette s’étaient joint au cortège. Silvère croit avoir tué un gendarme et il doit fuir. Miette va l’accompagner. On les suit avec les insurgés, rêvant d’amour et de liberté. Une chose est sûre, ils ne retourneront plus à Plassans, la ville qui les a humiliés.

Miette a vu son père condamné au bagne pour avoir tué un garde-chasse et elle a été embauchée chez une lointaine parente des Macquart, les Rebufat. Elle est employée comme valet de ferme sous les injures du fils Rebufat, Justin. Zola nous raconte la genèse des amours de Silvère et de Marie (Miette). Il consacre tout un chapitre à cet amour juvénile qui cherche des endroits pour s’épanouir à l’abri de tous. Les jeunes amants rejoignent les insurgés à Orchères, un village voisin, mais les rapports de force ont changé et les républicains sont décimés par la troupe envoyée en province. Miette est tuée et le docteur Pascal ne peut que constater le décès. Silvère se laisse emporter par la troupe.

Napoléon III a réussi son coup d’État, mais Plassans ne le sait pas, pas encore. C’est Félicité qui l’apprendra d’Eugène par une missive bloquée par Vuillet, nouveau maître des postes. En attendant, Rougon le père est considéré comme un héros pour avoir sorti des armes de sa cave afin de mater les insurgés. Les 41 bourgeois guidés par Rougon n’ont même pas un coup de feu à tirer et Pierre Rougon prend la mairie avec l’auréole du sauveur. Le clan opposé commence à faire courir des bruits sur la duperie de Rougon et des siens, soit-disant vainqueurs d’une bataille fantasmée. Rougon fait fermer les portes de la ville et décrète le couvre-feu. Cela lui vaut des ennemis. Macquart, quasiment le seul insurgé, est jeté en prison. C’est Félicité qui a l’idée de persuader Macquart de reprendre le combat. Elle le fait libérer et lui tend un piège. Rougon peut à nouveau passer pour le sauveur de Plassans, aidé de son ami Gravoux qui fait sonner le tocsin en attendant l’assaut de la garde nationale qui ne fait pas de quartiers. La messe est dite et Aristide Rougon, en parfait opportuniste, se range derrière la réaction. Ils sont tous devenus bonapartistes. Vive l’empereur !

Le dernier chapitre nous invite au banquet organisé par Rougon et sa femme. Il reçoit la légion d’honneur des mains de Sicardot, vieux bonapartiste. La famille Rougon sort enrichie de ses convulsions historiques, presque par hasard et en tout cas par opportunisme. Macquart est prié d’aller se faire voir ailleurs, avec une belle somme d’argent et Peirote le percepteur, le mort de Plassans, véritable remord vivant, peut laisser sa perception à Rougon. Parallèlement, on assiste à l’exécution de Silvère par Regade, le brigadier à qui il avait crevé l’œil d’un coup de fusil. Un paysan simplet meurt avec lui, comme un larron à côté du Christ. C’est dans cette mélancolie crépusculaire que prend fin ce superbe roman.

L’histoire se mêle à la littérature. Comme on a pu dire que Le lys dans la vallée était la vision des 100 jours vue d’un château de la Loire, La fortune des Rougon peut se voir comme le récit du coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte vu d’une sous-préfecture de Provence. C’est aussi le brouillon de l’œuvre gigantesque de Zola, où des personnages juste esquissés reviendront et où la généalogie des Rougon-Macquart est présentée. Les 19 autres volumes seront tissés sur ce canevas. Zola prend plaisir à marier la grande histoire à la petite avec une connaissance terrifiante des bassesses humaines – cupidité, lâcheté et sournoiserie confondues. Seuls trois personnages échappent à son jugement : le jeune Silvère et son amie Miette, plus le docteur Pascal qu’on reverra. Trois âmes pures au milieu d’un cloaque d’ambitions et d’ignominie. Quelle lucidité, quelle clairvoyance ! Dans le mille Émile !

ROBERT VAN GULIK – LE MONASTÈRE HANTÉ – Le livre de poche

On connaît un peu Van Gulik, le Néerlandais sinologue, pour quelques romans policiers situés à diverses époques de la Chine impériale. L’homme connaît parfaitement l’histoire de la Chine et il met un point d’honneur à veiller à ce que ses romans ne comportent aucun anachronisme.

Son personnage récurrent, autant dire son héros, est le juge Ti, qui mène des enquêtes policières à travers l’empire, épaulé par Tao Gan, son fidèle adjoint.

Dans cet épisode, Ti, ses épouses, ses servantes et Tao Gan sont surpris par un violent orage en pleine campagne. Ils aperçoivent un monastère taoïste et y trouvent l’hospitalité. Les femmes prennent leur quartier et Ti voit depuis sa fenêtre une femme nue au bras coupé par un soldat en tenue de guerrier médiéval. On lui dit que le bâtiment faisant face à sa chambre est une réserve qui n’a jamais eu de fenêtre. Mais Ti est sûr de ce qu’il a vu. Il mène l’enquête avec Tao Gan, d’autant que trois jeunes femmes sont mortes dans d’’étranges circonstances l’année d’avant dans ce même monastère : l’une de maladie, la deuxième s’est suicidée et la troisième est morte dans un accident. Ti est intrigué.

Il demande des explications au père prieur pour qui il n’y a rien de suspect dans ses trois morts de personnes extérieures au monastère. L’accidentée est tombée d’une tour au-dessus de la resserre, détail qui intrigue Ti. Un écrivain – Ming Sun – a décidé de se retirer dans le monastère et Ti voudrait le voir. En attendant, il est convié à un spectacle théâtral.

Pendant le spectacle, il aperçoit le guerrier de sa vision se livrant au même assaut contre la femme. Il décide de le voir. Tsong Li, un poète, clôture l’opéra par quelques vers improvisés qui en plaisent ni au frère prieur ni à Ti. Le juge enquête chez les comédiens, deux actrices qu’il soupçonne lesbiennes, l’une que ne quitte pas un ours dressé, et le fameux sabreur. Tao Gan a appris que des rebelles avaient été tués dans le monastère il y a cent ans, et que le fantôme de certains d’entre eux rode encore.

Ti va voir l’écrivain taoïste qui répond à ses interrogations par de vagues préceptes mystiques. Il lui indique sous quels principes a été construit le monastère de façon à ce qu’il ne puisse s’y perdre.

Le banquet a lieu et le poète Tsong Li, saoul, se fend d’indiscrétions sur le monastère et ses résidents. Il dit que Miroir de Jade, le prédécesseur du frère prieur, est mort dans des conditions suspectes et Ti veut interroger Mme Pao – la future nonne – les comédiennes et le toujours introuvable guerrier.

En allant chez Mme Pao, Li est assommé et se retrouve dans l’appartement de la comédienne Ting qui lui avoue sa relation avec Ngeou-Yang, l’actrice à l’ours. Elle lui confie aussi que Mo Mo-Té, le soldat au sabre, connaissait bien le monastère avant l’arrivée de la troupe.

Ça se complique et les apparences sont trompeuses. Interrogeant la fille à l’ours, il découvre que c’est un homme, le frère de Ting venu au monastère pour la dissuader de se faire nonne. Par ailleurs, Tsong Li révèle la correspondance entre son père et Miroir de Jade. Le père supérieur organiserait des orgies avec des drogues comme la belladone. Ti,Tao Gan et Tsong Li descendent dans la crypte et Ti a la certitude que Miroir de Jade a été assassiné. Confondu par ses mensonges, le père supérieur se suicide et Ti est persuadé qu’il a pour complice Mo Mo-Té, déguisé en moine. La galerie des horreurs expose une femme au bras dévoré par un démon et c’est la fille de Mme Pao, Rose-Blanche, qui gît là, faisant couler son sang pour qu’on la remarque. Elle souhaitait renoncer à ses vœux et sa mère l’avait endormie et conduite dans la galerie.

Ti découvre que la vision qu’il a eu est en fait celle de Ming Sun agressant Rose-Blanche, vue depuis la galerie, celle-ci communiquant avec la resserre par une porte dérobée. Ming Sung, de mèche avec Mme Pao, a en fait tué le frère prieur et a voulu se débarrasser de Rose-Blanche. Mo Mo-Té était le frère d’une fille assassinée l’an dernier. L’écrivain taoïste se livrait à des orgies avec le frère prieur et Mme Pao et il se devait de se débarrasser des témoins. C’est aussi lui qui avait assassiné les trois filles.

Il croit pouvoir échapper à tout jugement et Ti lâche l’ours pour le déchiqueter. Justice est faite et Mo Mo-Té, longtemps soupçonné, se réjouit du dénouement.

Un roman agréable à lire où Van Gulik exprime, en plus de son amour de la Chine, sa défiance vis à vis du taoïsme, trop idéaliste et exigeant, au profit du Confucianisme, plus pragmatique, plus humain.

Les dessins du livre sont de lui et ses récits proviennent souvent d’histoires et de légendes locales.

Le polar chinois, il n’y avait guère qu’un Néerlandais pour  inventer ça. De grands voyageurs…

avril 2025

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Catégories

Tags

Share it on your social network:

Or you can just copy and share this url
Posts en lien