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PAR LA FENÊTRE OU PAR LA PORTE ! (FILM)

L’affiche du film, avec l’aimable autorisation…

On a déjà parlé du management brutal de France Télécom ici, en tant qu’ancien salarié d’un service public devenu multinationale au forceps. On en reparle à l’occasion de la projection du film Par le fenêtre ou par la porte, de Jean-Pierre Bloc (2023) que les comités Attac de la métropole lilloise vont passer au cinéma l’Univers le mardi 29 octobre prochain (19h), en présence de Patrick Ackerman, syndicaliste SUD Télécom fondateur de l’Observatoire du stress et des mobilités forcées en 2007, au plus fort d’une crise sociale médiatisée. Tout en nous gardant bien de « spoiler » le documentaire, on se permet ici de le replacer dans le contexte plus général de la souffrance au travail.

Un documentaire qui débute par le témoignage des enfants de Rémi Louvradoux, préventeur (spécialiste des conditions de travail) que sa direction souhaitait reconvertir dans la vente. Des enfants qui rendent hommage à la mémoire de leur père, tellement investi dans son travail qu’il n’a pas supporté de s’en sentir écarté.

Il faut savoir que celles et ceux qui étaient les plus investis dans leur travail ont été les premières victimes de la mutation de l’entreprise en usine à cash où, après des décennies de culture technique, seule la vente importait. Les suicides de la sinistre période milieu et fin des années 2000 en attestent.

Patrick Ackerman est à l’origine de ce film qui se veut une réflexion pour l’action. Non seulement pour que de telles choses ne se reproduisent plus, mais pour donner du sens au travail et le soustraire autant que ce soit possible à la prédation capitaliste.

De nombreux témoins prennent la parole, souvent partie prenante du procès des dirigeants dont Didier Lombard (PDG), Pierre-Louis Wenes (directeur opérationnel) et Olivier Barberot (DRH), les trois inculpés principaux.

On a tour à tour l’avocate Sylvie Topaloff, qui a défendu les plaignants, le juriste Emmanuel Dockès, la représentante du personnel au C.A Hélène Adam, la sociologue du travail Danièle Linhart, l’avocat Jean-Paul Teissonnière ou encore la médecin du travail Dominique Fraysse. Toutes et tous ont leur angle de vue en fonction de leur spécialité, mais ils s’accordent sur l’essentiel, à savoir que les politiques et les dirigeants de l’entreprise ont poussé à bout des salariés auxquels était demandé une adaptation brutale à de nouvelles normes de production et à de nouveaux critères de gestion.

« Je suis chargé de produire de l’amnésie », aurait dit un cadre de Orange à Danièle Linhart, et c’est peut-être cette phrase qui résume le mieux la situation : effacer la mémoire des anciens qui ont connu le service public pour amener une nouvelle couche de salariat plus docile et, surtout, casser les réfractaires en les poussant vers la sortie ou en les placardisant.

Pierre Khalfa, ancien dirigeant de SUD PTT et d’Attac maintenant à la Fondation Copernic dresse l’historique de France Télécom. « Il fut un temps où la moitié du pays attendait le téléphone quand l’autre moitié attendait la tonalité ». C’est par cette plaisanterie éculée mais en partie vraie que Khalfa commence. Une entreprise à forte culture technique où les lignards qui arrivaient dans un quartier ou dans un village pour raccorder les abonnés étaient accueillis en héros. Puis ce furent les années Ségard, sous Giscard, et la volonté d’installer le téléphone dans tous les foyers. Les premières menaces de privatisation datent de la fin des années 1970 où on a pu entendre le slogan « ITT Thomson n’auront pas les Télécoms ». Puis c’est le livre vert européen des Télécoms et les premières privatisations en Europe (British Telecom). En 1987, la Poste et les Télécoms sont séparés, tous deux devenant des Epic avant le rapport Prévost, sous Rocard et le rapport Dandelot. France Télécom doit s’ouvrir aux vents de la concurrence, tout en gardant son statut d’entreprise publique (air connu). Des grandes grèves, massives et ultra-majoritaires en 1993 et 1994, ne font que repousser l’échéance.

1997, à peine Jospin premier ministre, c’est Michel Delebarre qui fait la tournée des popotes avant de pondre son rapport préconisant l’ouverture du capital de l’entreprise. La messe est dite et il sera écrit que ce sont les socialistes qui auront porté l’estocade.

DSK et Pierret sont à la manœuvre avec un Michel Bon aux anges. Du French Cancan à la bourse de New York et la valeur des actions mises sur le marché grimpe au ciel. Le personnel est muselé en partie par l’actionnariat salarié, mais la conjoncture se retourne avec la bulle Internet qui s’effondre et la folle politique d’achats de Bon (Orange UK qui deviendra Orange tout court et l’Allemand E Quant) est sanctionnée. L’action dégringole et Chirac, à peine élu, doit nommer Thierry Breton à la place de Bon. Breton a la lourde tâche de réduire au maximum un endettement de 87 milliards d’Euros, l’équivalent du PIB d’un pays comme le Chili. Il commence à faire le sale boulot et la privatisation, la vraie, a lieu en 2004 avec la part de l’état descendue à 41 %. Elle continuera à descendre jusqu’à 5 %…

Mais on a encore rien vu car c’est l’arrivée de Didier Lombard, en janvier 2005, qui va précipiter l’entreprise dans la pire crise sociale que le pays ait connue. Opérations et plans Next, Time to move, Act et Top, autant de gadgets managériaux qui visent à dégraisser (22000 emplois en moins) et à instaurer l’insécurité dans le personnel par des mobilités incessantes, sans rime ni raison. « Créer de l’amnésie ».

Les premiers suicides ne font pas l’actualité, suicides et dépressions, dépressions et burn-out. Comment continuer à travailler dans une entreprise qui ne veut plus de vous, qui vous pousse vers la sortie ?

En 2007 est crée L’observatoire du stress et des mobilités forcées par le syndicat SUD PTT rejoint par la CFE CGC, pourtant pas un syndicat de lutte. L’Observatoire réunit des sociologues, des médecins, des journalistes et des juristes… Un aréopage de scientifiques qui se mettent au service de syndicalistes avec pour but premier de médiatiser la souffrance au travail dans l’entreprise.

Des assises de l’Observatoire sont organisées avec des interventions des membres de l’instance, mais aussi des témoignages de terrain, des salariés qui parlent avec émotion de leurs collègues suicidés ou simplement en dépression. Des histoires qui racontent des hommes et des femmes dévastées quand leur métier est dévalorisé et qu’on ne leur propose que des jobs de vendeurs ou de centres d’appel.

Puis c’est la crise sociale de France Télécom, désormais Orange, qui fait la une des journaux télévisés à 20h. La France découvre la souffrance au travail, d’autant qu’il y aura aussi Renault Guyancourt, Pôle Emploi, La Poste, la SNCF… Souvent des services publics en réseau que l’on a voulu astreindre à la concurrence pour la plus grande joie des marchés, en maltraitant les personnels avec des objectifs inatteignables et restructurations constantes.

Une enquête nationale est diligentée par le CHS CT National et Didier Lombard parle à la télévision de « mode des suicides », lui qui avait clamé dans un séminaire de cadres qu’on se séparerait des fonctionnaires et des allergiques au changement « par la fenêtre ou par la porte », cette phrase ayant été retirée du compte-rendu officiel. Toute une littérature va se consacrer à Orange.

Le cabinet Technologia, avec bien des difficultés, fait remplir un questionnaire qui révèle que 80 % du personnel n’est pas en phase avec les objectifs de l’entreprise, et que presque autant est en souffrance.

En 2011, un nouveau PDG, Stéphane Richard, remplace Lombard et sa clique et essaie de calmer le jeu. La crise continue mais, ne pouvant donner des inflexions majeures à la politique de l’entreprise, on usera de cosmétiques : sport, sophrologie, chorales, groupes de parole… On repeint les murs et on change les moquettes. Le climat social s’améliore et la pression est moins forte (chat échaudé…), mais on rappelle périodiquement que la concurrence fait rage et les plans se succèdent : opérateur intégré, nouvelles technologies, nouvelle marque, new management.

Un premier procès a lieu en 2019 et Lombard & Co écopent d’un an de prison avec 4 mois ferme. Un nouveau procès en appel éliminera la prison ferme. Ce sont des syndicalistes les ont amenés à la barre.

Le film nous montre, tout au long d’interview passionnantes, les protagonistes de cette affaire, avec des réflexions sur le travail, son organisation, la démocratie en entreprise, les RPS, sans oublier les victimes d’une politique agressive et indigne. Il montre aussi des extraits de la pièce Les indignés, par la compagnie NAJE. On passe un bon moment en se disant surtout « plus jamais ça » !

Cinéma L’Univers – rue Danton à Lille – 29 octobre à 18h30. Débat avec Patrick Ackerman.

9 septembre 2024

Comments:

Je crois que ces « restructurations » diverses, toutes prétextes à fermetures de services et à démolitions de l’intérêt du travail a concerné toute l’administration pendant au moins 20 ans. j’en ai été également témoin dans ma propre administration. Des mises à l’écart, des dépressions…

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