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FRONT POPULAIRE L’ANCIEN, LE VRAI!

Un piquet de grève en 1936 avec plein de salopards en casquette. Photo wikipedia

Après l’Union populaire et la NUPES, c ‘est maintenant sous l’appellation Nouveau Front Populaire (NFP) que la gauche unie avance pour mener la bataille électorale et gouverner. Mouvements politiques enracinés dans les partis comme chez les électeurs, ou simples coalitions électorales pas destinées à survivre à l’élection qui les a fait naître ? En tout cas, les références au Front Populaire, celui de 1936, sont nombreuses dans la période, à commencer par la capacité des mouvements sociaux – syndicats, associations et société civile – à peser sur la gauche unie pour qu’elle puisse gouverner et appliquer tout ou partie des son programme. Petite histoire du Front Populaire historique avec, en complément, ce qu’il convient de faire dès à présent pour éviter le R.N la prochaine fois.

Il faut remonter à l’année 1934 pour bien comprendre la naissance du Front populaire.

Le 6 février, les ligues fascistes emmenées par l’Action Française et des associations d’anciens combattants de 14-18 marchent vers l’Assemblée nationale dans le but de renverser le gouvernement.

En réaction, le 12 février, la CGT et la CGTU (la CGT s’était divisée une première fois dans les années 20 sur le rapport avec la 3° Internationale) sont dans la rue et appellent à la grève. Socialistes de la SFIO et Communistes du PCF défilent ensemble dans la rue.

Même si le PCF lorgne vers l’URSS après le congrès de Tours et considère SFIO et Radicaux comme complices objectifs de la bourgeoisie et même si la SFIO refuse toute alliance avec un P.C jugé inféodé à Moscou, les événements de février 1934 et le péril fasciste vont les pousser à s’unir. L’alliance avec les Radicaux sera plus difficile chacun se renvoyant l’expérience du Cartel des gauches où les Radicaux avaient fini par s’allier avec la droite dans le gouvernement Doumergue, en 1924 et en 1932.

La CGT appelle à la grève générale et des comités antifascistes se forment, de même que le comité des écrivains antifascistes avec Louis Guilloux, Henri Barbusse, André Gide ou André Malraux ; mais les communistes sont souvent absents de ces comités. C’est à la base que la volonté d’union sera clairement revendiquée et le P.C va revenir sur sa stratégie « classe contre classe » élaborée au sein de la III° Internationale (dite aussi Internationale communiste). Maurice Thorez appelle à l’union avec les socialistes et les radicaux, en perte de vitesse électoralement, se décident à rejoindre l’union, accueillis à bras ouverts par les deux forces politiques de gauche qui voient dans les radicaux le parti des classes moyennes et du petit commerce, pour en rester aux catégories socio-professionnelles.

Le 14 juillet 1935, tout le monde – partis, syndicats, associations – défile à l’unisson et la LDH de Victor Basch (qui sera assassiné par la milice en janvier 1944) est le ciment de cette union des gauches. Le comité d’organisation de cette manifestation est chargé d’élaborer un programme de gouvernement dans la perspective des élections législatives du printemps 1936.

Le programme « paix, pain et liberté » est surtout axé sur la défense de la démocratie (dissolution des ligues, droits syndicaux, désarmement) et les nationalisations dans l’industrie. Quelques mesures économiques sont formulées : réduction du temps de travail hebdomadaire sans perte de salaire, grands travaux d’utilité publique, fonds national de chômage. L’inspiration vient du New Deal de Roosevelt et de la relance de la croissance par les grands travaux après la crise de 1929. On parle de tâches immédiates pour apporter une solution aux injustices les plus criantes, mais sans toucher toutefois aux structures de la société.

Le Front Populaire remporte les élections mais des divergences se font jour. 57 % des voix et une large majorité en sièges (386 sur 608) aux élections du 26 avril et du 3 mai 36. Une victoire en trompe l’œil, puisque les résultats de la gauche en 1932 étaient quasiment les mêmes et que la gauche n’a pas progressé malgré l’union. Chacun revendique la victoire, surtout le PCF qui double ses suffrages par rapport à 1932 quand les Radicaux sont en net recul mais conscients d’être la plaque tournante sur l’échiquier politique.

La SFIO, bien que consciente qu’aucun parti seul n’est majoritaire et que la coalition dite prolétarienne PCF SFIO ne l’est pas non plus, prend la tête du gouvernement avec Léon Blum, nommé président du conseil par Albert Lebrun, qui en appelle au réalisme, en appliquant le programme, sans aller au-delà. Un gouvernement constitué de socialistes (Jean Zay, Léo Lagrange, Pierre Cot) et de radicaux (Chautemps, Delbos, Daladier) mais sans les communistes qui affichent leur soutien sans participation. Sa stratégie est de ne pas gouverner et d’accroître son influence auprès des masses.

Avant même la formation du gouvernement, des grèves commencent dans les docks, l ‘aviation, le textile… Puis c’est Renault, l’automobile et tous les secteurs avec des manifestations monstres le 24 mai en souvenir de la semaine sanglante qui vit la répression de la Commune. Des grèves avec occupations et une dimension festive et culturelle. On parlera de « grèves de la joie » (Simone Veil). L’aile gauche de la SFIO (avec Marceau Pivert) soutient les grèves et implore Blum de s’appuyer sur les mouvements sociaux. Le gouvernement est formé le 4 juin et Blum cherche à faire cesser les grèves. Les accords de Matignon, dans la nuit du 7 au 8 juin, sont signés en échange de l’évacuation des usines, après avoir rencontré une délégation du patronat. « Il faut savoir arrêter une grève », dira Maurice Thorez avec 2 millions de grévistes dans toute la France et le patronat qui craint la révolution bolchevique.

Reconnaissance du droit syndical, hausse des salaires de 7 à 15 %, 2 semaines de congés payés et la semaine de 40h. Cela n’empêche pas les grèves de durer jusqu’à l’été 1936. S’ensuit une politique de nationalisations et la création de la SNCF en 1937. 20 milliards sont consacrés aux grands travaux. Soutien des prix agricoles et politique d’électrification des campagnes.

Incapable de se défaire du bourbier colonial, le Front populaire dissout, en Algérie, l’étoile nord-africaine de Messali Hadj (qui deviendra le MNA), même si le code de l’indigénat est vidé de sa substance.

C’’est dans les domaines de l’éducation, de la culture, de la jeunesse et des sports que le Front populaire sera le plus déterminant (CNRS, ENA dont le premier projet fut l’œuvre de Jean Zay, droit d’auteur…).

La non intervention en Espagne reste la tâche noire du Front populaire et Blum refuse d’intervenir, donnant raison aux pacifistes de son gouvernement dont beaucoup furent traumatisés par la grande guerre. Même si Blum a eu des velléités d’intervention, il sait qu’il y aura une alliance de la droite et des radicaux contre lui s’il entre en guerre. Plus grave, le Front populaire ne mesure pas toute l’importance de la montée du nazisme alors qu’il prend des positions fermes contre Mussolini.

Même si le chômage baisse, les hausses de salaires sont rognées par l’inflation et la France entre en crise. Blum refuse de choisir entre le contrôle des changes et l’ouverture aux marchés internationaux.

Une première dévaluation a lieu en septembre, et il est décidé une pause dans les réformes en février 1937. La réforme des retraites s’en trouve abandonnée.

La presse d’extrême-droite déclenche une vague d’antisémitisme et Salengro, ministre de l’intérieur, se suicide après des accusations de désertion durant la grande guerre. En juin 1937, Blum démissionne et est remplacé par le radical Chautemps. Rappelé en mars 1938, Blum forme un gouvernement éphémère avant de démissionner une seconde fois, laissant la place au radical Daladier, décidé à « remettre la France au travail » et revenant sur plusieurs réformes, dont la semaine de 40h. Une forte opposition syndicale et populaire fut durement réprimée, avant les accords de Munich, mais c’est une autre histoire.

Une histoire qui en rappelle une autre, précisément celle que nous vivons. Les mesures immédiates proposées par le NFP (augmentation du SMIC, rétablissement de l’ISF, RIC, blocage des prix…) doivent pouvoir s’appliquer dès maintenant sous peine de décevoir l’électorat de gauche et d’ouvrir grande la porte aux fascistes pour bientôt. Que faire ?

Une note de la Fondation Copernic préconise de faire vivre le NFP au plus près des territoires, en formant des comités dans les entreprises, dans les quartiers, dans les universités. Sans cela, la semi-victoire nous sera volée et Macron essaiera de mettre en place une coalition large pour gagner du temps jusqu’aux présidentielles de 2027, si pas dissolution avant, sans toucher aux grands équilibres.

Dès à présent, les syndicats, associations et membres de la société civile qui ont porté le programme de la NFP se doivent de faire pression pour qu’il puisse gouverner et mettre en place les premières mesures qui font consensus dans la société. Il y va du futur de notre démocratie comme de l’avenir de la gauche dans ce pays.

Au plan régional, Attac s’emploie à créer des comités locaux afin de réunir les forces sociales et écologistes dans les territoires et de les faire peser sur la séquence politique à hauts risques qui s’est ouverte. L’automne sera chaud !

23 juillet 2024

Comments:

Très bon article !
Par contre, je crois qu’il y a une coquille. « En réaction, le 12 février, la CGT et la CGTU (la CGT s’était divisée après la seconde guerre mondiale) ». La CGTU est née durant l’entre-deux-guerres à cause de la volonté de ses fondateurs de se rapprocher de la IIIe internationale et du PCF. En contradiction avec le principe d’indépendance politique des organisations syndicales. La CGT s’est réunifiée avant la IIe guerre mondiale. Puis il y a effectivement eu une nouvelle scission après la guerre avec la naissance de la CGT-FO.

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