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TODD RUNDGREN : UN SORCIER, UNE VRAIE STAR

A wizard / a true star, la pochette « cubiste » pour une musique futuriste. Photo Discogs, avec leur aimable…

C’était pile il y a 50 ans. Todd Rundgren sortait A wizard / A true star, album parfait mariant avec subtilité le rock décadent et la Soul music, le tout couvert d’arrangements et de gimmicks somptueux devant beaucoup aux techniques d’enregistrement les plus sophistiquées à l’époque. Le bougre allait nous sortir l’année d’après un double album,Todd, moins inspiré, avec les frères Brecker, puis plein d’autres encore, hélas sans grâce. Retour sur le petit génie de Philadelphie, sorcier des studios Bearsville et, surtout, retour sur ce qui restera son chef-d’œuvre et l’un des plus grands disques de l’histoire du rock.

Je ne connaissais pas Todd Rundgren avant d’avoir acheté la compilation Nuggets (les pépites), soit un double-album avec une trentaine de titres remontant à l’âge d’or du psychédélisme américain ; le trésor vinylique était d’ailleurs sous-titré « original artefacts from the first psychedelic aera ». Bref, des pépites sauvées de l’oubli par le travail acharné d’un archéologue musical hors-pair, le critique Lenny Kaye (ex Rolling Stone et Creem), qui sera le guitariste de Patti Smith plus tard.

Sur Nuggets, il y avait une composition d’un groupe appelé Nazz, petite confiserie psychédélique signée Todd Rundgren et qui s’intitulait « Open My Eyes ».  Le titre figurait sur le premier album éponyme de la formation de Philadelphie, sorti en octobre 1968. Des mêmes, il y aura aussi Nazz Nazz, sorti en avril 1969 puis Nazz 3 en juillet 1971. En tout, trois albums excellents passés inaperçus à l’époque, sortis chez SGC Records, et réédités par le label Rhino en 1983. Est-il utile de préciser que Todd Rundgren était le maître Jacques de Nazz, chanteur, guitariste, principal compositeur et claviériste occasionnel.

En même temps que sortait le troisième album de Nazz, Rundgren s’était mis sous la protection de l’ex manager de Dylan, Albert Grossman, fondateur du label Bearsville à Woodstock (état de New York). C’est un peu la cigale qui vient se réfugier sous l’aile du vautour, si on voit l’image. Bearsville, fondé en 1970, disparaîtra en 1983, repris justement par Rhino, mais il aura eu le temps de produire des albums du Paul Butterfield Blues Band, des Sparks, des DB’S… et de Todd Rundgren.

Son premier album solo, Runt, est pourtant sorti chez Ampex en juin 1970 avec déjà un hit, « We Gonna Get You A Woman » et des morceaux où le bizarre le dispute au drolatique, comme ce « I’m In The Clique » sur une musique de fanfare. Runt est aussi un groupe, un trio composé de Rundgren et des frères Hunt et Tony Sales (basse et batterie). Rundgren produit et joue de tous les instruments, en sorcier de studio qu’il sera toujours.

Deuxième album solo de Todd Rundgren et deuxième album de Runt si l’on veut, ce Ballad of Todd Rungren, sorti en juin 1971 et qui prouve, s’il en était besoin, les talents de mélodiste du bonhomme. La pochette est signée Ron Mael, chanteur des Sparks au look oscillant entre Charlie Chaplin et Adolph Hitler. Deux titres sortiront en singles, « Be Nice To Me » et « A Long Time, A Long Way To Go », qui se classeront loin dans les charts, mais c’est avec Something / Anything, en février 1972, qu’il va vraiment émerger, produisant la même année le premier album des New York Dolls – les travelos électriques de la Grosse pomme – ainsi que le E pluribus funk de Grand Funk Railroad, le gang métallo de Detroit.

Il convient de s’arrêter sur ce double album que l’on peut considérer comme un excellent brouillon de son œuvre à venir. C’est son disque le plus accessible, avec des petits bijoux mélodiques comme ce poignant « Hello It’s Me », l’une de ses plus belles chansons ; le merveilleux « I Saw The Light », tout en ruptures et en contrastes qui indique déjà ce que sera son album suivant ; « Wolfman Jack » pour les nostalgies Fifties en souvenir du grand DJ de American graffiti ou encore l’excellent « Black Maria » confirmant sa passion pour la Soul music. C’est son premier album édité officiellement par Bearsville, et Runt n’existe plus. Rundgren va pouvoir exercer ses talents seul, sans la complicité des frères Sales

En 1972, Todd Rundgren a expérimenté les hallucinogènes et la mescaline. Rolling Stone le décrit pourtant comme une « Carol King au masculin », pour ses talents de compositeur, et il entend prouver qu’il est bien plus que cela. Il veut s’inspirer de Zappa, de la Progressive pop ou du Jazz-rock pour faire évoluer sa musique et ne plus la cantonner dans le format chansons, aussi inspirées qu’elles puissent être. Avec le claviériste Moogy Klingman, il s’enferme dans un tout nouveau studio à Manhattan, le Secret Studio. Il dispose là de tous les instruments et dispositifs les plus modernes : synthétiseurs, égaliseurs, melotron, vocodeur… Sur certains morceaux, Klingman demande aux membres de son groupe (Moogy And The Rhythm Kingz ) de participer, et il y aura encore les frères Brecker, Rick Derringer et une section de cuivres, mais l’œuvre est de lui et de lui seul. L’album paraît le 2 mars 1973 et c’est un bonheur absolu de presque une heure.

Sur la première face, une succession de morceaux courts dont on peut apprécier le disparate, les changements perpétuels de rythme et les effets électro-acoustiques. « The International Feel », qui sera le fil rouge de l’album, premier et dernier morceau (« Le Feel Internacionale ») d’un disque construit en spirale. « Never Never Land » est une reprise d’un succès d’une comédie musicale de Broadway (Peter Pan ) quand « Rock & Roll Pussy » est une charge contre les libéraux américains se disant « de gauche » pour mieux être de droite. Le plus long morceau de cette face est le magnifique « Zen Archer » qui débute sur une sorte de musique de fanfare électrique et nous emmène jusqu’au vertige psychédélique. On pense aux Beatles de Revolver ou aux Beach Boys de Pet sounds. C’est le seul morceau qui prend son temps et échappe au statut d’exploration aussi courte que géniale.

La seconde face procède du même esprit mais est un peu différente. Si le splendide « Sometimes I Don’t Know What To Feel », suivi de « Does Anybody Love You » renouent avec le format proposé en face 1, on a ensuite 10 minutes de medley soul avec le « I’m So Proud » des Impressions (de Curtis Mayfield), le « Ooh Baby Baby » de Smokey Robinson, le « La La La Means I Love You » des Delfonics et le « Cool Jerk » de Capitol. Un moment magique où les voix noires se conjuguent aux tripatouillages électro-acoustiques dans une sorte de paradis sonore. Suivent quatre morceaux dont on peut savourer l’humour et le disparate : le boogie-woogie de « Hungry For Love » et son improvisation qui doit beaucoup à Zappa ; l’émouvant « I Don’t Want To Tie You Down », une remarquable ballade dans la lignée de Something / Anything ; « Is It My Name ? » et son déferlement de guitares précédant des vocaux qui se perdent dans les sphères électro-acoustiques et, pour finir, ce « Just One Victory »  aérien, ou disons plutôt céleste qui clôt un disque exceptionnel par sa richesse mélodique, ses audaces instrumentales et son sens de l’harmonie. Un final grandiose. On a bien là un album, pas une collection de chansons accolées à la diable.

L’album ne sera pas un gros succès commercial et on verra Todd Rundgren arborer des défroques de rocker décadent, torse nu et maquillé, comme s’il se voulait le Bowie américain. On peut penser, à réécouter ce disque prodigieux, qu’il était plus que ça, en tout cas à l’époque.

Todd, on l’a dit, a encore quelque chose de Something et de Wizard, mais la magie n’opère plus. Quant à Initiation, il sent le fatras mystique où Rundgren récite des chakras, s’inspirant d’un traité de l’occultiste Alice Bailey, qui influencera aussi Van Morrison. Rundgren touché par la grâce ? On préférait la grâce musicale.

Puis il y aura Faithfull, en 1976, l’album de toutes les nostalgies où il revisite les Beatles, les Beach Boys, les Yardbirds, Hendrix. Et c’est le retour du grand Todd Rundgren sur la face B avec une dernière chanson splendide, « The Verb To Love ».

Il y aura aussi Hermit of Mink Hollow, après un tour du monde à la suite d’une crise mystique, enregistré dans les nouveaux studios Utopia. Rundgren en ermite perpétuellement à la recherche de la vérité. Utopia n’est pas qu’un studio, c’est aussi le nom de son nouveau groupe avec lequel il va enregistrer une demi-douzaine d’albums, disons plus pop et plus commerciaux, pour ne pas nous montrer désobligeants.

Mais Rundgren est devenu le symbole d’une pop music emphatique et prétentieuse. Il est agressé par des punks qui le prennent pour cible, pour souffre-douleur, incarnation pour eux de ces pop stars se tenant loin des réalités sociales. Il sort American stars and bars en 1978, un double live enregistré au Bottom Line de New York et au Roxy de Los Angeles, où l’on peut réécouter avec nostalgie ses plus belles chansons, celles du temps où Todd Rundgren était un magicien des sons et un surdoué des studios. Il a encore sorti une vingtaine d’albums après celui-là, mais on avoue humblement ne pas les avoir écoutés. Autant rester sur un bon souvenir. Todd Rundgren, un nom d’origine norvégienne difficile à prononcer, mais une musique facile à aimer, tant elle est universelle et intemporelle.

Todd Rundgren – A wizard / A true star – Bearsville – mars 1973

10 mars 2023

Comments:

Je l’ai découvert avec un train de retard quand sa musique n’était plus en vogue – si elle l’a jamais été vraiment – et la plupart des gens ne connaissent ni son nom ni sa musique. C’est fort dommage, mais il semblerait que les astres ne se sont jamais jamais alignés pour lui.

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