Le site de Didier Delinotte se charge

RANDY NEWMAN : LE MISANTHROPE D’HOLLYWOOD

Randy Newman sur la pochette de Little Criminals, photo Discogs, avec leur aimable… A well-respected man, indeed.

Depuis le temps qu’on avait envie de parler de Randy Newman, on ne va pas attendre d’apprendre sa mort, d’autant que l’auteur-compositeur interprète de Los Angeles se porte plutôt bien, à 82 ans. Issu d’une famille de compositeurs pour musiques de films, il prendra la tangente comme tâcheron du hit chez Mercury avant une carrière solo impeccable où, derrière des mélodies léchées se distingue sa causticité et son ironie, pour ne pas parler de cynisme. Un regard perçant sur la société américaine et sur l’humanité en général, avec un humour aussi subtil que ravageur. Portrait d’une anti-star.

« It’s the jungle out there », fait-il dire au personnage de la série Monk pour laquelle il aura écrit l’une de ses dernières chansons. William Carlos Williams, père spirituel de Allen Ginsberg, disait cela autrement : « y’ a des tas de salauds dehors ! ». Tel est Randy Newman, misanthrope et agoraphobe, d’une sensibilité d’écorché vif qui le rend beaucoup trop vulnérable pour le monde et l’époque. C’est l’histoire de sa vie.

Toute la famille fait dans la musique de films pour Hollywood : trois oncles paternels plus deux cousins et même un neveu. Alfred Newman a même composé l’hymne de la 20th century fox. Le petit Randy ne grandit pas à Hollywood, bien qu’il y soit né. Il passe son enfance et son adolescence à la Nouvelle-Orléans avant de faire ses études supérieures à la University High School de L.A. De ses années en Louisiane, il gardera un fort accent sudiste qu’il ira même jusqu’à cultiver. Sa connaissance des mœurs du sud, dont la ségrégation raciale, de la nostalgie du «Old Dixie » et les rednecks (beaufs sudistes) comptera beaucoup dans son approche critique de la société américaine, sans parler des influences jazz et blues de sa musique.

Incroyablement doué pour écrire des chansons, il travaille un moment à Tin Pan Alley, dans le Brill Building, cette usine à tubes new-yorkaise où des auteurs et autrices telles que Goffin – King, Mann – Weil ou encore Lieber et Stoller pondent des hits au kilomètre pour les roitelets des hit-parades. Il occupera les mêmes fonctions pour le compte des disques Mercury avec des partenaires comme Jackie De Shannon ou PJ Proby. Il compose ses premières chansons à succès, pour les autres : « Mama Told Me Not To Come » pour Eric Burdon fraîchement séparé des Animals avant Three Dog Night, ou « Have You Seen My Baby ? » qui sera repris par les Flamin’ Groovies, entre autres.

Son premier album en solo sort en juin 1968, modestement intitulé Randy Newman create something new under the sun. 11 titres qui, pour la plupart, avaient été enregistrés pour d’autres. C’est le cas notamment de « I Think It’s Going To Rain Today », repris par Burdon. La silhouette de Randy Newman quitte l’obscurité des studios pour s’imposer publiquement : fines lunettes aux armatures métalliques, lèvres minces, sourire sarcastique, cheveux coupés court et menton volontaire. Il est habillé en costume avec des chemises hawaïennes et coiffé d’un Stetson. Tout le contraire de la Pop star chevelue et hirsute que les magazines affichent en couverture.

On remarque surtout le ton caustique et amer de ses chansons qui s’efforcent de décrire certaines réalités américaines pas toujours mises en lumière par l’usine à rêve. Plusieurs de ces chansons seront reprises, par Alan Price, Van Dyke Parks, Judy Collins, les Everly Brothers ou Dusty Springfield.

Par son originalité, son humour et son trait satyrique, Newman intéresse les journalistes de Rolling Stone où il est souvent au sommaire. Greil Marcus écrira beaucoup sur lui, allant même jusqu’à lui consacrer tout un chapitre de son docte ouvrage Mystery train.*

Harry Nilsson sort en 1970 un album de reprises de Randy Newman pour lequel il s’est mis au piano. « Love Story », hit de l’album précédent, figure en bonne place dans ce Nilsson sings Newman, hommage rendu par le Suédois mélancolique au misanthrope d’Hollywood.

Plus intéressant est son deuxième album, 12 songs, sorti en 1970 et enregistré avec des musiciens comme Ron Elliot (ex Beau Brummels), Jim Gordon, Gene Parsons (futur Byrds) ou Ry Cooder.

S’il y reprend beaucoup de ses chansons de la décennie précédente, écrites pour les autres, il s’affirme dans son style caustique à la limite parfois de la parodie, en évitant surtout pas les réalités politiques et sociales de l’Amérique de Nixon. Sans jamais user du pathos ou du revendicatif, Newman nous parle du racisme, de la violence, du mode de vie américain et de sa folie ordinaire, comme dira plus tard un Bukowski avec lequel il a des affinités.

Sail away, sorti en mai 1972, est souvent considéré comme son chef-d’œuvre, disons ex-æquo avec Little criminals, dans un genre différent. Il y a d’abord la chanson-titre, mélancolique et poignante et ce qui sera un hit mondial par Joe Cocker, « You Can Leave Your Hat On ». On retiendra aussi « Loney At The Top », satyre des pop stars mégalomanes, « Old Man », sur la vieillesse dans un pays éternellement jeune, « Political Science », sur les politiciens sans âme et, à la fin de l’envoi, « God’s Song », sous-titré That’s why I love mankind, avec Dieu qui loue l’humanité pour avoir la naïveté de croire en lui.

L’album connaît le succès, surtout en Europe où il est adopté. Son succès aux États-Unis ne repose que sur une frange plutôt cultivée et intellectuelle, loin du grand public rock.

Avec plusieurs musiciens en vue du Country-rock (dont les Eagles au grand complet), un genre à la mode au milieu des années 1970, Newman sort Good old boys en 1974. Toutes les chansons parlent du bon vieux Sud, mais sur un mode ironique et sarcastique, dénonçant les travers racistes (« Rednecks »), la ségrégation «(« Birmingham ») et la misère des ouvriers agricoles au milieu des riches planteurs (« Mr President, Have Pity On The Working Man »). Même si les chansons sont moins bonnes, on sent le vécu d’un homme grandi dans ce vieux Sud qui, avec sa sensibilité exacerbée, a pu en observer les injustices et les turpitudes. Cela dit, il est aussi dur pour le Nord (« Harlem ») qui n’a fait que ghettoïser les noirs pour en faire de la chair à usine, sous couvert d’humanisme.

Little criminals sera son grand album. Avec une quinzaine de musiciens souvent célèbres sous leur propre nom, il tape cette fois dans tous les sens avec un esprit qu’on pourrait qualifier de bête et méchant, au sens où l’était Hara Kiri par exemple. Les petits (« Short People », les truands minables (« Little Criminals »), la psychanalyse (« Sigmund Freud’s impersonation of Albert Einstein In America »), la religion (« Kathleen »)…. Au milieu de toutes ces charges à la dynamite, des chansons belles à pleurer comme ce «Baltimore » (pas tendre pour la ville d’Edgar Poe) ou « In Germany Before The War » où l’on sent le désespoir du Peter Lorre dans M le maudit de Fritz Lang. Sans oublier ce « Jelly Coppers On Parade » qui est peut-être la plus belle. L’émerveillement d’un enfant devant une parade de motards vue à travers son regard naïf. Le misanthrope peut parfois faire montre d’une sensibilité presque maladive et c’est pour cela qu’on l’aime. Un cynique au grand cœur.

Le reste est hélas beaucoup moins bon et, dans Born again (1979), on ne distingue plus trop le second degré avec des chansons comme « It’s Money That I Love » qui laissent perplexes. Pas très bonnes d’abord, mais surtout ambiguës quant à la sincérité du bonhomme qu’on croirait rattrapé par toutes les tares qu’il dénonçait jadis.

Même chose pour son Trouble in paradise (1983), enregistré avec tout le Bottin mondain des musiciens de studio de la côte ouest. Lorsqu’il chante « I Love L.A », qui restera son seul hit de l’époque, on ne sait même plus s’il plaisante et, après tout, on commence à s’en foutre un peu des facéties du sieur Newman qui ne nous intéresse plus vraiment en chanteur original bouffé par un système qu’il était le premier à vaticiner.

Il y aura encore quatre albums sans grand intérêt et une bonne trentaine de chansons ou musiques de films, pour Milos Forman, Barry Levinson ou Richard Donner, sans parler de ses apparitions à l’écran souvent en pianiste de bar quand ce n’est pas dans son propre rôle.

Randy Newman est devenu, avec le temps, un fleuron d’Hollywood, éternel soutien du Parti Démocrate et anti- Trumpiste revendiqué. Il avait dit à un journaliste qui lui demandait pourquoi il ne faisait plus de caricatures, notamment celle de Trump : « Trump est déjà sa propre caricature ». Ce qui tend à prouver que, en dépit d’une baisse de qualité dans ses œuvres, le bougre n’a pas perdu trop de neurones. Allez, Randy, refais-nous un disque digne de toi, et tout sera pardonné. Randy Newman, un subtil mélange entre Bob Dylan et Paul Simon, avec l’humour en plus !

6 juin 2025

* un autre chapitre de ce maître-livre était consacré à Sly Stone, qui vient de nous quitter. On en reparle la fois prochaine.

Comments:

We’ll save Australia
Don’t wanna hurt no kangaroo
We’ll build an all-American amusement park there
They got surfing too

Boom goes London, boom Paris
More room for you and more room for me
And every city the whole world ’round
Will just be another American town
Oh, how peaceful it’ll be
We’ll set everybody free
You wear a Japanese kimono, babe
There’ll be Italian shoes for me
They all hate us anyhow
So let’s drop the big one now
(Political Science)

Répondre à Anonyme Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Catégories

Tags

Share it on your social network:

Or you can just copy and share this url
Posts en lien