« Plus jamais ça ! », le monde d’après… Déjà l’anthropocène et les mobilisations pour le climat (maintenir le réchauffement à – 2 degrés d’ici la fin du siècle) avaient donné lieu à des réflexions sur nos manières de produire et de consommer. C’est maintenant la pandémie mondiale qui nous oblige à nous interroger sur nos modes de vie. Et si la décroissance pouvait nous mener à la sobriété énergétique et à des comportements plus respectueux de la nature ?
On arrête tout, on réfléchit et c’est pas triste. Tel était le sous-titre de L’An 01, une bande dessinée du dessinateur Gébé, devenue un film culte de Jacques Doillon, en 1972. C’était l’époque du Club de Rome et les débuts de l’écologie politique avec, deux ans plus tard, la candidature de Dumont.
Les 30 glorieuses avaient vu les syndicats de salariés réclamer des augmentations de salaires, légitimement, pour infléchir le rapport travail / capital. C’était ce qu’on a appelé le compromis fordiste qui mettait sous le tapis les questions liées aux conditions de travail et aux organisations de la production. Thomas Coutrot, notamment, a bien documenté ce phénomène (1).
Seule ce qu’on a appelé la deuxième gauche et la CFDT ont commencé à mener une réflexion sur nos manières de produire et nos modes de vie, mais l’autogestion et les nouvelles régulations ont vite laissé la place à un simple accompagnement, à peine social, du néo-libéralisme.
Dans les années 90, le syndicalisme des SUD, avec l’altermondialisme, ont remis au premier plan les valeurs défendues par la CFDT des années 70 : écologie, autogestion, féminisme, auxquelles se sont ajoutés la lutte contre les oppressions de classe, de race et de genre.
Dans le même temps sont apparus les théoriciens de la décroissance, en premier lieu Serge Latouche, Dominique Méda et Paul Ariès. Les nombreux essais de Latouche critiquent tous les économistes, la notion de développement durable et pointent la nécessité de consommer moins et de produire différemment. Plus récemment, Ariès aborde aussi les questions du bien vivre, du bien vivre, de la gratuité et des communs, afin de soustraire des pans entiers d’activité à la prédation capitaliste.
Ces penseurs – on pourrait en citer d’autres comme Georgescu-Roegen, le père de la décroissance – ont approfondi les concepts des pionniers de la critique du productivisme, de la société de consommation et de l’aliénation contemporaine que furent des philosophes comme André Gorz, Jacques Ellul ou Ivan Illich. Il fallait déconstruire la vision « croissantiste » des économistes classiques, ceux-là même qui voyaient dans la hausse du PIB la source du bonheur universel.
Il ne s’agit pas ici d’emboîter le pas des penseurs catastrophistes de l’effondrement, dont Pablo Servigne ou, plus connu, Yves Cochet, mais, à la manière d’un Jean Gadrey (2), de se demander ce qui doit croître et ce qui doit décroître, d’aller vers la sobriété énergétique, l’emploi sans la croissance (à l’inverse de la croissance sans l’emploi actuellement) et de critiquer l’aberration anthropologique que sont les indicateurs économiques dits de production de richesse.
Pour Gadrey, la croissance ne reviendra pas et il est vain de l’attendre. Au lieu de lancer des incantations à la croissance comme d’autres imploraient les dieux de la pluie, mieux vaut limiter nos besoins à l’essentiel, travailler moins pour travailler tous et dépendre le moins possible des énergies carbonées. Défaire ce qu’ont fait de nous la publicité et le marketing.
La décroissance – raisonnée – est aussi liée à des questions qui font débat dans la société, comme le revenu inconditionnel ou la lutte antinucléaire et anti-productiviste. Des questions qui divisent aussi la gauche, politique comme syndicale. On est en tout cas à la croisée des chemins, à la grande bifurcation, où il devient urgent de modifier radicalement – ou progressivement selon le degré d’urgence estimé – nos modes de vie, donc nos façons de produire et de consommer.
Le bien vivre et la sobriété plutôt que la mort par asphyxie avec les grands projets inutiles et l’aliénation consumériste des Amazon et des GAFA, des multinationales et des banques. Le choix paraît clair, même si malheureusement pas pour tout le monde, car le capitalisme financiarisé nourrit une caste de possédants qu’il faudra contraindre pour nous laisser respirer.
Sur les moyens, c’est une autre histoire, un autre débat qui engage de nouvelles formes de pouvoir, d’institutions, de démocratie autant dire. Des questions que les nouveaux secteurs militants doivent prendre à bras le corps.
(1) : Libérer Le Travail, sous-titré Pourquoi la gauche s’en moque et pourquoi ça doit changer ? Le Seuil 2018.
(2) : Adieu À La Croissance – Les Petits Matins 2010.