Une interjection de bande dessinée anglo-saxonne, mais aussi un groupe de la vague punk anglaise ayant déferlé à l’été 1976. La mort de leur premier guitariste Brian James nous oblige à reparler de ce combo exceptionnel qui fut certainement, peut-être plus que pour les institutions Clash ou Sex Pistols l’aboutissement musical de ce que le Punk-rock aurait pu être. Portrait des damnés et de l’écho fracassant de leur court passage sur terre.
Ce devait être en novembre 1976, un concert au Victoria Theatre avec, à l’affiche, Graham Parker And The Rumour, le Sean Tyla Gang et Damned. J’en garde un souvenir ineffaçable, tout de puissance et de hargne. C’était le premier groupe de punk-rock qu’il m’était donné de voir, si on excepte nos Bijou et Little Bob Story nationaux (l’étaient-ils vraiment?) et j’avais raté les Sex Pistols au Chalet du lac à Vincennes, un peu plus tôt.
Il me revient en mémoire les quelques lignes écrites par Norman Mailer après le concert du MC5 à la convention démocrate de Chicago en août 1968, et j’aurais pu le paraphraser : « un vortex nihiliste, le son du chaos et l’expression de la folie pure ». Qui étaient ces dynamiteurs bardés de cuir qui m’avaient mis k.o ?
Ils étaient tous originaires de Croydon, un quartier au sud du Grand Londres. Leur histoire commence justement avec le défunt Brian Robertson, alias Brian James, guitariste des London SS, l’un des premiers groupes punk de l’histoire qui aura aussi pour pensionnaire un certain Mick Jones, futur Clash. Autre membre de ces SS Londoniens d’opérette, le batteur Chris Millar alias Rat Scabbies qui s’est déjà illustré dans un obscur combo managé par Dick Taylor, des Pretty Things.
Les SS n’ont pas bonne presse et leurs provocations attirent plus l’attention que leurs qualités musicales. Ce sera ensuite les Subterraneans (d’après Kerouac) avec les renforts de Ray Burns, alias Captain Sensible de son nom de guerre punk, à la basse et le journaliste du New Musical Express Nick Kent au chant. Nick Kent sera aussi des premiers Sex Pistols, véritable Zélig du punk-rock anglais.
Mais Nick Kent est plus doué de la plume que du micro et il est vite remplacé par Dave Vanian, David Letts de son vrai nom. Vanian, avec Scabbies et Sensible avaient déjà joué ensemble avec la belle Chrissie Hynde (alors girl-friend de Kent) chez les Masters of the backside, groupe en son temps managé par le sulfureux Malcolm Mc Laren. Vanian se distingue par son look vampire avec costard cravate, visage crayeux et lèvres peintes. Les autres sont plutôt pantalons de cuir et t.shirts rapiécés, soit la panoplie punk.
Le groupe ainsi définitivement formé commence à se produire au 100 Club, une boîte d’Oxford Street où ils jouent parfois en première partie des Pistols. Ils sont du festival punk de Mont-de-Marsan organisé par Zermati en août 1976 et sortent « New Rose », leur premier single, en octobre. C’est quasiment la première galette de l’ère punk avec un riff mortel de basse et un martellement monstrueux de batterie sur une mélodie dont la rusticité n’exclut pas la puissance. Le single est sorti chez Stiff Records, la marque qui monte, celle qui signera Costello et d’autres pépites du punk. Damned est invité par John Peel à s’illustrer lors de ses Peel sessions sur BBC1. Ils sont programmés pour suivre la tournée des Pistols, mais l’incident entre Steve Jones et l’animateur de l’émission Today Bill Grundy dissuade l’entourage du groupe de se commettre avec eux.
C’est en février 1977 que paraît leur premier album (Damned, damned, damned), produit par Nick Lowe et dont les chansons ont été composées par Brian James, le leader du groupe. Outre une reprise du « 1970 » des Stooges rebaptisée « I Feel Alright », on trouve 11 compositions originales qui impressionnent par leur qualité mélodique comme par leur puissance rythmique. La première face est parfaite avec « Neat Neat Neat », « Fan Club » ou « Born To Kill ». Première offense.
Après la sortie de leur premier opus, ils partent en tournée avec T. Rex dont c’est le dernier tour de piste avant un engagement au CBGB, La Mecque du punk américain.
Leur deuxième album, Music for pleasure, est déconcertant. Moins de bonnes chansons à part leur « Problem Child », l’un de leurs morceaux les plus connus. Une pochette art abstrait, une production Nick Mason (Pink Floyd) et la présence de Lol Coxhill, saxophoniste plutôt jazz. On s’y perd. Les compositions de James se font plus rares et il part rejoindre les Lords of the new church de Stiv Bators (ex Dead Boys). Fin du premier acte. En 1978, le groupe n’existe plus. Le côté éphémère du punk…
En 1979, Lemmy Kilmister (Motörhead) prend provisoirement la basse et Sensible permute à la guitare. Lemmy ne fait guère qu’une panouille et il est remplacé à son tour par l’ex Saints, l’Australien Algy Ward.
Ils enregistrent chez Picwick Records un troisième album, Machine gun etiquette. « Love Song » et « Smash It Up » font autant de hits et le groupe reprend le « Looking At You » du MC5. Captain Sensible est devenu le compositeur prolixe du groupe et leur musique a viré vers un psychédélisme baroque d’une belle richesse musicale.
Les années 1980 s’annoncent plutôt bien pour Damned, même si l’heure du Punk est passée depuis longtemps et que les temps sont à la New wave. Ils sortent The black album en octobre 1980, renforçant le caractère gothique du chanteur Dave Vanian au détriment de l’humour surréaliste de Captain Sensible, lequel amorcera une carrière solo. C’est néanmoins un album de grande classe, ou plutôt un double album avec une face en public. Le disque à la pierre tombale dont le titre fait référence au double album blanc des Beatles déconcerte par sa diversité et séduit par sa richesse. Comme le double blanc, il fourmille de trouvailles, de fausses pistes, de faux départs, de collages et de fragments. Le morceau de choix n’en reste pas moins ce « «Curtain Call » de 17 minutes, d’après Rimski-Korsakov. Ces punks seraient-ils devenus mélomanes ?
L’album, trop original pour leur public, fait un bide et Damned n’a plus de maison de disque. Ils enregistrent quelques singles sur des labels indépendants dans la période. Paul Gray (ex Eddie & The Hot Rods) a pris la place de Captain Sensible qui triomphe en solo ((« Said captain ? He said wot ? ») et Dave Vanian s’est rebaptisé Billy Karloff, toujours sous influence vampiresque et Nosferatu.
C’est ensuite ce qui reste peut-être leur chef-d’œuvre, Strawberries (automne 1982), l’album au porc. Le disque est une merveille, enregistré aux studios gallois Rockfield sous la direction de Hugh Jones pour le label Bronze. 11 chansons subtiles et entêtantes, moitié psychédélique, moitié punk-rock ; le tout très mélodique et on pense parfois au rock symphonique (Peter Fripp est passé en studio). Un OVNI discographique qui tend à prouver que Damned n’a rien du groupe punk lambda.
Et puis tout va se déglinguer avec d’incessants changements de personnel (encore). Gray quitte le navire et, plus grave, est suivi par Captain Sensible qui se donne à plein à sa carrière solo. Dave Vanian est maintenant seul maître à bord et on recrute chez les Damned : Bryan Merrick (basse) et Roman Jugg (guitare). Le groupe a la chance de signer chez MCA et – Vanian oblige – va sortir encore deux albums dans le genre gothique et caverneux : Phantasmagoria en 1985 et Anything l’année d’après, sans préjudice d’un album de reprises de hits des années 1960 sous le nom improbable de Naz Nomad And The Nightmares (Give daddy the knife, Cindy, en 1984).
Dès lors, la messe (noire) est dite. Il y aura d’autres dissolutions et d’autres reformations et le groupe aura existé jusqu’au moins les années 2010 avec encore d’incessants changements dont une certaine Patricia Morrisson, ex du Gun Club. Même Captain Sensible est retourné au bercail après le relatif échec de son envol en solo. Les Damned ont encore commis deux albums en 2018 et 2023, c’est assez dire si la bête refuse de mourir.
Pour notre part, on retiendra surtout la période 1976 – 1982 où le groupe, se réinventant sans cesse. Il aura été, peut-être avec Jam, le plus séduisant et le plus original du Punk-rock anglais, bien meilleurs à mon humble avis que les Clash ou les Sex Pistols (et quand bien même je doive en faire hurler d’aucuns).
Car une fois oubliés l’épouvante à deux balles et le grand-guignol made in Vanian, on a eu avec eux l’une des plus belles illustrations et des plus originales aventures du rock anglais. Damned ! Voilà que je me fais lyrique maintenant. It’s only rock’n’roll, après tout. But I still like it !
28 avril 2025
Merci pour ce rappel, Didier.