On connaît depuis longtemps les Grand projets inutiles et imposés (GPII). Faudra-t-il inventer une catégorie supérieure, les GPA (Grands projets aberrants), tout aussi inutiles et tout aussi imposés d’ailleurs. On en parle depuis les années 1990 et les thuriféraires de ce projet vous disent que c’est déjà quasiment fait (comme l’A69 par exemple), mais la résistance s’organise sous l’égide des Soulèvements de la terre avec des associations comme Attac, XR ou Greenpeace. De quoi s’agit-il exactement ? De la mise en réseau des affluents du nord de la Seine avec les grands ports européens, Anvers et Rotterdam. On croirait revivre les grands travaux de Staline ou Mao !
Sauf que dans le cas présent, ce ne sont pas des bagnards des colonies pénitentiaires qui sont à l’œuvre, mais des entreprises de BTP ravies de l’aubaine pour la construction d’un projet pharaonique visant à connecter Paris et les affluents de la Seine au Nord avec les grands ports de commerce que sont Anvers ou Rotterdam. L’objectif, faire circuler sur le canal rénové des bateaux d’une envergure au moins quatre fois plus importante qu’actuellement.
Le coût financier est estimé à 10 milliards d’Euros, sans cesse réévalué alors qu’il était estimé à 4,5 milliards. Déjà, les grands du BTP comme Vinci ou Bouygues avaient abandonné le projet, pas assez rentable à leur goût. Les partenariats public- privé (PPP) n’avaient pas survécu aux appétits financiers des géants du BTP et on avait dû pallier à ce désastre économique avec de l’argent public.
Problème, comment trouver les milliards qui font défaut quand les financements de projets annexes ont été gelés. En attendant, les grands travaux ont commencé avec des terres cultivables perdues et des arbres coupés. Le CSNE (Canal Seine Nord Europe) avance à grands pas, sans budget arrêté mais on dit déjà aux opposants au projet qu’il est trop tard et que les travaux sont déjà largement entamés. Il suffit d’écouter le président du Conseil régional, Xavier Bertrand , et son fameux « il fallait se réveiller avant, pourquoi maintenant ? ». Monsieur Prud’homme n’aurait pas dit mieux.
Un chantier du siècle, ou disons plutôt l’un des chantiers du siècle, pour 107 kilomètres de détours pour l’Oise et l’Aisne. Plus de 3000 hectares artificialisés, 300 espèces menacées, 35 millions de mètres cube d’eau accaparé es avec des retenues d’eau 20 fois plus grandes que Sainte-Soline et, pour faire bonne mesure, des tranchées allant jusqu’à 43 mètres de hauteur. Tout est fait pour donner une dimension gigantesque à ce saccage écologique risquant de détruire toute la biodiversité alentour, même si on nous parle comme d’habitude de compensations : quelques arbres plantés ça et là pour atténuer l’empreinte carbone. Ce sont là les nouvelles indulgences des tenants de cette nouvelle religion du progrès quoi qu’il en coûte (quoi qu’il nous en coûte).
Les principaux arguments tournent autour de la diminution du trafic routier et des emplois créés. On ne demande qu’à les croire, mais les réalités s’imposent. D’abord, la société du canal a prévu de fermer deux ans durant le canal existant, laissant les poids lourds remplacer la batellerie. D’autre part, la déstructuration du réseau fluvial tel qu’il existe va mettre sur les routes des camions dont le trafic sera amplifié par les flux commerciaux. Lors d’un débat public à Lille, des intervenants du Rail et de la Batellerie nous ont bien expliqué que ce canal va venir concurrencer le fret ferroviaire et interrompre les flux de batellerie avec la fermeture provisoire du canal avant de subir la « concurrence libre et non faussée » chère à l’Union Européenne. Que peuvent le fret ferroviaire et la batellerie devant la noria de camions représentant un coût moindre pour le transport des marchandises ?
Quant aux emplois, parlons-en. On nous promet une explosion du trafic de marchandises et des emplois à l’avenant, mais ce ne sont que quelques postes dans les plateformes logistiques qui seront créés. On sait que la promesse d’emplois est toujours la carotte agitée au nez des élus locaux et des populations dans ce genre de projets, mais on sait aussi que c’est un leurre et qu’il n’y a rien à espérer de ce côté-là, si ce n’est quelques emplois précaires et temporaires, évidemment mal rémunérés et dans des conditions de travail des plus difficiles.
Précarisation des salariés et désertification des territoires avec des zones hors du tracé laissées définitivement pour compte. Pas d’emplois sur une planète morte, dit-on dans les milieux altermondialistes. On voit bien qu’ici, c’est le trafic routier qui va sortir vainqueur d’un projet écocidaire, même si ses promoteurs insistent sur son côté écologique avec le renouvellement du trafic fluvial et du fret ferroviaire. Un mensonge et une tromperie.
Le vrai intérêt du projet est bien sûr d’accentuer l’intensification des flux de marchandises, en stricte conformité avec la mondialisation libérale et les traités de libre échange. Le méga canal va surtout accentuer les inégalités en mettant en concurrence les salariés français, belges et néerlandais dans une course au moins-disant social. Ce n’est évidemment pas de cette façon qu’on présente les choses, mais il ne faut pas être grand clerc et il suffit d’avoir un peu d’expérience pour deviner la vraie finalité de ces grands projets. « Un saccage écologique et social financé par l’argent public », nous dit la brochure éditée par les Soulèvements de la terre. Des écoterroristes allergiques à toute notion de progrès, d’expansion et de croissance, évidemment.
Mais la résistance s’organise et, s’il est incontestable que le projet a pris de l’avance, il n’est pas trop tard pour s’y opposer.
« Luttons pour des emplois dignes, une économie relocalisée et écologique », peut-on lire sur le même document..
Pour un réseau de transport réellement écologique, il suffirait de rénover les infrastructures existantes, tant sur le fluvial que le ferroviaire. Il suffirait d’accepter le multi-modal et la complémentarité de tous les modes de transports, avec une attention toute particulière au fret ferroviaire, vrai mode écologique, complètement détruit par les flux commerciaux de poids lourds jugés plus rentables.
La question de l’emploi est aussi primordiale dans ce contexte avec la défense d’emplois rémunérateurs effectués dans des conditions sociales acceptables. C’est tout l’enjeu d’une production locale, de proximité, qui évite les modes de transport à haute teneur carbonifères et favorise les circuits courts. pour une économie circulaire.
Les traités de libre échange (AGCS, Tafta, Ceta et maintenant Mercosur) ont largement prouvé leurs effets délétères sur l’environnement, sans parler de leur coût social. Il est temps de revenir à des échanges raisonnés soucieux à la fois des équilibres écologiques et des normes alimentaires et sociales. La situation actuelle exige de ne plus tolérer des circuits longs de marchandises qui font parcourir des centaines de milliers de kilomètres par la mer, par la route ou par l’air avec des porte-containers et des avions cargo. Il importe de mettre un terme à ces modes de transport permettant un flux incessant de marchandises à travers le monde.
Les Soulèvements de la terre, regroupement d’associations citoyennes et environnementales (dont Extinction Rébellion, Les amis de la terre, Greenpeace ou Attac) ont lancé des campagnes d’information et des actions pour dénoncer ce méga-projet inutile et imposé. Une coalition d’ONG et d’associations dont le but est de se réapproprier l’argent public, les territoires et bien sûr les dynamiques de transport pour une véritable transition écologique.
Il s’agit surtout de lutter contre l’appropriation privée des biens communs à l’humanité. La notion de biens communs (l’alimentation, l’eau, l’énergie…) étant centrale dans ce débat, pour que des pans entiers de l’économie puissent échapper à la prédation capitaliste.
Les écoterroristes, formule rodée par les Darmanin et consorts, ne sont pas du côté des défenseurs de l’environnement, des peuples et de la terre. Ils sont plutôt du côté des capitalistes prédateurs, des lobbys et des politiciens à leur service. Soit des ennemis de l’écologie et du social qui terrorisent les militants d’un monde vivable et préservé.
À signaler que l’Alliance Écologique et Sociale, l’AES pour les intimes, est aussi partie prenante de cette mobilisation. Après l’A69, le Canal Nord Seine Europe ? Chiche !
4 mai 2025