On croyait avoir touché le fond avec le phénomène du hooliganisme en Angleterre, les milices déguisées en supporters en ex-Yougoslavie ou encore les néo-fascistes de la Lazio Rome ou du Kop de Boulogne côté PSG. Il y a eu aussi un bon côté du supportérisme avec les révolutions arabes ou les actions d’entraide et de lien social. Dernièrement, des clubs de Buenos-Aires comme River Plate ou Boca Juniors se sont joints aux protestations et grèves populaires contre Miléi. Alors ? Bons ou mauvais ces supporters ? Insupportables pour les clubs en tout cas.
On ne compte plus les envahissements de terrain, les agressions , verbales ou physiques, contre les arbitres, les jets de fumigène et autres joyeusetés qui nous sont rapportées quasiment chaque semaine.
À Saint-Étienne, le groupe des Green Angels a été dissous après des incidents nombreux et répétés dans et autour du stade. À Lille, un supporter des Dogues est décédé à la suite d’un long coma survenu après une explication musclée contre des supporters adverses.
Les clubs font monter le prix des places, en même temps qu’ils mettent en service les dispositifs de vidéosurveillance les plus intrusifs et, en lien avec la police, dressent les profils des interdits de stade, supporters réputés agressifs et violents. La gentrification est en marche pour ne garder qu’un public moins sujet aux émotions fortes et aux exactions malencontreuses. Bref, un public de cadres et de classes moyennes supérieures dont les seules hardiesses seraient de revêtir un maillot ou une écharpe aux couleurs de leur club favori.
Il y a longtemps que le phénomène du hooliganisme est apparu, dès l’après-guerre en Angleterre, selon les historiens du football. Mais ce sont surtout les années 1980 qui ont donné naissance à un phénomène tenant du fait social total avec des clubs anglais infiltrés par des bandes de supporters désireux de faire le coup de poing avec souvent des armes blanches.
Même si la finale de la Coupe d’Europe des clubs champions entre la Juventus et le Liverpool F.C en mai 1985 aura marqué la triste apogée du phénomène avec les morts du Heysel, le vieux stade bruxellois – pelouse d’Anderlecht qui fut le décor d’un drame en mondiovision – l’affaire venait de beaucoup plus loin.
Dès les années 1970, certaines équipes des championnats d’Angleterre se distinguent par la violence de leurs supporters. C’est surtout le cas des clubs de l’East London comme les Hammers de West Ham mais aussi des clubs moins huppés comme Millwall ou Leighton Orient. Cela n’empêche pas d’autres bandes de sévir dans les grands clubs londoniens (Arsenal, Tottenham, Chelsea) ou en province (Liverpool F.C, Manchester United ou Leeds United). Il faut lire les romans de John King (Skinhead notamment) pour bien comprendre la sociologie de ces bandes de marginaux, souvent issus de milieux familiaux pauvres et dysfonctionnels et condamnés à l’usine après des scolarités désastreuses. C’est le règne des trois B : Bière, baise et surtout bagarre. Alfred Draper, un autre romancier mais de polar celui-là, témoignera à sa façon du phénomène dans le célèbre À mort l’arbitre adapté par Mocky.
L’arbitre qui est évidemment au centre de toutes les intentions, lui qui peut décider du sort d’un match par un penalty non sifflé ou un hors-jeu discutable. Il est donc la cible, en même temps que les supporters adverses ; deux camps qui se narguent, qui se lancent insultes et crachats avant d’en venir aux mains et, dans les cas les plus extrêmes, au couteau.
Le supportérisme et ses dérives violentes vont toucher d’autres pays, avec souvent des connotations politiques. Les Pays-Bas notamment où les supporters nazillons de Feyenoord s’en prendront aux « juifs » de l’Ajax. En Belgique où la controverse linguistique et les rivalités communautaires Flamands – Wallons s’inviteront dans ces joutes. En Italie, les nostalgiques du fascisme de la Lazio hanteront les gradins du Stade Olympique de Rome. La France n’est pas épargnée par ces accès de brutalité et le PSG et son kop de Boulogne abriteront la frange la plus violente de l’ultra-droite.
Des clubs populaires (Saint-Étienne, Lens, Nancy) contre d’autres plus bourgeois (PSG, Lyon, Nice…). C’est aussi une affaire de gros sous avec des clubs modestes qui vivent grâce à la billetterie et à leur centre de formation et d’autres, bien plus riches, qui se partagent le droits télé et l’argent de l’UEFA pour les coupes européennes. Somptueux transferts d’un côté et pillage des meilleurs joueurs des clubs pauvres ; austérité de l’autre avec revente systématique des quelques pépites convoitées.
On ne parle même pas des derbys entre clubs rivaux d’une même ville où la haine est souvent à son comble. L’Inter et le Milan AC, Liverpool F.C et Everton, Athletico et Real, Manchester City et United, Lazio et AS Rome ou encore Celtic et Rangers à Glasgow. Là,comme le dirait Bill Shankly, entraîneur emblématique des Reds, c’est plus que du football. Il avait répondu à un journaliste à la question de savoir si le foot pour lui, c’était une question de vie ou de mort : « c’est beaucoup plus que ça ». Une réplique restée fameuse. Seule l’Espagne, parmi les grandes nations de football, semble épargnée, si on veut bien excepter la haine atavique entre Catalans du Barça et Castillans du Real.
Dans le bloc de l’est, des hooligans (le mot vient d’ailleurs des démocraties populaires pour désigner les marginaux allergiques au socialisme réel) ont fait leur apparition dans les pays les plus proches de l’occident (RDA, Pologne, Hongrie) mais c’est l’ex Yougoslavie qui se mettra vraiment à l’heure occidentale sur fond de rivalités ethniques et de conflits politiques. Ce sont de véritables milices pro-serbes qui encadreront l’Étoile Rouge ou les Partizans de Belgrade, avec leurs pendants pro-croates au Dynamo Zagreb. Oustachis contre Tchetnicks ? Pas si simple.
L’Amérique latine est le continent où la ferveur est la plus grande, volcanique. Le championnat argentin a toujours été émaillé de violences entre supporters des grands clubs de la capitale, là aussi sur fond de politique et de lutte des classes. En Colombie et au Mexique, ce sont des gangs liés au narcotrafic qui font la loi dans les tribunes. Mais c’est encore au Brésil que les passions sont les plus vives, avec le peuple des favelas traqué par la police et les paramilitaires.
L’Afrique a connu aussi son lot d’incidents souvent graves, parfois meurtriers. La Coupe d’Afrique des Nations est souvent le cadre de conflits entre bandes rivales sur fond de nationalisme et de rivalités ethniques attisées par des pouvoirs se nourrissant des divisions. En Égypte, il faut souligner le rôle qu’a tenu le football dans la révolution au Caire et les rassemblements de la place Tahrir. D’ailleurs, le foot aura été important dans ces soulèvements au Moyen-Orient avec des supporters révoltés chauffant slogans et chansons dans les gradins. Des supporters politisés qui, au Caire comme à Port-Saïd, n’hésiteront pas à faire le coup de poing avec les forces de l’ordre, dans les stades et en dehors.
On s’excusera par avance de devoir dresser à gros traits un phénomène mondial qui ne semble épargner que l’Asie où le football ne compte pas encore parmi les sports nationaux, mais gageons que cela ne tardera pas à advenir à l’heure de la mondialisation aussi bien économique que télévisuelle.
On voit en tout cas qu’il y a un bon usage du supportérisme comme il en est de mauvais. Le football est un sport populaire qui a toujours attiré les classes les plus dominées de la société et où, dans l’enceinte des stades, le bourgeois n’a jamais été le bien venu. Sauf que le rapport a trop tendance à s’inverser et que les classes populaires subissent les politiques de gentrification amenant un nouveau public plus fortuné capable de bourse délier dans des stades devenus des temples de la consommation.
Les « Arena » et autres forteresses n’ont plus grand-chose de commun avec les stades à taille humaine d’antan. Des giga-stades issus souvent de PPP (partenariats public – privé) entre des sociétés de BTP, des Communautés urbaines et quelques grands noms de la banque ou de l’assurance.
Un foot business qui attire plus les investisseurs friqués que les supporters violents qu’on fait tout pour retenir chez eux avec bracelets électroniques et interdictions de stade. Ce qui n’empêche pas de voir les incidents se multiplier, les scènes d’émeute se reproduire et les arbitres (avec ou sans VAR) se faire au minimum insulter, voire brutaliser dans les divisions inférieures. Jusqu’à rendre quasiment injouables, à l’avenir, les compétitions, amateurs ou professionnelles.
« Un sport de voyou joué par des gentlemen », disait-on naguère du rugby. Pour le foot, ce serait plutôt l’inverse, soit un sport de gentlemen joué par des voyous. Staff, joueurs et supporters confondus.
3 mai 2025