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NOTES DE LECTURE (12)

DE LA DÉMOCRATIE EN PANDÉMIE ; santé, recherche, éducation. BARBARA STIEGLER – Gallimard,  « Tracts »

Barbara Stiegler, lucide et convaincante. Brillante, tout simplement.

Les essais consacrés à la pandémie, aux vraies causes de celle-ci et à une vision du « monde d’après » qui s’affranchisse des impératifs d’un capitalisme mortifère sont nombreux. Ils pourraient presque constituer à eux seuls un rayon de nos bibliothèques.

On trouve notamment le dernier Lordon, plus politique, dont on parle par ailleurs (1) et qui ne se limite pas à la pandémie ; on trouve son ami Robert Boyer et son excellent Les capitalismes à l’épreuve de la pandémie ou encore Marie-Monique Robin et sa Fabrique des pandémies. Liste non exhaustive, tant s’en faut. Sans parler des innombrables articles, tribunes, opinions et autres contributions aux pages « Idées » des quotidiens et des hebdomadaires. Pour celles et ceux qui ont l’impression d’avoir été les cocus du monde d’après, tout cela a tendance à nous tomber des mains. C’est un peu la même histoire que la crise financière de 2008 et de ce qui allait en résulter. Capitalisme régulé ? On est prêts à moins se goinfrer ? Que nenni ! Business as usual et retour à la normale. Certes, un collectif Plus jamais ça existe et, composé de syndicats ouvriers, d’associations populaires, écologistes ou environnementales, il a tout de même été à l’origine de belles réussites, comme par exemple le sauvetage de la papeterie de La Chapelle d’Arblay, la création de la Coopérative des masques en Côte d’Armor ou la lutte autour de la raffinerie Total de Grandpuits en Seine et Marne pour sauvegarder l’activité du site et les emplois qui en dépendent.

Alors, pourquoi choisir ce livre plutôt qu’un autre ? Barbara Stiegler, fille du philosophe Bernard Stiegler, est elle aussi une philosophe qui a beaucoup travaillé sur Nietzsche et sur le néo-libéralisme, ce système qui vit sur la prédation, l’exploitation et l’aliénation par la consommation. Elle explique, en 60 pages bien écrites et percutantes, quelles sont les responsabilités de ce système dans la situation de pandémie qui a réduit considérablement nos libertés et, par conséquent, a permis à nos gouvernants de prendre encore plus l’ascendant sur nous, classes populaires, salariés, militants, chômeurs, intellectuels, syndicalistes et associatifs. Qu’est-ce qui est en jeu dans la prédation sur la nature, les zoonoses, le réchauffement climatique, le non respect de l’humain et des écosystèmes ? Quelles sont les origines du mal ? Comment tout cela s’est-il passé ?

La pandémie a été une aubaine – c’était déjà la théorie de Naomi Klein dans sa Stratégie du choc, ce livre fondamental qui expliquait comment le néolibéralisme exploite les catastrophes pour agrandir son empire ou pour accroître son emprise – pour pousser les feux de réformes antisociales et liberticides, de véritables atteintes à la démocratie et au lien social. Elle en fait la démonstration de manière implacable et tout lecteur de bonne foi ne peut qu’être convaincu. Dans les domaines explorés – santé, recherche et éducation pour se limiter aux sous-titres – la théorie est déclinée avec brio et conviction.

On regrettera peut-être que, si elle va jusqu’au bout de la démonstration, il n’en est pas tout à fait de même pour les solutions, même si là n’était peut-être pas son propos. Dans ce domaine, un Frédéric Lordon, partant du même constat, va beaucoup plus loin, en insistant bien sur le fait que le capitalisme n’est ni amendable, ni réformable et qu’il faudra bien un jour lui livrer bataille autrement que par des analyses et des réflexions. Ce qu’on appelle une révolution. Mais c’est une autre histoire, ou peut-être la même ?

(1) : Frédéric Lordon – Figures du communisme – La Découverte.

LE JOURNAL DES CENT-JOURS – JOSEPH ROTH – Le Seuil

Les épopées napoléoniennes ont été une aubaine pour la littérature et la philosophie, qu’on pense à Anthony Burgess et à sa Symphonie Napoléon, au Stendhal de La chartreuse de Parme ou à Hegel, entre autres. Plus particulièrement, l’épisode des 100 Jours et le retour au pouvoir de Napoléon, chassant Louis XVIII et sa triste cour après son exil sur l’île d’Elbe, a inspiré Balzac (Le lys dans la vallée), mais aussi Aragon et sa Semaine Sainte, à travers le personnage du peintre Géricault.

De Joseph Roth, j’avais déjà lu La marche de Radetzky, l’histoire fleuve d’une famille autrichienne depuis son ascension jusqu’à sa chute. Comme Zweig, Schnitzler ou Musil, Roth s’est fait le chroniqueur de la Mitteleuropa, d’un empire décadent, effondré, disloqué et rayé de la carte. C’est une manière de Thomas Mann avec un style remarquable toujours en tension entre lyrisme flamboyant et description précise des actions et des personnages.

Les premiers chapitres font vibrer, comme le Stendhal de La chartreuse de Parme, avec le retour de Napoléon en majesté et la fuite honteuse des nobliaux qui avaient pris sa place. Le dialogue entre l’empereur et Fouché est savoureux. Roth n’est pas un idolâtre de cet empereur ivre de pouvoir, mégalomane et qui a entraîné dans la mort de milliers de soldats et de civils. L’histoire sur son cheval ou l’âme du monde, disait approximativement Hegel, bien plus admiratif. Ça s’essouffle un peu avec le personnage d’Angéline Pietri, un cœur simple, une servante corse à Versailles qui voue un culte enfiévré à l’empereur, comme avec sa tante, Véronique Casimir, première lingère et devineresse pour laquelle l’avenir de Napoléon n’a pas de secret. La première perdra son fils engagé dans la grande armée, la seconde perdra la main et ne sera plus capable de lire la destinée brouillée du grand homme.

Mais la dernière partie est épatante, qui montre un Napoléon mélancolique, dépressif, prêt à abdiquer et à se livrer aux Anglais après Waterloo et quand toutes les armées d’Europe sont à ses trousses. Il aurait pu peut-être échapper au sort funeste qui l’attend à Longwood en négociant, en finassant, mais il renonce comme pour expier ses crimes et les malheurs qu’il a causé au monde. Comme pour se punir. Comme un simple mortel qui s’est approché de trop près du soleil des dieux. Une symphonie crépusculaire, pour un personnage aussi illustre que pathétique.

WILD SIDE – MICHAEL IMPERIOLI – J’ai Lu.

On sait relativement peu de choses de Michael Imperioli, du moins l’écrivain. Wikipedia ne nous parle que de ses rôles dans des séries américaines (Les Soprano), dans des films (Les Affranchis de Scorcese) ou comme scénariste prolifique.

Wild Side (on pense bien sûr au « Walk On The Wild Side » de Lou Reed), c’est l’histoire d’un adolescent qui débarque à Manhattan avec sa mère dépressive après un déménagement depuis Jackson Heights (Queens). La mère ne se remet pas de la mort accidentelle de son mari, en Californie, et ce décès sera aussi une croix que portera l’adolescent.

Le jeune Matthew entame donc une nouvelle vie, timidement. Son statut social lui vaut des quolibets au lycée pour gosses de riche où on l’envoie, mais il sympathise avec Veronica, une gamine surdouée et belle comme un astre. Dès lors, un chapitre sur deux sera consacré à son aventure amoureuse avec Veronica la mystique, écrivaine à ses heures et en proie aux convoitises des proxénètes et des pornographes. Un sur deux ; les autres étant consacrés à sa relation peu banale avec le grand, l’immense Lou Reed.

Matthew et sa mère ont emménagé dans un appartement où vit également Lou Reed et sa compagne Rachel, un travesti (ou transsexuel on ne sait pas très bien). Il s’est fait embauché pour un job d’été dans un bistrot (un « dinner ») dont il doit assurer les livraisons et le couple formé par Lou et Rachel figurent parmi ses meilleurs clients. L’action se passe donc à Manhattan, à l’été 1976, et on imagine bien quel Lou Reed on va trouver : un alcoolique (anonyme), constamment défoncé au speed qui cherche sur sa guitare la note ultime ou la mélodie indépassable qui va bouleverser le monde de la musique. L’action si on peut dire, car la principale péripétie est le transport d’un amplificateur du domicile de Lou jusqu’à un réparateur véreux et retour quand Matthew est devenu une sorte de porte-coton de Lou, son confident, aussi. Une odyssée new-yorkaise dont le jeune homme ne sortira pas indemne.

Mais foin d’intrigue ou d’histoire. On peut s’en passer quand on a ce talent. D’ailleurs, les deux univers, Victoria et Lou, finissent par se rejoindre dans le malheur. Veronica se suicide et Lou déménage sans laisser d’adresse après sa rupture d’avec Rachel. Veronica la mystique et l’artiste, comme l’est aussi Lou, mystique d’un autre genre, d’une intelligence diabolique et pétri d’humanité. Le portrait qui en est fait est pudique et presque intimiste, et on est loin de l’histrion héroïnomane souvent décrit. Un hyper-sensible et hyper-anxieux recouvert de 36 carapaces qui lui évitent de sombrer. Imperioli le dit, les deux ont « une sensibilité aiguë à la souffrance humaine », et seul l’art et le blindage peuvent les sauver.

On ne dévoilera pas la fin et ce chapitre épatant qui voit Matthew rendre un surprenant hommage à celui qui est devenu son père spirituel, dans l’appartement laissé vacant, juste l’épilogue. Un dialogue d’une pissotière à l’autre, quinze ans après, entre Lou et son ex-ami et homme à tout faire qu’il ne reconnaît même pas. C’est aussi bien un roman d’apprentissage qu’une éducation sentimentale, et on citera une nouvelle fois L’Attrape-Coeur, de Salinger, qu’on met à toutes les sauces mais qui n’en reste pas moins un modèle du genre. Ou comment on apprend la vie et comment on acquiert son humanité. Avec toute la magie et la perte, comme aurait dit Lou après Delmore Schwartz, que cette putain de vie contient. Viva Imperioli, viva New York City ! Forever.

4 juillet 2021

Comments:

J’ai connu Michael Imperioli qui s’est marié avec une amie de mon épouse. J’ai aussi travaillé avec lui quand je faisais de la figuration dans les Sopranos. Mais il n’y a aucune raison de penser qu’il se rappellerait de moi, car ceci remonte à 15 ou 20 ans. Par contre, je ne savais pas qu’il était aussi un auteur publié, et je te remercie de me le laisser savoir.

salut Francis
Tous les commentaires passaient en spam, allez savoir pourquoi…
Mais j’ai tout récupéré.
Je te remercie tout d’abord pour l’intérêt que tu portes à ce blog.
Tes commentaires sont pertinents et me sont précieux pour la suite, d’autant que tu es quasiment le seul à en faire (avec un copain du syndicat et mon neveu pour les articles sur le foot).
Tu peux me mettre d’autres remarques sur le blog, ça fonctionne !
Désolé pour ce contre temps.
Bon été à toi et bien amicalement
Didier
PS : je suis en train d’écrire sur Tim Buckley à partir d’une biographie de David Browne. Il existe aussi une biographie du guitariste Ian Underwood intitulée Blue melody (Tim Buckley Remembered) chez Blackbeat – 2002. Je ne trouve pas ça par ici et je ne tiens pas à passer par les services d’Amazon. Est-ce que tu pourrais trouver ça à New York, je te paierai bien sûr le livre et les frais d’envoi.

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