Un air que chantait un ringard réactionnaire du nom de Philippe Clay en 1971, fustigeant les contestataires de 1968 en faisant valoir ses hauts faits de résistance. « Quand on écoutait Londres, c’était pas les Beatles qui nous parlaient » (morceau choisi). L’université d’été des mouvements sociaux et des solidarités, fin août à Nantes, à laquelle on a assisté en pointillés, était aussi placée sous le double signe (aurait dit Pierre Dac, résistant lui aussi) des résistances et des luttes contre un système à bout de souffle mais qui continue à nous détruire. Récit.
On y était allé un peu sur la pointe des pieds, n’ayant aucune inclination particulière pour les grands rendez-vous et les grands messes, fussent-elles militantes. Mais bon, il y avait là au moins deux choses qui, pour moi, valaient le déplacement : les ateliers et forums des collectifs Plus jamais ça et notre propre module (atelier) sur la gratuité en général et les transports gratuits en particulier. Bref, ça valait le déplacement.
Parlons d’abord chiffres, pour évacuer ça tout de suite : 200 forums et ateliers, 440 syndicats, associations et mouvements représentés, 1800 participant-e-s (promis, j’abandonne l’écriture inclusive pour la suite), le tout en personne ou par vidéos et webinaires interposés. L’université d’été était située dans l’école nationale d’architecture de Nantes, quai François Mitterrand, au bord de la Loire où le soleil ne s’est quasiment jamais couché. Sauf la nuit, et encore… L’année dernière, ça devait être au même endroit mais l’événement n’avait pu avoir lieu pour cause de Covid et il fallait remonter à 2019 et à Biarritz pour vivre un tel rassemblement festif de toutes les tribus de la gauche radicale : écologistes, altermondialistes, gauchistes, syndicalistes, antifas, féministes, militants LGBTQ, gilets jaunes et on en passe. Un arc-en-ciel des luttes, comme le dit Aurélie Trouvé dans son interview à Politis (2 au 8 septembre), qui s’inspire de la fameuse Rainbow Coalition de John Sinclair laquelle, à la fin des années 1960, agrégeait les luttes de Black Panthers, de prolos blancs sudistes, de contestataires hippies et d’activistes latinos.
Tout commence le lundi 23 par une soirée cabaret où, dans une ambiance chaleureuse, des artistes se succèdent et où on organise des petits jeux autour des questions sociales. J’y étais pas mais on m’a raconté. Ça commence en douceur, autant dire.
Le lendemain, on arrive à midi pétante en croyant que ça va enfin démarrer. Que nenni non point ! Le rendez-vous était pour les bénévoles avec les instructions des organisateurs, pas pour les participants lambdas. Soit. Rien non plus à 14h, l’assemblée plénière devant donner le top départ (autrement dit la cérémonie d’ouverture) ne commençant qu’à 17h. On en profite pour aller boire quelques bières (il fait chaud et soif) et par essayer de s’orienter dans la ville, ce qui n’est pas simple a priori. Déjà pour venir de la gare aux lieux où ça se passe, c’est plutôt coton.
Pour la plénière d’accueil, on a droit bien sûr aux souhaits de bienvenue des organisateurs, Attac 44 et des associations écologistes ou féministes. Raphaël Pradeau, porte parole d’Attac, vient nous appeler sur un ton ferme à la mobilisation face à l’année particulière qui nous attend. Des collectifs d’accueil des Zapatistes lisent un long discours aussi émouvant que motivant sur la nécessité de globaliser les luttes et d’inventer un nouvel imaginaire contre un système capitaliste qui nous broie.
Un peu moins passionnantes, ces interventions de jeunes féministes sur les bons comportements et le besoin d’échanger et de témoigner pour toutes oppressions, qu’elles soient sexistes, homophobes, racistes ou autres. On ne conteste pas la nature des oppressions et la nécessité de les combattre, mais tout cela fait un peu prêchi-prêcha moraliste, surtout quand on s’adresse à une assemblée rompue à ce type de combats et à ce genre de thématiques.
On entre enfin dans le vif du sujet le lendemain où, après avoir pas mal galéré entre les différents lieux de l’université (maison des syndicats, université libre, école d’architecture, bourse du travail où on s’est souvent perdus), on trouve enfin l’atelier Plus jamais ça. On se reportera à un article précédent (Nevermore) pour la nature et les buts de ce collectif qui vise à fédérer les mouvements sociaux dans les luttes unitaires à la fois écologiques, sociales et démocratiques. La discussion a lieu entre le collectif national et les collectifs locaux, dont le nôtre, à Lille. Quels outils de communication mettre en place ? Quelles luttes à rejoindre localement ? Quelle structuration entre les signataires, entre les collectifs ? Comment joindre, en province, les organisations signataires nationalement ? Toutes ces questions, et beaucoup d’autres qui amènent des éléments de réponse, tout en évitant un cadrage trop formel.
Le soir a lieu le Forum de Plus jamais ça, avec des interventions des porte parole des organisations signataires présentes. CGT, Solidaires, FSU, la Confédération paysanne côté syndical, Attac, Greenpeace, Oxfam, le Dal, France nature environnement, les Amis de la terre et quelques autres pour les associations. Il est rappelé en introduction les objectifs poursuivis, les réalisations et les projets. Syndicalistes, écologistes et altermondialistes unis face à la crise climatique et les multinationales, écrit joliment Politis (ibid), et c’est vrai que le collectif dans toute sa diversité aura été le succès de cette université d’été, l’événement dans l’événement. Preuve s’il en fallait que le désir d’unité des luttes aux fins de renverser la table est parmi les premières préoccupations des militants.
On remet le couvert le jeudi matin pour un atelier sur la lutte de La Chapelle d’Arblay, l’une des luttes phares de Plus jamais ça avec Grandpuits et La fabrique des masques. Un cas d’école du gâchis écologique et social et de la nécessité d’y mettre fin avec un fabricant de papier jugé pas assez rentable par la multinationale finlandaise UPM, qui veut fermer le site. À Grand-Couronne (76), la lutte dure depuis 2 ans avec des stratégies fines : l’acceptation du PSE à condition d’obtenir un sursis d’un an pour le site. 200 salariés victimes du « plan social » mais un noyau de syndicalistes qui mobilise en profitant de ce délais pour démontrer qu’une autre voie est possible, écologique et sociale. Une manifestation festive à Bercy (avec des mannequins jetés dans la Seine) et un sursis supplémentaire de 3 mois concédé par Bruno Lemaire, malgré la fermeture annoncée en mai. La CGT et Greenpeace ont été à la manœuvre, avec Attac.
Sur Grandpuits, la raffinerie de Seine-et-Marne, la mobilisation était encore plus délicate pour une activité qui peut poser problème, mais, entre une délocalisation du raffinage remplacée par des pseudo-activités écologiques (greenwashing) avec 700 emplois menacés à la clé, la mobilisation s’est vite organisée pour le maintien des activités du site avec des manifestations menées par la CGT main dans la main avec Greenpeace. Total n’en revient toujours pas !
Un petit film est projeté sur la Coopérative des masques où Solidaires, en lien avec associations et pouvoirs publics, a fait redémarrer une usine de fabrication de masques dans les Côtes d’Armor. On est dans un exemple type d’économie solidaire et sociale, voire d’autogestion.
On passe l’après-midi au stand de Politis (une grande table où on trouve aussi Basta et L’âge de faire), à discuter le bout de gras avec les bénévoles du journal. On croise notamment une certaine Geneviève Legay, molestée par la police lors d’une manifestation à Nice, en 2018. Elle en a gardé des séquelles après une longue hospitalisation et beaucoup de rééducation. Elle se sent toujours fatiguée, n’a plus le dynamisme qui la caractérisait, mais ne s’est jamais sentie aussi révoltée. Elle raconte la chaleur des messages et des soutiens apportés, mais a souffert de ce vedettariat non souhaité (jusqu’à des gens qui venaient la toucher comme pour une sainte). Son dépôt de plainte a en tout cas débouché sur un procès qui aura lieu prochainement. Le procès de la criminalisation du mouvement social ? Il serait grand temps.
Le lendemain, c’est gratuité et transports. On a déjà écrit aussi là-dessus (Magic bus), et on ne va pas refaire l’histoire de cette mobilisation des Attac métropole sur Roubaix. Monique, Christian Ladesou et moi étaient à la manœuvre pour parler de nos actions vers les habitants via les comités de quartier, du travail en lien avec l’université de Lille, des débats publics, des questionnaires et des pétitions pour obtenir un référendum local d’initiative citoyenne. Une étudiante qui travaille avec nous fait à l’écran un exposé convaincant sur les modifications des habitudes induites par la gratuité à travers notamment la Communauté urbaine de Dunkerque. Qu’est-ce qu’apporte la gratuité et qu’est-ce qu’elle change ; que répondre à ses détracteurs ? Dans la salle, les questions fusent et notamment celles concernant des transports gratuits qui ne nous libéreraient pas de l’imaginaire de l’automobile et de l’étalement urbain. Les arguments sont nombreux pour répondre mais il est vrai que la gratuité des transports (supposée au détriment du vélo et de la marche) ne convainc pas chez les écologistes les plus radicaux.
Mais on parle aussi gratuité au sens large, de la gratuité qui changerait en profondeur les mentalités, favoriserait les coopérations et réduirait l’importance du marché et de la prédation capitaliste. Gratuité de l’eau, de l’éducation, de l’énergie, de la santé… Actualité des services publics, des notions de bien commun et de bien public. Un thème qui dépasse largement les transports et vise à instituer une nouvelle civilisation, rien moins.
Voilà, juste quelques vignettes et quelques ressentis. D’autres camarades auraient pu choisir d’autres angles, d’autres faits, d’autres débats, d’autres forums. Mais – important pour quelqu’un qui n’a pas fait d’études – ce sont Mes universités, et pas les leurs. Na !
3 septembre 2021
Ah bon ! Lire Politis, le Monde diplo c’est pas faire des études tout au long de sa vie
Des étude d’autodidacte. J’ai pas fait d’études universitaires, je veux dire, et je ne m’en porte pas plus mal.
Quelle grande différence avec le cirque de mes années d’étudiant à Nanterre de 1967 a 1968.