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ROGER HUNT: ROUGE ET MORT

Roger Hunt avec les Reds. Portrait en chasseur de but.

On se souvient d’un maître livre de David Peace sur l’entraîneur mythique du Liverpool F.C, Bill Shankly. Le gros bouquin s’intitulait Rouge ou mort (1) et Roger Hunt en était l’un des principaux personnages.Roger Hunt, avant-centre mythique des Reds et de l’équipe nationale anglaise dans les années 1960 est décédé le 27 septembre. Parmi les défunts, on aurait pu aussi bien parler du bomber du Bayern Munich Gerd Muller ou de l’attaquant des Spurs de Tottenham Jimmy Greaves, mais c’est Hunt qui aura pris le plus de place dans notre mémoire.

Rouge ou mort, ou la description maniaque et pointilleuse de tous les matchs du Liverpool F.C depuis la fin des années 1950 jusqu’à la mise à l’écart de l’entraîneur Bill Shankly en 1977, juste au moment où les Reds grimpaient sur le toit de l’Europe, affrontant en finale le F.C Bruges des Ceulemans et Van Der Eycken. Les dirigeants des Reds n’avaient même pas pensé à lui, découvreur de Kevin Keagan et de tant d’autres joueurs clés de l’équipe, pour l’inviter à la fête d’après la victoire. Shankly, taiseux et grand modeste, avait accepté son sort et, toujours derrière son club de cœur, avait néanmoins accepté un poste de directeur sportif chez les rivaux des Blues d’Everton, une banlieue de Liverpool.

Dans ce livre magique qui pourrait paraître fastidieux mais dont le rythme et la ferveur incitent à tourner les pages toujours en quête du prochain match qui prolonge une fabuleuse épopée, il est souvent question de Roger Hunt, l’un des protégés de Bill Shankly, au même titre que les Hughes, Yeats, Smith, Ray Clemence ou son partenaire privilégié, Ian Saint-John. Plus tard, Shankly guidera les premiers pas des défenseurs Neal et Thompson puis de Keagan, avant de, tirer sa révérence.

Il faut voir comment Shankly couvait ses joueurs, se comportant toujours avec beaucoup d’élégance envers eux et leur annonçant avec infiniment de tact l’annonce de leur transfert ou du souhait du club de se séparer d’eux. On ne connaît pas d’exemple d’une telle bienveillance dans le football moderne et Shankly, homme de gauche issu de la classe ouvrière liverpuldienne, était devenu proche du leader travailliste Harold Wilson et des leaders syndicaux des docks.

Hunt avait pourtant vu le jour du côté de Manchester, la cité rivale, très exactement à Golborne, en 1938. Il évolue dans plusieurs formations amateurs du Lancashire avant de se fixer au Liverpool F.C, en 1958, recruté par Phil Taylor, alors entraîneur du club. Liverpool joue en deuxième division et c’est Shankly qui fera monter le club à l’échelon supérieur où il dominera longtemps les débats.

Hunt devient titulaire en 1959, sous Shankly, et, dès son premier match, il donne la victoire à son club lors d’une rencontre qui l’oppose à Scunthorpe United, en inscrivant les deux buts. Scunthorpe, la ville de l’acier, qui verra débuter le grand Kevin Keagan.

Le Liverpool F.C remonte en Première Ligue en 1962, et Hunt s’est affirmé durant ces trois saisons comme le meilleur buteur du club, avec une vingtaine de buts par an à son actif. Il en inscrit 41 l’année de l’accession en division 1, ce qui en fait le meilleur buteur du championnat anglais. Mais ce n’est qu’un début.

C’est aussi en 1962 qu’il est sélectionné pour la première fois en équipe nationale, contre l’Autriche, sa première cape. Il est appelé la même année à suivre les 3 Lions dans leur périple chilien pour une Coupe du monde qu’il ne jouera pas. « Substitute », seulement.

Le palmarès du club s’étoffe, d’abord en Angleterre puis en Europe. Championnat en 1964 et 1966, Cup en 1965. En coupe d’Europe, ils sont éliminés en demi-finale par l’Inter Milan, qui sera victorieux en cette année 1965. L’année suivante, ils jouent la finale de la Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe et s’inclinent aux prolongations face au Borussia Dortmund. Hunt marque le but d’une égalisation qui sera vaine. Les Beatles assistent à cette finale aux places d’honneur, bien qu’aucun ne soit vraiment supporter des Reds (Mc Cartney en pince pour Everton, Ringo supporte les Gunners d’Arsenal et Lennon et Harrison s’en fichent éperdument).

Hunt fait partie de l’équipe nationale des 3 Lions qui remporte la Coupe du monde en 1966. Il forme une attaque de rêve avec ses compatriotes Francis Lee et Colin Bell (de Manchester City) et Geoff Hurst, des Hammers de West Ham. Des attaquants qui ont remplacé avantageusement les anciens Greaves et Chivers (de Tottenham), ou George Armstrong (Arsenal), même si Greaves lui dispute encore le poste d’avant-centre. On se souvient que Hunt inscrira les deux buts contre la France en phase de poules pour une victoire incontestable contre des Bleus bien pâles qui seront éliminés à ce stade de la compétition.

1966 est l’année qui marque l’apogée du club, tout au moins dans la période, avec une troisième victoire dans le Charity Fields (qui oppose vainqueurs du championnat et de la Coupe). Les années suivantes seront moins somptueuses. Liverpool accroche encore des places d’honneur en championnat, mais l’Europe s’est éloignée. Bien qu’il soit encore sélectionné en équipe nationale et participe à la demi-finale perdue contre la Yougoslavie lors de la Coupe d’Europe des nations de 1968 (il comptera un total de 34 sélections entre 1962 et 1969), Hunt est mis en concurrence dans son club avec Phil Boersma dès 1969 et progressivement écarté de l’équipe type, passé la trentaine.

En 1970, il rejoint les Bolton Wanderers, un club de division 2 pas très loin de Manchester et de son lieu de naissance. Un retour aux sources. Malgré le transfert inespéré pour ce club modeste d’un ex international et serial buteur de haut niveau, Bolton tombe en troisième division et Hunt part faire une pige dans un club sud-africain, le Hellenic F.C, une équipe du Cap.

Hellenic le bien nommé, car ce sera son Waterloo. Le club, baptisé « les Grecs » a déjà attiré dans ses filets des joueurs prestigieux venus faire un dernier tour de piste en fin de carrière, comme Gordon Banks, Bobby Moore ou Georgie Best, mais il fera faillite lorsque les deux championnats ségrégués pour noirs et pour blancs n’en feront plus qu’un, en 1976. Quand les supporters blancs des Grecs refuseront d’encourager des joueurs noirs, c’en sera terminé du club.

Victime de nombreuses blessures et souvent à la peine physiquement, Hunt n’en remportera pas moins le championnat avec le Hellenic en 1971, mais son exil au pays de l’Apartheid fait jaser et son retour au pays est piteux, condamné à jouer en troisième division avec ses potes de Bolton.

Il met un terme définitif à sa carrière et son jubilee, en avril 1972, attire 56.000 personnes à Anfield Road, pour un dernier hommage.

Il aura marqué, durant toute sa carrière de footballeur professionnel, 286 buts toutes compétitions confondues, dont 18 en équipe nationale. Un record qui ne sera battu que deux décennies plus tard par le Gallois de Liverpool Ian Rush. En revanche, son record de buts en championnat (245) restera inégalé jusqu’en 2014.

On ne dira jamais assez la combativité et l’opiniâtreté qu’il fallait avoir lorsqu’on jouait au poste d’avant-centre en Angleterre dans ces années-là. À Liverpool comme à Bolton ou en équipe nationale, c’est encore le temps du « kick and rush », où l’attaquant doit contrôler et maîtriser des longs ballons pourris venus de l’arrière et les négocier au mieux, comme il peut, comme ça vient. « Frapper et se ruer », tout un programme que des avant-centres comme Roger Hunt appliqueront avec une constance forçant l’admiration.

Les défenseurs adverses sont rugueux et, sans même avoir le temps de dribbler ou de faire une passe en déviation, il importe souvent de tirer dans n’importe quelle position. Tirer vers le but, sans trop se poser de questions. Ce qu’un Jean-Pierre Papin fera en France longtemps après, avec ses « papinades », Hunt, footballeur élégant et fair-play, le fera toute sa carrière. Et le fera victorieusement près de 300 fois, faisant pendant 10 années le bonheur du Kop du Liverpool F.C et, un peu moins longtemps, des supporters exigeants de l’équipe nationale aux 3 Lions.

Un cœur de lion, « lion-hearted », que ce Roger Hunt, Roger l’inlassable chasseur de but d’un temps où le football anglais avait encore une âme et où ses clubs n’étaient pas devenus de véritables légions étrangères avec des joueurs guidés vers un championnat prestigieux pour la gloire, mais surtout pour l’argent. Les clubs anglais, souvent rachetés par les Émirats, paient le plus.

« You’ll Never Walk Alone », l’hymne des supporters du Liverpool F.C, pourra sortir encore de milliers de poitrines en l’honneur de Roger Hunt, mort à 83 ans et éternellement rouge dans nos mémoires de fans de football. Rouge et mort, pour paraphraser le fort ouvrage de David Peace, la bible hallucinée d’Anfield Road.

(1) Rouge ou mort. David Peace. Rivages Rouge.

4 octobre 2021

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