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POP NEWS (2)

Une couverture de Rock & Folk, la bible. Festival de Bath, été 1970.

En France où on n’a jamais trop su faire du rock mais où on a toujours su en parler, écrivais-je la dernière fois. « À de rares exceptions près », ajoutais-je, de Ronnie Bird à Bashung en passant par le Système Crapoutchik, Bijou, les Dogs, Little Bob Story, Christophe ou Manset. Mais à l’écrit, on est plutôt bons, comme en attestent les magazines présentés ici, de l’ancêtre Disco Revue jusqu’aux trop méconnusBackstage, Nineteen ou la version française de Rolling Stone, en passant par les institutions qu’étaient devenus Rock & Folk, Best ou Extra. Un petit voyage dans le temps et dans la presse rock de ce côté-ci de la Manche et de l’Atlantique. Cocorico !

On hésite à compter dans les pionniers Salut Les Copains et son pendant féminin, Mademoiselle Âge Tendre. Pourtant, SLC n’hésitait pas à présenter, au milieu des années 1960, les groupes phares du British Beat dans un numéro de 1965 resté célèbre, sans parler des articles assez nombreux à la gloire des Beatles ou des Stones. Parmi les rédacteurs, des figures d’Europe 1 de ces années-là, Filipacchi et Ténot en tête, mais aussi Hubert Wayaffe, Viviane Blassel ou André Arnaud, qui présentera longtemps Europe Midi. Et les photos du fils Salvador, Jean-Marie Périer, quand ce n’était pas Alain Dister, futur cofondateur de Rock & Folk, derrière l’appareil. Souvenirs, souvenirs.

Disco Revue peut être considéré comme le premier canard de rock en France. « Appelons-nous les rockers !», lance son fondateur, Jean-Claude Berthon, dans un manifeste en 1965. Une équipe réduite avec Berthon, sa sœur et son beau-frère, un photographe anglais du nom de Bob Lampard . Plus Gérard Bernar, futur fondateur de Best, et de nombreux pigistes, parfois de luxe comme Jacques Barsamian ou Gérard Klein. Disco Revue fait d’emblée la part belle aux Chaussettes Noires, aux Chats Sauvages et aux pionniers américains du Rock’n’roll, avant de se faire le héraut des groupes du Swinging London et de leur déclinaison française, le fameux Ronnie Bird. Les Rolling Stones sont souvent au sommaire, avec Hallyday, Ronnie, les Animals ou les Who. Mais Disco Revue n’a jamais compté dans ses rangs de grands stylistes, et on y écrit un peu comme on parle, de « disques valables » ou «de concerts  vachement terribles » ; on y parle des groupes anglais, des copains, du Golf-Drouot, de La Locomotive, des Rica levi’s, des surbooms et des scooters dans une éternelle adolescence où les adultes sont les ennemis. Incapable de comprendre les évolutions de la Pop music, le magazine cessera de paraître en 1967, juste au moment de la création de Rock & Folk, le premier magazine rock qui installera progressivement un style, une écriture.

C’est en fait à l’été 1966 que sort le premier numéro, comme supplément à Jazz Hot. Sorti en juin avec Dylan en couverture, il sera en kiosques tout l’été et le magazine reparaîtra à la rentrée, fondé pour partie par des étudiants de H.E.C et par des journalistes de Jazz Hot. C’est cette fois Polnareff qui fait la couverture. Une rédaction étique avec, pour le rock, les déjà cités Alain Dister et Jacques Barsamian plus Jacques Chabiron pour les folles nuits du Golf-Drouot et le ch’ti Jean-Noël Coghe pour les premières photos d’Hendrix ; et pour le folk, Jacques Vassal. Kurt Mohr fait le Rythm’n’blues, Pierre Chatenier donne dans la chanson française et Francis Postif chronique le jazz avec Philippe Koechlin et Philippe Adler qui prennent respectivement les postes de rédacteur en chef et de directeur de la rédaction. Les anciens de H.E.C, Robert Baudelet, Jean Tronchot et Rachel Balma, sont à la tête du journal, côté gestion et ventes.

Rien de bouleversant dans les premiers numéros avec ce qui peut être considéré comme un Disco Revue qui se serait intéressé à la Beat Generation et au mouvement hippie. Il faudra attendre les arrivées de Philippe Paringaux puis de Paul Alessandrini pour voir les premiers grands stylistes de la chose rock. Des références littéraires, cinématographiques et de la poésie au détour de chaque phrase. Paringaux sous influence Vian et Queneau, Alessandrini dans un style précieux rappelant des écrivains fin de siècle comme Huysmans ou Villiers de l’Isle Adam. À la fin des années 1960, c’est la période Mao et ils écrivent quasiment l’épais journal à quatre : Paringaux, Chabiron, Alessandrini et Vassal, avec Dister en grand voyageur qui envoie ses correspondances depuis San Francisco, New York ou Londres.

Il faut attendre 1969 pour voir le journal s’étoffer avec des jeunes turcs comme l’excellent Philippe Garnier, enfant de Céline et éternel curieux dénichant des trésors inestimables, et Philippe Constantin, qui partira chez Pathé EMI. Mais c’est au début des années 1970 que le magazine est au zénith avec l’arrivée de l’immense Yves Adrien sous influence proustienne et décadente, d’un Daniel Vermeille, interlocuteur privilégié des Stones dans leur exil azuréen et chantre du rock californien ou encore d’un François Ducray, à l’écriture aussi élégante que drôle. Il faudra attendre 1974 pour voir débarquer les Manœuvre, Muller (ex Best) et autres Feller, mais le niveau a baissé, comme les ventes.

Rock & Folk va rater la déferlante punk, trop enkysté dans le Progressive rock et les reliques du rock californien. C’est Best qui va devenir le journal de référence à partir de 1977 et la bible du rock va décliner pour cesser de paraître quelque temps, avant la reprise par Manœuvre et les siens pour un canard qui n’a plus grand-chose à voir avec le magazine passionnant qu’on s’arrachait en kiosque à chaque fin de mois. Mais c’est aussi l’époque qui a changé. «Des mots pour entendre la musique », qu’ils disaient. Yes indeed.

L’histoire de Best commence à l’automne 1968. Gérard Bernar (ex Disco Revue) prend la direction d’un journal créé par Patrice Boutin et réunit une petite équipe de journalistes dont Sacha Reins, Jean-Paul Commin, Christian Lebrun, Hervé Muller ou Hervé Picard. Le journal se veut plus populaire, moins « intello » que Rock & Folk, cultivant un certain goût pour les groupes obscurs mais avec une prédilection pour le Hard rock et le Blues Boom.

C’est au milieu des années 1970 que Best s’enrichit de la présence de jeunes punks comme Bruno Blum, Francis Dordor ou Patrick Eudeline qui permettent au journal de bien négocier le virage Punk, New Wave et Reggae. Des gens comme Bill Schmock ou Jean Mareska viennent ajouter ce qu’il faut d’humour et de fantaisie, avant le départ d’Hervé Muller pour Rock & Folk, une prise de guerre qui sera compensée par l’arrivée, dans les années 1980, des ex Rock & Folk François Ducray (sous le pseudonyme – anagramme de Fat Yarcud) et Jean-Eric Perrin qui prendra la rédaction en chef après Sacha Reins, parti au Point, et surtout après l’excellent Christian Lebrun, décédé accidentellement à l’été 1989.

Malgré ces renforts et quelques autres, dont Jacques Vincent, Manuel Rabasse ou encore Jean-Luc Manet dans les années 1990, Best cesse de paraître en 1994, victime d’une baisse drastique du lectorat et de l’incompétence de la veuve Boutin. Dommage pour ce qui se voulait « la meilleure actualité de l’évolution musicale ». Et qui l’était presque devenue.

Passons rapidement sur Pop Music et Superhebdo, deux hebdomadaires parus à la fin des années 1960, le premier sous la houlette de François Jouffa et de l’éternel Jacques Barsamian. Les deux journaux fusionneront au début des années 1970 sans toutefois valider un modèle économique censé imiter les grands hebdomadaires britanniques. Putassier et racoleur, en plus.

Moins anecdotique fut Extra, fondé par des dissidents de Best dont Gérard Bernar et Gérard Bacquet, avec l’inévitable Berthon. Dommage que les éditoriaux du Bacquet en question étaient souvent à la limite du ridicule, mais des plumes comme Jean-William Thoury, le punk de la bande, ou le retour des grands anciens Barsamian et Coghe méritent lecture. Jacques Leblanc, fondateur de Juke Box, prolongera le mensuel au milieu des années 1970 sous la forme d’une encyclopédie (Encyclorock), mais Extra rendra définitivement les armes en 1976.

Daniel Lesueur, notre éditeur, a participé à l’aventure Extra avant de fonder Rock’n’roll Musique, un autre canard des années punks, comme le Rock News des frères Esteban ou Feelings. Autant de canards – et Backstage et Nineteen après eux – à la ligne éditoriale résolument tournée vers le Punk et la New wave et idolâtrant souvent Bowie, Lou Reed ou Iggy. Plutôt un bon choix pour d’excellents canards irrévérencieux. Nineteen, de Toulouse, est sous influence Garnier avec de longs papiers fouillés et on peut y lire aussi des pros comme Manet ou François Gorin. Backstage, lui, réunissait une joyeuse bande d’anciens de Rock & Folk ou de Best comme François Ducray.

Un mot sur le Juke Box Magazine, dirigé 30 ans durant par Jacques Leblanc avec des anciens d’Extra pour des chroniques nostalgiques non dénuées d’intérêt, en dépit de la prétention du même Leblanc à s’ériger en gardien du temple des conventions de disques anciens, fixant lui-même les tarifs. Le magazine a rendu les armes récemment pour ce qui était devenu la bible des antiquaires du rock.

Est-il besoin de parler des Inrockuptibles, magazine culturel pisse-froid et prétentieux, même si quelques anciens de Best (Dordor, Manet ou Arnaud Viviant) ont été de l’aventure. Mais le journal de Pigasse a toujours été horripilant à plus d’un titre : le vernis culturel et les partis pris éditoriaux « arty » en faisant quelque chose d’aussi énervant que les émissions musicales de France Inter ou les pages de Télérama. Snob et finalement plutôt conventionnel, voire conformiste.

Télérama justement, avec naguère des journalistes comme François Ducray ou, plus récemment, François Gorin. De belles plumes éclipsées malheureusement par d’éternels besogneux genre Barbot et Cassavetti. Dommage.

Un mot sur Actuel, le premier (1970 – 1976) qui tenait en Jean-Pierre Lentin un chroniqueur honnête de la chose rock, et en Paolo D’Alessandro (en fait Paul Alessandrini), un échotier mondain irrésistible de drôlerie.

Mais on a plus de place, et il faudra juste citer pour mémoire quelques figures attachantes du passé : le Pacadis de Libération, où exerceront aussi, en plus de Philippe Garnier – le plus grand à mon sens avec Yves Adrien – Bayon, provocateur iconoclaste au style alambiqué et son ami Serge Loupien, aussi expert en Jazz et en Country (et en rugby). Encore un célinien d’une drôlerie redoutable. On s’en voudrait d’oublier la talentueuse Laurence Romance (devenue Mme Kent à la ville). L’une des seules femmes à s’être hissée à ce niveau dans un monde d’hommes.

Pour continuer dans la grande presse, on peut citer naguère Koechlin puis Dister au Nouvel Obs, Bizot à l’Express, Reins au Point, plus, au Monde, l’ancêtre Alain Weis (ancien d’Extra) puis Sylvain Siclier. Sans parler de monsieur frère, Christian Eudeline, dans le Parisien ou Les Échos, soit la presse Arnault (Bernard). Dans la presse plus marginale, Pierre « Méchamment rock » Lattès a longtemps été le Monsieur rock du premier Charlie Hebdo, suivi par Jacky Berroyer, et, toujours à lire avec intérêt , l’ami Jacques Vincent dans Politis.

Précisons en outre que moult sémillants rock critiques se sont reconvertis, leur folle jeunesse passée, dans la presse quotidienne régionale, Coghe naguère dans Nord Éclair ou l’ami Philippe Lacoche (ex Best) dans le Courrier Picard, pour se cantonner aux Hauts de France.

Reste pour l’heure le Rolling Stone version française qui, sous la direction de Michel Birnbaum, rivalise avec la maison mère américaine dans les récits fleuves et le pluriculturel.

Voilà, on ne prétend nullement à l’exhaustivité et bien des titres, bien des noms, auraient peut-être mérité ou de plus grands développements ou de figurer dans ce passage en revue (sans jeu de mot). Mais bon, c’est la loi du genre. Keep on rockin’ and keep on reading !

5 octobre 2021

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