Le site de Didier Delinotte se charge

ROCK’N’ROLL RADIO

José Artur interviewant Otis Redding pour le Pop Club, circa 1966

En France, on peut situer la présence du rock sur les ondes entre la fin des années 1950 (avec Salut Les Copains) et le début des années 1980 avec l’arrivée des radios libres et de MTV où le rock et la pop sont considérés comme objets de consommation courante. Tout est rock et rien ne l’est, d’autant que ces années funestes marquent aussi le début de la fin pour cette forme musicale. Voyage dans le temps entre les émissions pionnières d’Europe 1 jusqu’à nos jours et un Michka Assayas qui tient la flamme, en dernier des Mohicans. Le tout en passant par le Pop Club, Jean-Bernard Hebey et autres Pierre Lattès. Video killed the radio stars !

Faut-il retenirPour ceux qui aiment le jazz, sur Europe 1, comme première émission où on peut entendre du rock ? Même si le propos des animateurs – Frank Ténot et Daniel Filipacchi – se veut exclusivement jazz. Prenons plutôt Salut les copains, toujours sur Europe 1, fondé par les mêmes, qui peut être considéré comme point de départ, même si l’émission fera toujours une bonne place à la variété yéyé la plus stupide. On peut quand même y entendre Beatles, Stones et tous les groupes du British Beat plus les roucouleurs du College rock, les chantres du Surf-rock et les folkeux de Greenwich Village, Dylan en tête. L’émission comptera plus d’un animateur, de Filipacchi au début à Hubert en fin de cycle, en passant par André Arnaud, François Jouffa, Annick Beauchamp ou le chanteur yéyé Monty, entre autres. Salut les copains, ou Ça pue les colins en contrepet, ne pourra résister aux évolutions de la pop music et à l’esprit de Mai 68, rendant définitivement l’antenne justement au printemps 1968.

Europe 1, c’était aussi, en soirée, Dans le vent, présenté par Hubert (Wayaffe) et une série de partenaires féminines, de Viviane (Blassel) à Julie (Séloron). L’oncle Hubert n’est pas avare de hits pop anglo-saxons et ce n’est pas pour rien qu’il fut accessoirement l’un des paroliers de Ronnie Bird qui reprenait des standards de la pop ou du Rhythm’n’blues en version française.

Mais toutes ces émissions font encore trop la part belle à la variété franchouillarde et c’est en septembre 1965 que naît, sur France Inter, la première véritable émission pop, le fameux Pop Club, de José Artur. Tout doucement d’abord, avec Claude Villers comme assistant, mais plus franchement à partir de 1968 avec des « music men » comme Patrice Blanc-Francard ou Pierre Lattès qui occupent la première heure, entre 22 et 23h, la fameuse « heure du pop ». Blanc-Francard comme Lattès sont sous influence jazz et font la part belle au rock progressif avec comme favoris Hendrix, le Pink Floyd, Soft Machine, Zappa ou Captain Beefheart.

Toujours sur Inter, Claude Chebel va animer une émission vaguement pop pour un public jeune, au même créneau horaire que SLC mais avec beaucoup moins d’auditeurs. Chaque station va d’ailleurs programmer du rock, ou ce qui s’en rapproche à cet horaire-là, que ce soit RMC avec Frank Lipsick ou RTL avec « le plus beau, celui qui marche sur l’eau » : j’ai nommé le Président Rosko, transfuge de Radio Caroline.

C’est en octobre 1966 que l’on peut entendre les premiers Minimax (pour maximum de musique et minimum de blabla, comme il disait). Le président passe tous les groupes anglais, mais ne néglige par le rock américain et c’est chez lui qu’on peut entendre les combos psychédéliques et l’acide rock californien. Rosko nous régalera, pendant l’été 1967 dit aussi été de l’amour, de disques du Jefferson Airplane, du Grateful Dead ou de Country Joe & The Fish. Pas si mal. C’est Mai 68 qui fera fuir un Rosko affolé par les risques encourus pour les détenteurs de capitaux par les menées des hordes gauchistes. C’est Sam Bernett qui le remplacera sur l’antenne de RTL. Une fausse sortie, car Rosko reviendra, dans les années 1970, sur les ondes d’Europe 1, la nuit, pour des émissions enregistrées depuis son bateau-studio de la baie de Los Angeles et livrées clé en main.  Supercool.

Restons sur Europe 1 où un certain Jean-Bernard Hebey fit ses premiers pas avec La nuit tous les chats sont gris, encore une émission qui passe entre 1h et 2h du matin, en fin de programme. Il animera aussi quelques Musicorama restés célèbres, dont celui consacré à Hendrix, en première partie de Hallyday, à l’automne 1966. Pour les insomniaques, Hebey nous sert lui aussi beaucoup de rock américain, californien de préférence, avec des commentaires toujours drôles et enlevés. Il sera viré en Mai 68 et, après un court passage à Rock & Folk, présentera les festivals pop de l’été 1969 sur RTL, avant d’y avoir son rond de serviette et une émission fixe le vendredi soir où il passe un album en entier, puis d’émarger pour un rendez-vous quotidien (Poste restante) dans les années 1970. Même si on y trouve pas toujours son compte côté rock (beaucoup trop de pop française), l’humour, le ton et le style de Hebey restent inimitables. Relégué le dimanche après-midi, il quittera la station et postulera à la direction de Radio 7 avant de devenir un collectionneur d’objets d’art, un temps chroniqueur chez Laurent Ruquier, grand nostalgique des figures de la radio de son enfance.

Mais revenons sur Europe 1 où, après SLC, Pierre Lattès présente Periphérik. Il dira avoir conçu l’émission pour « casser » SLC. C’était réussi de ce point de vue-là, mais on aura à la place les Jean-Loup Lafont et autres Sam Bernett. Pas sûr qu’on y ait gagné au change. En juin 1968, François Jouffa présente les premiers numéros de Campus, émission à destination d’un jeune public lycéen et étudiant qui alterne musicalement le rock et la chanson française engagée. C’est Michel Lancelot, ex journaliste à Combat et à Minute (eh oui!) qui prendra sa place en octobre 1968, à la même heure que feu SLC, avant de se déporter en soirée, de 20h30 à 22h30. Lancelot est assisté par Michel Brillié côté musique et, peu connaisseur et plutôt branché classique, se contente d’animer des débats politico-philosophiques avec des invités triés sur le volet. Toute une époque.

Au début des années 1970, toujours sur Europe, on retrouve François Jouffa animateur, côté musique, de Carré Bleu et aussi un personnage assez curieux du nom de Patrick Topaloff, animateur d’une émission produite par Nathalie Reznikoff. Les Russes arrivent !

Encore un crochet par RTL et ses nocturnes, enregistrées depuis le Luxembourg par Bernard Schu et Georges Lang. De minuit à 5h du matin, les deux compères, assistés de Jean-François Johan, nous passent le meilleur de la pop des années 1970, avec un biais plutôt rock progressif pour le premier, et Country-rock pour le second. Lang est encore actuellement au micro de RTL et Schu animera longtemps des émissions le week-end (Le show de Schu), de plus en plus déjantées et disco-soul.

On est déjà dans les années 1970 et on y reste avec les émissions vespérales de France Inter, Boogie, du déjà nommé Pierre Lattès, en prélude au Pop Club, et le Pas de panique du trio Villers – Blanc-Francard et Nanteau. Boogie nous abreuve de jazz et de rock progressif quand Pas de panique, plus chanson que rock, nous fait bien rigoler. Marche ou rêve prendra la suite. Plus tard, Blanc-Francard et Bernard Lenoir présenteront des émissions à base de Salsa et de Reggae (Bananas). Le même Lenoir sera longtemps à l’antenne de 21h à 22h pour présenter Rockline, émission plutôt Country à l’heure du Punk et, après un détour par Europe 1 où son pote Blanc-Francard a été nommé directeur des programmes, il reviendra sur Inter avec de meilleures intentions et des retransmissions de concerts restées mythiques.

À l’heure du Punk, c’en est déjà quasiment terminé du rock à la radio. Alain Manneval s’égosille en fin de programme sur Europe 1 et c’est sur la vénérable France Musique qu’on retrouve Alain Dister, à la fin des années 1970, pour une émission entre 18 et 19h animée tour à tour par Jean-Pierre Lentin (d’Actuel), Pierre Lattès, toujours lui, Paul Alessandrini et Jacques Vassal (Rock & Folk). Une petite heure pour la meilleure évolution de l’actualité musicale, comme on dit à Best.

Viennent les années 1980 et les radios libres. France Inter lance Radio 7 bien avant le Mouv’, quand RTL et Europe se déclinent en numéro 2 (RTL 2 et Europe 2), avec des animateurs dont l’étoile a pâli et qui font là un dernier tour de piste. Parmi la floraison d’émissions sur la FM, on signalera – et pas seulement par copinage – l’excellente émission des amis Jacques Vincent et Manuel Rabasse (avec Daniel à la technique) Les enfants électriques, sur Fréquence Montmartre. Et, puisqu’on en est à l’amitié, l’émission Fa fa fa, du regretté Jacques Cheynier, tous les lundis soirs sur Radio Campus Lille, soit dit en passant la première radio libre en France (depuis 1969).

Plus tard, dans les années 1990, on peut citer pour mémoire le Vinyl fraise de François Jouffa sur Europe 1 ou, sur France Inter, l’excellent Idoles et formica, de Paul-Marc Lewandowski, animé par la Canadienne Laurence Pierre, venue des radios libres. Laurence Pierre qui présentera ensuite, tard le samedi soir, Alternatives (avec la chronique de l’ami Philippe Thieyre) puis Addictions, deux émissions consacrées aux musiques actuelles (rap, techno et Cie). Est-ce encore du rock ?

Sur Inter, Bernard Lenoir prendra sa retraite – pas tout de suite, il ira encore rejoindre son pote Blanc-Francard au Mouv’ – et c’est l’excellent Michka Assayas qui prendra sa succession. Very good trip, de 21 à 22h, nous présente les nouveautés rock mais n’oublie pas l’histoire (les histoires) de la pop music avec ce qu’il faut de talent et de nostalgie. Sachons gré à Assayas d’avoir aussi réalisé des émissions estivales, le dimanche matin, sur Woodstock, Bob Marley ou Bob Dylan.

Juste un petit détour par la Belgique avec le Formule J, de Claude Delacroix, dans les années 1970, sans oublier les émissions plus rock de Marc Moulin, le soir, et toutes les équipes de Classic 21, radio pousse-disques mais où on a parfois de bonnes surprises.

Voilà, on pourrait en citer d’autres, animateurs et émissions, mais l’essentiel est là. D’autant qu’il n’y a pas grand-chose qui retienne l’oreille dans la période. Mais il faut dire aussi qu’on vieillit. Et puis, on est passé du transistor au MP3, au Walkman et aux radios en ligne. L’évolution n’est pas que technologique, et chacun fait sa radio comme il l’entend, fait son lit comme il se couche (comme « il se touche », aurait dit Claude Villers). Laissons-lui le dernier mot, avec toute mon admiration.

19 octobre 2021

Comments:

Merci pour ce rappel qui me ramène en tête une foule souvenirs … Dominique Farran que j’avais rencontré dans ses bureaux de RTL en 1981 … Michèle Halberstadt de Radio 7 qui m’avais contacté lors d’un de ses passages à New York, et que j’ai emmenée chez Giorgio Gomelsky pour qu’elle puisse l’interviewer chez lui, aussi en 1981 … Philippe Manœuvre que j’avais emmené à un concert de Michael Jackson au Madison Square Garden à New York le 5 mars 1988 pour un de ses rapports sur Les Enfants du Rock … mais le plus ancien, et inoubliable, fut ma visite au studio minuscule de Salut Les Copains que mon père m’avait arrangée au printemps 1965, et qui m’avait permis d’être assis dans un coin pendant que Daniel Filipacchi interviewait Johnny Hallyday en direct à l’antenne.

Juste une petite remarque à la suite de ce panorama très intéressant concernant le rock et les médias.
Je me rends compte que nombreux sont les médias de rock de référence dont l’origine provient de gazettes spécialisées en jazz.
Salut Les Copains fut créé par deux dirigeants de Jazz Hot et, surtout, Rock&Folk est une émanation de cette même revue. Les passerelles entre les deux mensuels étaient d’ailleurs assez fréquente puisque je me souviens que dans les années 70, Laurent Goddet, rédacteur en chef de Jazz Hot écrivait dans Rock&Folk sous le pseudonyme et anagramme de Raoul Dendgett si ma mémoire ne me fait pas défaut. Plus récemment, après avoir tenté l’expérience du papier, Muziq, un des meilleurs sites existant sur le rock (http://www.muziq.fr/) a été créé en 2004 par des rédacteurs de Jazz Magazine.
Signe sans doute que, malgré certaines crispations et quelques sectarismes dépassés, le jazz reste une musique particulièrement ouverte à de nombreuses influences, à commencer par le rock.

tu as bonne mémoire, c’est Raoul Dengdett qui tenait la rubrique jazz dans les années 70. Il parlait beaucoup de Sam Rivers et du Free-jazz. C’est vrai qu’il y avait des synergies entre jazz et rock, y compris chez les musiciens. Le monde du rock était moins confidentiel et rapportait plus que le jazz. Je vais aller voir sur le site que tu mentionnes, je ne le connaissais pas.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Catégories

Tags

Share it on your social network:

Or you can just copy and share this url
Posts en lien