Les Beach Boys ont 60 ans. Il ne s’agit pas ici de raconter leur histoire. Il y faudrait un livre, au moins en deux tomes si on entend faire un travail exhaustif. Comme pour les Beatles, on va se contenter d’évoquer leurs débuts, sur fond de plages ensoleillées et de Surf rock, un genre bien oublié aujourd’hui mais qui a servi de bande sonore à la jeunesse californienne au début des années 1960. Un petit voyage nostalgique au paradis adolescent des étés sans fin. Fun ! Fun ! Fun !
Hawthorne est une ville qui se situe dans la banlieue sud-ouest de Los Angeles, juste devant le Pacifique. Son patronyme évoque l’immortel auteur de La lettre écarlate, roman gothique mettant en scène des pionniers de la Nouvelle-Angleterre et où puritanisme et sorcellerie se donnent la main dans un sabbat funèbre.
La sorcellerie ici est musicale, et elle tient plutôt de l’enchantement. Le frère aîné des Wilson, une famille bourgeoise dont le père possède une entreprise de matériel aéronautique témoigne très jeune de dons exceptionnels pour la musique. Né au solstice d’été 1942, il compose ses premiers titres au début des années 1960, mélange déjà subtil du rock’n’roll des pionniers (notamment Eddie Cochran, voisin de Bell Gardens) et d’harmonies vocales qui paraissent tombées du ciel. Des chansons naïves et entraînantes conçues sous l’influence des Four Freshmen, l’un des premiers groupes de Surf-rock.
Car 1961 est l’année de l’émergence du Surf-rock en Californie, puis dans tout le pays. Une musique inspirée du rock’n’roll et du College rock des roucouleurs crantés à la Del Shannon, Ricky Nelson ou Frankie Avalon, mais avec en plus le soleil californien et le bercement des vagues. Le Surf-rock est une musique joyeuse pour adolescents heureux vivant un été éternel au paradis californien. Les premiers groupes ont pour noms Jan & Dean, les Trashmen, les Surfaris, les Rivieras, les Ventures (versant instrumentale) et bientôt les Beach Boys.
La basse étant prépondérante dans la Surf-music, Brian Wilson débute sur cet instrument et c’est une affaire familiale puisque son frère Dennis, déjà play-boy athlétique là où son aîné a une fâcheuse tendance à l’obésité, se met à la batterie. Il est né le 4 décembre 1944 et a à peine 18 ans quand le groupe est lancé. Juste un peu plus vieux que Carl, le dernier des Wilson qui, né lui au solstice d’hiver 1946, en a à peine 16. Il commence par jouer les utilités puisque c’est le cousin Mike Love qui fait la première voix, au milieu d’improvisations et d’harmonies vocales constantes de tous les autres et, comme guitariste, ce sera Al Jardine, camarade de lycée de Brian et déjà musicien accompli dont la réputation n’est plus à faire. C’est donc Mike Love qui fait figure de doyen dans cette formation juvénile : il 20 ans.
C’est Dennis qui aurait proposé à Brian d’écrire sa première chanson commercialisable en s’inspirant des corps bronzés défiant les vagues géantes. C’est « Surfin’ », un prototype qui contient en gésine toutes les premières chansons des Beach Boys : basse souple en avant, batterie métronome, guitare « twangy » à la Duane Eddy, textes simplets évoquant les amours de plage et – le plus important – ces vocaux enchanteurs, en harmonie, avec force ouh ouh ouh et backing vocaux omniprésents. Déjà la marque des Beach Boys, même si le morceau doit beaucoup à Chuck Berry.
Grâce à l’entregent du père Wilson, le disque sort chez une petite compagnie locale, Candix et, en décembre 1961, « Surfin’ » devient un hit non moins local. La réputation du groupe leur vaut de faire un essai aux studios Capitol où le producteur Nik Venet leur fait enregistrer une autre des chansons que Brian a en réserve : « Surfin’ Safari », et il est enthousiaste, prédisant le succès aux jeunes impétrants. C’est exactement ce qui arrive, et les Beach Boys sont conviés par le même Venet à mettre en boîte leur premier album chez Capitol à l’été 1962. Surfin’ Safari sort début octobre et les surfers se l’arrachent, considérant l’album comme une sorte de manifeste pour leur mode de vie hédoniste.
Mais la vague du Surf-rock est en passe de refluer et Capitol exige des Beach Boys qu’ils lui montrent autre chose. La multinationale américaine va importer les Beatles aux États-Unis et c’est d’un succès international à la Beatles qu’elle rêve.
Le deuxième album, Surfin’ USA (aussi appelé Finders Keepers) est prêt en un mois et peut sortir en mai 1963. Un saut qualitatif par rapport au premier qui n’était qu’un brouillon. Brian Wilson compose la majeure partie de l’album, mais il cosigne déjà certains morceaux avec des paroliers comme Charlie Christian et celui qui restera longtemps son alter ego, Gary Usher.
Mais plus qu’un groupe à albums, les Beach Boys sont des faiseurs de tubes et le single leur va à ravir. Leurs trois premiers singles, issus des premiers albums, se vendent comme petits pains mais on n’a encore rien vu et il faut attendre 1964 pour voir vraiment ce dont ils sont capables, des smash-hits comme « I Get Around » ou « Fun ! Fun ! Fun ! ». Surfer girl, leur troisième album sorti en septembre 1963, s’enrichit de mélodies suaves (« In My Room », « Surfer Girl ») et de hits aussi efficaces qu’enjoués (« Little Deuce Coupe », « Catch A Wave »). Brian Wilson n ‘en est plus aux niaiseries rythmées du Surf-rock mais a subi l’influence de Phil Spector, le producteur prodige qui, avec les Ronettes ou les Crystals, construit son mur du son, sa martingale pour obtenir un hit.
Brian Wilson ne s’est pas relevé du « Be My Baby » qu’il a écouté 1000 fois sans en percer le mystère. Il fera presque mieux avec « Don’t Worry Baby », même mélodie sublime, même production grandiose, même chœurs séraphiques et mêmes envolées lyriques. Deux hymnes au paradis bleu de l’adolescence. Sa voie est tracée.
Une voie royale à laquelle son paternel fait obstacle. Brian n’a plus envie de tourner, supportant mal les voyages en avion et les clameurs des fans. Son rêve, qu’il réalisera un peu plus tard, serait de composer toute la journée sur son piano, les casque sur les oreilles et les pieds dans un bac à sable pour lui rappeler sensuellement la plage. Un Jean-Sébastien Bach au soleil qui tutoie les anges. Tel que Guy Pellaert l’a portraituré dans sa chapelle sixties du rock : Bye bye, bye bye baby bye bye.
Il faut dire à ce stade que le père Wilson lui fait la vie dure. Il s’est improvisé manager, terrorise ses fils et leur met une pression colossale. C’est évidemment l’aîné, celui qui compose, qui est le plus tyrannisé, sans cesse rabaissé et humilié. Après Spector et ses filles, on lui demande de faire mieux que les Beatles et, en génie productiviste, Brian Wilson fait presque mieux : Shut down (qui contient « Don’t Worry Baby » et « Fun Fun Fun »), All summer long (avec « All Summer Long » et « I Get Around ») pour l’année 1964, sans parler de leur Christmas album qui peut être joué tous les matins de Noël avec celui de Phil Spector. Riche année également côté singles, qui les voit sortir des hits comme « Help Me Rhonda » ou « Do You Wanna Dance ». Avant les Byrds, les Beach Boys sont devenus les Beatles américains.
Mais déjà, le mal couve et l’année 1965 sera celle où le génie flamboyant va commencer à perdre pied. Sur le plan musical, les Beach Boys assurent plus que jamais avec rien moins que trois albums : Beach Boys Today, Beach Boys Party et le splendide Summer days and summer nights (juillet 1965) qui, avec des perles comme « California Girls », « Girl Don ‘t Tell Me », « Amusement Park USA » ou « Salt Lake City », préfigure déjà les chefs-d’œuvre que seront Pet Sounds ou Smiley Smile.
Dès la fin 1964, Brian Wilson quitte une tournée européenne, rapatrié après s’être enfermé dans sa chambre et avoir bu plus que de raison. Début 1965, il pique une crise de nerfs dans un avion et commande au pilote de retourner à Los Angeles. Presque un détournement. Rendu à Los Angeles, il est en butte aux récriminations de son père et ce sera sa première dépression nerveuse, qu’il tentera de soigner à coup de pilules d’acide lysergique en guise d’anti-dépresseurs. Mauvaise médecine.
Sur scène, les Beach Boys tentent de le remplacer par le chanteur Glenn Campbell et le pianiste canadien Bruce Johnston, qui va devenir membre du groupe à part entière. Brian Wilson, lui, peut passer sa convalescence à accoucher de ses futures merveilles, mais c’est une autre histoire que l’on contera peut-être un jour. God only knows. On aura eu « Barbara Ann » et « Then I Kissed Her » (toujours sous influence Spector) en hors-d’œuvre aux monuments sonores à venir.
Brian Wilson pourra dire adieu au surf, au soleil et aux vagues et il va pouvoir entrer dans un long hiver.
« I believe you, Mr Wilson, I believe you anyway
And I’m always thinking of you, When I hear your music play ». John Cale, « Mister Wilson ».
25 janvier 2022
Merci Didier pour ce rappel qui me ramène au jour où, en novembre 1964, je leur ai servi de traducteur pendant qu’ils signaient des autographes dans le magasin du Printemps, et que, pour me remercier, le Printemps m’a donné deux billets gratuits pour les voir le soir même à l’Olympia avec une des vendeuses du magasin – mon tout premier concert de rock.