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GENTO: LA FLÈCHE BLANCHE

Francisco Gento dans ses oeuvres, un grand d’Espagne ! Wikipedia

C’était l’inamovible ailier gauche du Real Madrid des années 1950 – 1960. À l’époque, le club aux couleurs blanches « merengues », passait pour être la vitrine du franquisme. Gento partageait avec le caudillo son prénom, Francisco. 18 saisons au Real et une fin de carrière discrète comme entraîneur dans des petits clubs, Gento sera nommé ambassadeur du Real en récompenses à sa longue carrière au club. En parallèle, 43 sélections en équipe nationale, mais il n’est pas de celle qui remporta le Championnat d’Europe des Nations de 1964. Son seul regret, peut-être…

Je me suis toujours demandé pourquoi on disait « Rento » pour quelqu’un dont le patronyme commençait par un G. J’ai compris sur un tard que cela devait participer du même phénomène linguistique qui faisait prononcer Gand « Rent » aux flamands. Les invasions espagnoles, sûrement.

Francisco « Paco » Lopez, dit Gento, avait débuté sa carrière au début des années 1950 au Racing de Santander. Il est originaire de la Cantabrie où il naît en octobre 1963. La Cantabrie, une province du Nord de l’Espagne dont la capitale est justement Santander.

Gento est donc un surnom, pris en l’honneur du fils d’un roi vandale – Genseric – ayant conquis l’Espagne (ou l’Ibérie de l’époque) au V° siècle. Les invasions barbares avant les Conquistadors et le siècle d’or. Grandeur et décadence.

Efficace à défaut d’être brillant, Gento est remarqué par les dirigeants du Real qui le font signer en 1954, justement l’année où les Madrilènes remportent la coupe latine et où, un an plus tard, le quotidien l’Équipe et le magazine France Football lancent à la fois la Coupe d’Europe des clubs champions et le Soulier d’or qui deviendra ballon d’or. Un trait de génie à créditer du chti, natif d’Arras, Gabriel Hanot qui mène rondement l’affaire avec le directeur de l’Équipe, Jacques Goddet, et le directeur de la rédaction de France Football, Jacques Ferran. Une épreuve qui semble faite à l’époque pour le chatoyant Real et son onze de rêve où Gento s’est installé pour longtemps à l’aile gauche.

De fait, le Real va remporter les 4 premières éditions, avant de collectionner les titres européens par la suite. Le Real du milieu des années 1950, c’est d’abord une attaque meurtrière avec comme avant-centre l’Argentin Di Stefano, le divin chauve, son compatriote aussi doué, l’inter gauche Hector Rial et, à droite, le petit ailier de poche Joseito, un fin technicien virevoltant et malin comme un singe. On trouve aussi à l’époque des défenseurs solides qui ont pour noms Zarraga, Munoz ou Santamaria. C’est la dream team de l’époque et le Stade de Reims d’Albert Batteux se cassera deux fois les dents en finale contre l’invincible armada. Raymond Kopa et Lucien Muller iront se vendre aux Madrilènes, sûrs au moins de remporter la coupe aux grandes oreilles sous le paletot blanc du Real.

Plus tard viendront le Hongrois Ferenc Puskas au pied gauche magique et le Castillan Luis Del Sol, l’intérieur droit à la technique impressionnante, sans parler d’Amancio, celui qui remplacera Kopa, retourné à Reims, au poste d’ailier droit.

Pourtant, il faut bien dire que le jeu de Gento est assez stéréotypé. Plutôt petit et trapu, l’ailier gauche du Real aux cheveux crépus et au visage anguleux se contente souvent de longs déboulés sur son aile suivis de centres au cordeau qui trouvent souvent les Di Stefano, Puskas, Rial ou Del Sol dans la surface adverse. C’est ainsi qu’évolue la flèche blanche, lancé à 100 à l’heure avec une vitesse fulgurante qui ne gène en rien sa conduite de balle. Car c’est bien là les spécificités de Gento, sa vitesse de course et la puissance de ses centres. On peut quand même lui reconnaître des qualités de dribbleur, mais ce n’est pas Garrincha ou Jaïrzinho, loin s’en faut. C’est plutôt un métronome, une fusée, un avion qui lance des missiles assassins faisant mouche pour semer la panique et le désordre dans les défenses de toutes les équipes ayant l’outrecuidance de défier le grand Real.

En même temps, il endosse la maillot rouge à liserés jaunes de la Roja où son jeu ne varie pas d’un iota : longues courses linéaires ponctuées par des centres précis. Mais Gento est aussi capable de décocher des tirs lointains, des 30 ou même 40 mètres, un peu dans le style de l’ailier gauche de la Seleçao Pépé, celui qui servait Pelé et Coutinho de ses centres assassins.

Au début des années 1960, le Real cède le sceptre aux rivaux catalans du Barça et aux Portugais de Benfica. L’équipe est toujours aussi séduisante, mais ses vedettes vieillissent et il est temps de songer à la relève . Est-ce pour cette raison que Gento ne sera pas sélectionné avec l’équipe d’Espagne qui remportera le Championnat d’Europe des Nations en battant l’U.R.S.S (tenant du titre) en finale, en 1964. Il faut dire qu’en 1960, Franco avait interdit à la Roja de disputer un quart de finales contre les Russes, au nom de la lutte contre la lèpre du communisme international. Rancunier, le caudillo se souvient que la Russie de Staline s’était portée, de façon pas du tout désintéressée et avec des stratégies tordues, au secours des Républicains espagnols. Un peu de géopolitique ne nuit pas quand on parle de football international.

Gento a quand même disputé les coupes du monde de 1962 et 1966, même si la Roja a été par deux fois éliminée au niveau des poules de qualification.

Le Real a quand même de beaux restes, remportant la première coupe intercontinentale, en 1960, aux dépens des Uruguayens du Penarol Montevideo. Gento a encore l’occasion de briller en inscrivant le cinquième but de son équipe, au match retour à Santiago Bernabeu.

Deux fois battus en finale, en 1962 contre Benfica et en 1964 contre l’Inter de Milan, le Real reprend son titre en 1966, en battant les Yougoslaves du Partizan de Belgrade en finale, même si cette année-là ils ratent le titre national d’un point, lequel échoit aux rivaux de l’Atletico.

L’équipe a changé de physionomie avec des petits nouveaux. Outre Amancio, on peut admirer les talents conjugués des Pachin, Zocco, Pirri, Grosso, Velazquez et autres Sanchis. Gento fait figure de valeureux ancien symbolisant la continuité tranquille entre les deux époques glorieuses du Real de Madrid, indomptable dans son antre de Bernabeu. Il est d’ailleurs devenu capitaine, arborant fièrement le brassard lui ayant été remis par Di Stefano. Une sorte d’adoubement.

À partir de 1967, le centre de gravité footballistique de l’Europe s’oriente au Nord. Les clubs latins déclinent et laissent dominer les formations anglo-saxonnes. Les regards se tournent vers Glasgow et Manchester, bientôt Amsterdam et Munich, puis Liverpool. Le Real n’est même plus abonné aux places d’honneur, et c’est l’Atletico qui dispute la finale de 1974 contre le Bayern.

Depuis longtemps, Gento n’est plus de la partie, honorant sa dernière cape en équipe nationale en 1969 et son ultime sélection avec le Real deux ans plus tard, en 1971. C’est l’année où le Real dispute une finale de coupe d’Europe, la Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe, contre les Londoniens de Chelsea. Une finale perdue qui voit Gento faire un dernier tour de piste avant de tirer sa révérence, à 37 ans quand même, une longévité inhabituelle pour un joueur de champ.

Gento aura collectionné les titres de champion d’Espagne et de champion d’Europe, les coupes d’Espagne et les coupes du roi. Il aura été sélectionné dans l’équipe de la FIFA en 1963 et classé 38° au classement historique des buteurs du championnat d’Espagne avec un total honorable de 128 buts.

Il va entraîner la réserve du Real Madrid puis des équipes modestes des divisions perdues espagnoles comme le CD Castellon, le CF Palencia ou, plus relevé, le Grenade CF qui sera sa dernière aventure. Il pourra, on l’a dit, devenir le fier ambassadeur des Merengues à travers le monde, fort d’un palmarès impressionnant avec le Real : 6 coupes d’Europe, deux coupes latines, une coupe intercontinentale, 12 titres de champion d’Espagne et deux coupes d’Espagne. De quoi s’éteindre avec le sens du devoir accompli, ce qu’il ne manqua pas de faire le 18 janvier 2022, à l’âge canonique de 88 ans.

Gento a pu ainsi troquer son maillot blanc immaculé contre un linceul de la même couleur. Puisse-t-il retrouver ses amis Di Stefano, Puskas, Del Sol ou Kopa au paradis des gentlemen footballeurs, où il sera accueilli à bras ouverts. Viva Francesco Paco Lopez, l’inoubliable Gento, dont j’avais du mal à suivre les courses folles sur mon écran de télévision dans les finales de coupes d’Europe de mon enfance. Tellement il allait vite et tant il frappait fort.

Gento, la flèche blanche, un grand d’Espagne !

23 janvier 2022

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