Maintenant qu’on connaît l’identité des 12 candidat-e-s, on peut commencer à parler des élections présidentielles. Avant d’en venir sur les surprises qui ont émaillé ces élections (2), puis aux questions de fond sur les enjeux et les candidatures (3), on se détend avec un passage en revue de ces candidatures minoritaires ou fantaisistes qui ont égayé les présidentielles depuis 1965. Généralement, elles représentent quand même des courants d’idées et sont portées par une famille politique. Sauf notables exceptions au début. Revue d’effectifs.
On commence avec Marcel Barbu, en 1965. On aurait pu aussi citer Pierre Macilhacy, qu’on appelait Pierre Marsipulami dans nos cours de récréation, mais lui était quand même sénateur (de Charente) et classé au centre-droit. Il estimait certainement la candidature de Jean Lecanuet trop à gauche pour sa famille politique.
Barbu donc, celui qui s’adressait aux électeurs en les appelant « mes frères et mes copains » (merci pour les dames). Il a à peine 60 ans et on croirait entendre un vieillard qui larmoie à l’écran en implorant De Gaulle de se retirer pour ne pas connaître le sort du maréchal Pétain ; le même De Gaulle qui le traitait publiquement d’hurluberlu.
Pourtant, Barbu s’était fait élire député en 1946 pour le compte de l’Union progressiste, un parti de gauche proche du Parti Communiste. Issu du catholicisme social, il a été résistant et est devenu un petit entrepreneur dans l’horlogerie près de Grenoble.
Moqué et ridiculisé par la France entière, Barbu n’en était pas moins un farouche défenseur du logement social (proche de l’abbé Pierre), souhaitant créer un ministère des droits de l’homme ainsi qu’un référendum d’initiative populaire calqué sur le modèle Suisse. Pas si mal.
Il fera 1,15 % des suffrages et donnera des consignes de vote au profit de Mitterrand.
Pour l’anecdote, j’ai longtemps vu ce graffiti qu’un rigolo anonyme avait écrit sur un pont du Grand boulevard vers Lille, à la sortie de Tourcoing : « France fidèle = Castro – France virile = Barbu ». Ce devait être l’œuvre d’un situationniste qui s’ignorait…
Beaucoup plus conventionnel était Louis Ducatel, candidat en 1969. Ducatel qui, de son propre aveu, s’était présenté pour faire connaître sa petite entreprise. L’homme était ingénieur, une caricature de petit patron tel que vu par Jacques Tati ou interprété par Louis De Funès.
Ducatel était aussi peintre et se disait artiste, son grand œuvre aura été d’avoir fait réaliser de son vivant son magistral tombeau du Père-Lachaise, on ne se refuse rien ! Il obtint 1,27 % des voix et insista pour se classer dans les divers gauches, sans toutefois laisser de consignes de vote pour le second tour. Ce n’est pas avec ses voix de toute façon que le duo Deferre / Mendes-France ou Rocard se seraient qualifiés.
En 1974, les tout petits candidats ne sont pas aussi fantaisistes et veulent incarner un courant politique, certes ultra-minoritaire, mais qui n’existe pas moins.
C’est ainsi qu’on peut voir deux candidats fédéralistes européens, Jean-Claude Sebag et Guy Héraut, tous deux pour une Europe fédérale et la fin des États-nations. Ils se revendiquent de Proudhon et du fédéralisme anarchiste, férocement anti-nationalistes. Mais Sebag et Héraut ressemblent plus à des jeunes cadres dynamiques qu’à Ravachol. Le différend porte sur l’objectif, Sebag pour un mouvement fédéraliste et l’autre, plus ambitieux, pour un parti.
Pour l’anecdote, Héraut fera le plus petit score jamais enregistré pour une présidentielle : 0,08 %, soit les voix de sa famille, de ses amis et de quelques personnes de son quartier. Record à battre !
La même année, on peut voir sur nos étranges lucarnes un jeune autre jeune homme chic du nom de Bertrand Renouvin pour le compte de la N.A.F (la Nouvelle Action Française). Renouvin n’est pas ce qu’on peut appeler un Maurassien, se disant proche du Gaullisme et anti-fasciste. Bien qu’Orléaniste, il dit se situer à gauche et appellera même à voter Mitterrand en 1981.
Cette année-là, pour terminer à 12, on aura aussi Émile Muller, le maire de Mulhouse, le leader d’un tout petit parti de centre-gauche, le Parti de la Démocratie Socialiste (PSD) dissident de la SFIO, fondé avec l’ancien communiste Auguste Le Cœur et Max Lejeune, ministre sous la IV° République et sénateur-maire d’Abbeville.
26 candidatures – dont plusieurs d’extrême gauche principalement maoïstes – seront rejetées pour ne pas avoir atteint les 100 signatures, mais c’est la dernière élection où on se contente de si peu et la loi du 18 juin 1976 portera à 500 le nombre de parrainages exigés, avant de compliquer encore les conditions de diversité géographique en durcissant la clause de représentativité nationale de 1962 (parrainages reçus dans 30 départements ou collectivités d’outre-mer différents).
Les candidats fantaisistes ou très petits sont ainsi éliminés pour longtemps, mais on peut quand même citer Pierre Boussel en 1988, soit le « Lambert » (son nom de guerre) de l’OCI devenu PCI puis OCR puis MPTT (Mouvement pour un Parti des Travailleurs). Il y aura encore le P.T pui le POI avant le POID. Mais le propos n’est pas de faire la genèse de ce courant trotskiste atypique, dissident de la IV° Internationale, qui passera de la révolution ouvrière internationaliste et permanente à la défense des territoires et de la laïcité.
Lambert sera un dirigeant de la IV° internationale qui fera de l’entrisme à la CGT (et non à F.O comme tout Lambertiste qui se respecte). Au-delà des appellations du parti, le titre de son journal, Informations ouvrières, restera et Boussel – Lambert sera le mentor de Lionel Jospin.
Il sera reproché à Lambert ses ambiguïtés pendant la guerre, lui qui avait fréquenté un certain Molinier prônant l’entrisme dans le PPF de Marcel Déat et militait pour la fraternisation entre soldats français et allemands au nom du prolétariat. Après un séjour dans la Yougoslavie de Tito, il fut exclu de la CGT pour hitléro-trotskisme. Boussel-Lambert finit bon dernier avec 0,38 %.
Son courant politique sera représenté par Daniel Gluckstein en 2002 et par Gérard Schivardi en 2007. Gluckstein, théoricien du parti, fera 0,47 % quand l’auto-désigné « candidat des maires », (par ailleurs maire de Mailhac dans l’Aude) fera 0,34.
Passons vite sur la Boutin de la République en 2002, foldingue réactionnaire qui coche toutes les cases de l’extrême-droite catholique, de l’anti-avortement à l’homophobie en passant par le racisme et la lutte contre l’euthanasie. Pour l’anecdote, dame Boutin avait épousé son cousin germain par dispense spéciale de la papauté.
Elle laissera son (micro) Parti Chrétien-Démocrate (PCD), devenu VIA, à un autre réac de compétition, Jean-Frédéric Poisson, éternel candidat bon dernier des primaires de droite. Elle fera 1,19 % en 2002, soit 340000 voix quand même.
En 1995, mais il sera aussi présent en 2012 et en 2017, la France découvre Jacques Cheminade, concourant pour une étrange formation baptisée Parti Ouvrier Européen (qui deviendra Solidarité et Progrès). Cheminade, né à Buenos-Aires en 1941, est un adepte du milliardaire américain Lyndon Le Rouche, longtemps président de l’U.S Labour Party soupçonné d’espionnage et d’antisémitisme. Cheminade sera d’ailleurs inquiété par la Muviludes pour emprise sectaire et taxé de conspirationnisme et de complotisme.
Résolument anti Union Européenne et se disant contre la finance débridée, Cheminade ira jusqu’à mettre en tête de son programme la colonisation de la planète mars. Il est en fait scientiste, homophobe, conspirationniste, climato-sceptique et raciste, comme son maître.
Sur les trois élections où il s’est présenté, il passera de 0,28 à 0,19 % et, pour 2022, il a décidé de soutenir le très controversé souverainiste et ex Mélenchoniste Georges Kuzmanovic, qui n’a pas réuni les signatures nécessaires. On ne va pas s’en plaindre.
En 2007, le représentant du CPNT (Chasse, pêche, nature et traditions) s’appelle Frédéric Nihous, succédant à Jean Saint-Josse. Ex RPR, Nihous dit défendre la ruralité et la chasse, se battant contre les bobos et l’écologie punitive. Il fait passer le score de CPNT de 4,25 à 1,15 % à la suite d’une campagne particulièrement nulle. Tant mieux pour les anti-chasses.
Nihous siège depuis au Conseil régional des Hauts-de-France derrière Xavier Betrand et tous deux tentent d’accréditer la thèse qui veut que les chasseurs sont les premiers écologistes.
On passe à François Asselineau, le technocrate et ex inspecteur des finances, connu pour son micro-parti, l’UPR, souverainiste et frexiter. Asselineau a hanté les cabinets ministériels de tous les gouvernements de droite et, même s’il se dit adversaire du Rassemblement national, son discours souverainiste, conspirationniste, néo-gaulliste et surtout résolument anti-européen le font pencher vers l’extrême-droite .
Pro-russe et aussi anti-américain qu’anti-européen, l’UPR d’Asselineau se revendique parfois de l’altermondialisme et a été actif contre les traités de libre échange, mais c’est une identité usurpée qui cherche à masquer ses positionnements à droite toute. Il a fait près de 1 % en 2017, recalé aux signatures pour cette année.
Terminons rapidement sur Jean Lassalle, dont il n’y a pas grand-chose à dire, candidat lui aussi de la ruralité et des territoires, humaniste mais trop longtemps féal de Bayrou. On peut saluer ses combats citoyens pour la vallée d’Aspe et sa grève de la faim à l’Assemblée nationale. Mais était-il besoin de faire un film sur sa vie et son œuvre, comme l’a fait Pierre Carles (Un berger et deux perchés à l’Élysée) ; un film encensé par Delépine et toute l’équipe de Groland qui font presque de Lassalle leur candidat. C’est assez dire l’état de confusion de la gauche, mais c’est une autre histoire.
Au fait, Lassalle a fait 1,21 % en 2017, va-t-il battre son propre record ? Suspense insoutenable.
La fois prochaine, les surprises du chef où l’on montre que rien ne se passe jamais comme les sondeurs et les médias l’ont prévu. Une chance ?
5 mars 2022
C’est quand même beau la démocratie en action.