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LE RÉVEIL DES QUARTIERS : ROUBAIX, UNE LUMIÈRE

Vue aérienne du quartier populaire du Pile à Roubaix.

C’est en partie le titre d’un débat public qui aura lieu le jeudi 9 juin à la FAL de Roubaix. Il y sera question de la politisation des quartiers après le score réalisé par Jean-Luc Mélenchon aux présidentielles dans la ville (50 % quand même !). Les trois comités Attac de la métropole lilloise et l’association Pour Politis (les lecteurs de la métropole) organisent cet événement pour se poser les bonnes questions sur la mobilisation dans les quartiers populaires. Quels en sont les ressorts ? comment s’effectuent les médiations ? Quels en sont les enjeux ? Cette mobilisation électorale récente n’est-elle qu’un épiphénomène ou est-elle appelée à durer? Autant de questions auxquelles Hugo Boursier (journaliste politique à Politis) et Antonio Delfini (sociologue ayant beaucoup travaillé sur les quartiers) s’efforceront de répondre.

Si Roubaix est connu comme étant l’une des villes les plus pauvres de France à échelle comparable, et si sa population est souvent décriée, la ville n’en est pas moins le théâtre de luttes sociales avec la création de collectifs citoyens s’adressant directement aux pouvoirs publics.

On a déjà parlé ici de la lutte contre les privatisations (« associations à but non lucratif », qu’ils disent) de deux Ehpad situés dans les quartiers les plus pauvres de la ville. Une mobilisation qui se poursuit avec des pétitions massivement signées, une interpellation des édiles, de l’A.R.S et du Conseil Départemental et des recours juridiques qui vont être formulés. Une partie du Collectif contre la privatisation des Ehpad de Roubaix va d’ailleurs se constituer en association pour pouvoir ester en justice. Le sujet a déjà été abordé dans un précédent article de ce blog (Les chercheurs d’or gris).

Attac Roubaix – Tourcoing (avec Attac Lille), mène depuis fin 2017 une campagne pour la gratuité des transports à Roubaix et nous en avons déjà parlé là aussi dans un article de ce blog (Magic Bus). En lien avec les comités de quartier (actuellement La Potennerie, là où on veut privatiser l’Ehpad justement), des militants des deux comités continuent leur campagne de pétition et, avec un nouveau tract, informent les habitants et vont au-devant des pouvoirs publics, en lien avec le Collectif national pour la gratuité.

Roubaix, ce sont aussi des luttes sociales et des combats politiques menés dans les quartiers par la France Insoumise et ses militants, dont plusieurs appartiennent d’ailleurs au comité Attac local. À force de tractages, de porte à porte et de rencontres publiques, ils ont réussi à recueillir 50 % pour Mélenchon aux Présidentielles, là où Roubaix se distinguait surtout par une abstention massive, une ex-majorité socialiste morcelée entre deux ou trois notables ex P.S et des formations de gauche divisées qui se tirent la bourre entre LFI, EELV et PCF.

Que s’est-il passé pour que des militants politiques, à force de travail de conviction, en viennent à rendre le vote à gauche majoritaire, dans une ville où trône encore à la mairie une majorité de droite discréditée par un scandale portant sur le financement de leur campagne électorale, ce qui a provoqué la démission du premier adjoint.

Que s’est-il passé pour que des populations le plus souvent laissées pour compte, abandonnées et méprisées ne désertent plus les urnes et affirment par leur vote un espoir de changement dans un geste citoyen et une démarche politique.

Que s’est-il passé et surtout comment a-t-on fait pour mobiliser ces populations jugées hâtivement apolitiques, inciviques, individualistes et, surtout, obéissant à des logiques de clans, à des caïds de quartier ou à des leaders religieux, jusqu’à parler d’islamo-gauchisme pour caricaturer ce soi-disant amalgame de révolte diffuse et de gangue religieuse.

C’est à ces questions qu’on s’attachera de répondre lors de ce débat public avec, à la table, un journaliste spécialiste des questions politiques et un sociologue dont l’objet d’étude est justement la politisation des quartiers populaires.

Antonio Delfini, Julien Talpin et Janoé Vulbeau, en lien avec un collectif de sociologues dont font partie Romain Gallart, Benjamin Leclercq, Foued Nasri, Margot Dazey et Marion Lang, sont l’auteur du livre Démobiliser les quartiers – enquête sur les pratiques de gouvernement en milieu populaire (Presses Universitaires du Septentrion) qui traite de la difficulté à les politiser comme à leur rendre leurs capacités d’action et leur puissance d’agir à cause du travail de sape des institutions, des pouvoirs publics, du chômage, de la marginalisation économique et culturelle, des discriminations et d’une certaine ghettoïsation ou relégation devenues hélas de plus en plus prégnante. On peut citer un court résumé de ce livre tel qu’il figure sur le site de l’éditeur : « Si les quartiers populaires ne sont pas des déserts politiques, l’action collective y demeure fragile et fragmentée et n’a pu se constituer en mouvement social d’ampleur. Pour comprendre ce phénomène, ce livre se concentre sur les pratiques des pouvoirs publics qui contribuent à entraver ces mobilisations : disqualification des militant∙e∙s, cooptation des leaders, divisions des associations, dispersion des habitants, répression des luttes. Ici, pas de grand plan pour démobiliser, mais une articulation de pratiques disparates, de stratégies individuelles et de routines organisationnelles qui rendent toujours plus coûteuse l’action collective ».

Hugo Boursier, lui, connaît bien la problématique en tant que journaliste politique à l’hebdomadaire Politis. On se doute bien qu’un tel journal ne s’intéresse pas à la politique politicienne et aux petites phrases des uns et des autres. L’hebdomadaire a toujours été favorable à l’unité à gauche dans le respect des valeurs démocratiques, sociales et écologiques. Dès sa création début 1988, Politis s’est efforcé de parler à toute la gauche et de lui donner la parole, au-delà des chapelles et des boutiques et pour offrir des débouchés politiques aux mouvements sociaux dont l’indépendance n’est pas contestée.

Journaliste indépendant au sein du collectif Focus, Hugo Boursier a rejoint la rédaction de Politis après avoir travaillé à Libération, La Croix, Les Inrockuptibles, Slate et Médiapart, entre autres. Il est aussi collaborateur d’émissions politiques sur France Culture (notamment Affaires étrangères de Christine Ockrent et Le temps du débat d’Emmanuel Laurentin) , TV5 Monde ou France 24. Bref, un journaliste multi carte et tous terrains qui a la passion de l’enquête, de l’investigation et du reportage.

Il est bien évident que le fait que ce débat se situe quelques jours avant le premier tour des législatives n’a rien d’anodin ni de fortuit. Même si Attac intervient dans les champs économiques, sociaux et géopolitiques, il nous a semblé important de rechercher des partenariats avec les formations de gauche qui le souhaitaient comme avec des associations citoyennes (l’UPC, la MDA) ou des comités de quartier et centres sociaux. Toutes ces associations en prise avec les populations des quartiers et jouent un rôle d’intégration dans la vie citoyenne pour le vivre ensemble et la solidarité. La politique n’est pas sale, et comme elle l’avait fait pour les présidentielles, Attac se mouille, ne serait-ce que par défaut, en n’hésitant pas à désigner ceux qu’il faut éviter.

Tous et toutes n’ont pas répondu, malgré notre insistance, mais on pourra compter sur des représentants de EELV, du PCF et de la France Insoumise côté politique et peut-être sur l’UPC (Université Populaire et Citoyenne) et le Comité de quartier de La Potennerie qui travaille en lien avec Attac sur la gratuité des transports. Gageons qu’on pourra aussi compter sur des jeunes des quartiers et des animateurs de collectifs qui mènent les luttes sur le terrain, dans une ville passée de la richesse industrielle du textile et de l’essor de la Vente par correspondance à la pauvreté, voire à la misère. Même si on n’en a pas trop conscience dans les beaux quartiers où des îlots de prospérité détonnent avec des quartiers populaires dévastés.

Peut-être aura-t-on la surprise de voir quelques personnalités de la mairie ou des partis politiques d’extrême-centre (les Macronistes) porter la contradiction et venir défendre leur point de vue, eux qui sont pour la gentrification des quartiers et qui souhaitent une population différente (comprendre plus aisée matériellement et moins sujette aux aléas sociaux) dans ce qu’ils croient être leur ville ; cette ville qui n’a pas attendu après eux pour de superbes réalisations comme le Musée de la Piscine, les Archives du monde du travail ou La Condition publique.

Alors, Roubaix, une lumière ? Comme titrait un certain film, sorti il y a déjà trois ans. En tout cas, une envie de politique et une aspiration au changement loin des clichés misérabilistes et au plus près des valeurs d’entraide et de solidarité.

Le réveil des quartiers ? Débat public à la FAL de Roubaix (20 rue de Lille), le jeudi 9 juin à 18h30, avec Hugo Boursier et Antonio Delfini.

Débat public organisé par les 3 Attac de la métropole et l’association Pour Politis.

26 mai 2022

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