Robin des Bois ou Jesse James, ces brigands bien aimés qui détroussaient les riches pour donner aux pauvres. Avec Macron, Borne, Lemaire et leur contre-réforme des retraites (une réforme étant censée aller vers un progrès ou au moins une amélioration), on fait exactement l’inverse : on prend aux pauvres (retraites et assurances chômage, réforme de la formation professionnelle) pour donner aux riches (« quoi qu’il en coûte », dividendes, exonérations de cotisations, avantages fiscaux…). Tout cela parce qu’il faut bien donner des gages à l’Union Européenne, sans toucher au capital. Nicolas Postel, économiste lillois, nous a expliqué tout cela avec brio et humour.
C’était le lundi 16 janvier, à la MDA de Lille, un débat public organisé par les Amis du Monde Diplomatique et Attac Lille. Invité, Nicolas Postel, professeur d’économie à l’université de Lille et membre du CLERSE (Centre Lillois d’Études et de Recherches Sociologiques et Économiques). Postel est un ancien membre d’Attac et proche des Économistes atterrés. Le sujet ? Les retraites avec, d’emblée, un titre explicite : Les trois (mauvaises) raisons de la réforme des retraites. Le décor est planté et la démonstration peut commencer.
D’abord, Postel s’excuse presque, non sans humour, de ce débat qui semble être devenu un marronnier (en journalisme, un sujet qui revient régulièrement dans l’actualité et meuble parfois l’absence d’informations importantes). Un marronnier qui a pu croître et embellir depuis la réforme Balladur en 1993 en passant par le plan Juppé en 1995, la réforme Fillon en 2003, celle de Woerth en 2010, de Marisol Touraine en 2014, de Delevoye – Philippe en 2019 jusqu’à nos jours. Sans parler du rapport Rocard en 1991 qui mettait en garde tout la classe politique présente et à venir, en Cassandre des retraites, que le sujet pouvait faire sauter n’importe quel gouvernement. Postel ironise en disant que cela n’a pas empêché chaque gouvernement depuis de s’y coller.
Une tribune signée de lui dans Le Monde (23 octobre 2022) résume ses positions sur la question, qu’il développe de façon claire et argumentée.
Tout d’abord, et c’est la réponse à la première mauvaise raison, le problème n’est pas technique mais politique. Postel nous renvoie au philosophe et économiste Karl Polanyi (La grande transformation), à sa notion de marchandises fictives et d’opposition entre marché et démocratie. Pour lui, le « doux commerce » à la Montesquieu n’existe pas et les possédants ne visent qu’à accroître leurs biens, quitte à faire advenir le fascisme lorsque cette expansion démesurée est contestée ou mise en difficulté par les forces sociales.
Après Polanyi, c’est Robert Castel (pas l’humoriste pied-noir, l’autre, le sociologue) qui est convoqué pour développer les concepts de propriété sociale, qui existe au même titre que la propriété privée, et de droits collectifs. Ainsi les salaires, le temps de travail, la retraite, les assurances chômage ou la formation sont des droits et cela, même si les capitalistes n’y voient que des charges amoindrissant leur rente et leur patrimoine.
À l’aide de graphiques faits, nous dit Postel, en retenant les chiffres du gouvernement en matière de croissance et d’emploi, on en vient à la situation telle qu’elle est, et non comme on veut nous persuader qu’elle est.
Quelle est la situation exacte ? Le COR (Conseil d’Orientation des Retraites) nous dit que si un déficit des caisses de retraite existe actuellement et qu’il est prévisible à moyen terme (entre 7,5 et 17 milliards en 2025, soit 12 milliards en moyenne), les deux années précédentes ont été excédentaires et, surtout, que les évolutions démographiques devraient s’équilibrer à plus long terme. Il n’y aurait donc pas lieu de s’inquiéter, d’autant que…
D’autant qu’il suffit de prendre quelques chiffres pour mesurer le côté dérisoire d’un déficit qu’on nous décrit comme abyssal. Alors qu’on consacre 25 % du PIB pour les dépenses socialisées (augmentation de 0,6 % seulement) et qu’on érige en dogme le fait que ce qui est consacré aux retraites ne doit pas excéder 13,9 %, on a un total de 36000 milliards de dollars sur le marché des fonds de pension (Cirelli et Black Rock en tête avec 33 milliards) ; 180 milliards d’Euros crédités aux entreprises dans le cadre du « quoi qu’il en coûte » et de la politique de l’offre ; 30 milliards pour les dividendes des actionnaires, sans même parler des exonérations de cotisations sociales pour les patrons qui durent depuis des lustres. À côté de cela, une hausse des cotisations patronales de 0,8 % sur quatre ans permettrait de combler l’éventuel déficit de 12 milliards et une hausse des salaires (et donc des cotisations), même légère, réglerait le problème pour longtemps. Par ailleurs, une simple taxe de 2 % sur les fortunes des milliardaires français rapporterait là aussi 12 milliards. Sauf qu’on crierait à la spoliation et qu’on menacerait de mise en sécurité des capitaux dans les paradis fiscaux et de fuite des cerveaux. Pour ce qui est des paradis fiscaux, petit rappel : l’évasion fiscale coûte à la France environ 80 milliards d’Euros par an. Il vous faut d’autres chiffres ?
On voit bien par là qu’il s’agit d’un faux problème, alors pourquoi cette réforme ?
« Parce qu’on vit plus longtemps », nous disent ses partisans dans un bel ensemble. C’est d’abord la négation du progrès social et c’est méconnaître le fait que l’espérance de vie en bonne santé s’est dégradée pour arriver à 64 ans et demi. Soit une retraite à 64 ans donnant 6 mois de vie en bonne santé ! Par ailleurs, le taux d’emploi après 60 ans est de 33 %. On fabriquera donc des chômeurs à faibles allocations et des petits vieux cassés au minimum vieillesse. Et on n’a pas parlé de la hausse des gains de productivité qui profitent essentiellement aux entreprises et aux actionnaires depuis que le rapport entre travail et capital s’est inversé, au cours des années 1980. Et on n’a pas parlé non plus des carrières incomplètes, des précaires, des femmes, des ouvriers… Quant aux régimes spéciaux, ils ont été mis en place pour des risques professionnels particuliers et sont le fruit des luttes. Quand on voit que 4 critères de pénibilité sur 10 ont été retenus seulement en 2018… Alors pourquoi cette réforme ?
Tout simplement parce que le gouvernement Macron s’est engagé auprès de l’Union Européenne à baisser la dépense publique de façon significative après une gabegie de cadeaux aux entreprises dans le cadre de la pandémie et du « quoi qu’il en coûte ». Comme il érige en dogme le fait que le coût du travail ne doit pas augmenter au nom du mythe du ruissellement et de la croissance à partir des riches investisseurs et de leurs miettes qui descendent jusqu’aux pauvres, c’est donc aux pauvres qu’on s’attaque. Réforme de l’assurance chômage (que dalle ou presque si le taux est à moins de 6 % et pression mise sur les chômeurs) ; réforme de la formation professionnelle (stages en entreprise au détriment de l’éducation qui vont permettre de travailler à 14 ans) et, nous l’avons vu, réforme des retraites.
Pour Macron et sa clique, le « pognon de dingue » récupéré sur les retraites servira à financer la transition écologique et d’autres dépenses vertueuses. Tu parles… Même si la situation des retraites s’améliorera à l’horizon 2030, il faut dégager du cash tout de suite pour montrer à l’Europe sa bonne volonté.
Une réforme scandaleuse socialement, non justifiée économiquement, et désastreuse écologiquement (le dogme de la croissance à tout prix devrait être abandonnée eu égard aux impératifs écologiques). Un scandale démocratique également, quand on compte 70 % de la population active parmi les opposants à la réforme (les instituts de sondage donnent entre 68 et 71%). Et les J.T vont encore nous montrer des salariés « pris en otage » et des syndicalistes sans cœur, sauf que cette fois ça risque fort de ne pas marcher. Pour une fois, les micro-trottoirs laissent parler les opposants à la réforme.
Le pays est à bout et les classes populaires ont les pires difficultés pour faire face, à l’inflation, à la hausse des prix, au coût de l’énergie… Il y a quelque chose d’inconscient chez Macron à mener cette guerre aux salariés, aux chômeurs, aux retraités, aux pauvres. Le 19 janvier sera un premier test, une première bataille, avec une intersyndicale unie et des forces politiques de gauche tirant dans le même sens (même si le P.S a des désaccords sur la durée de cotisation et que le PCF insiste pour un référendum). Il y aura de la répression, de la propagande, des fake news et quelques petites concessions qui vont peut-être amener les maillons faibles à se faire plus conciliants.
Mais tout cela ne suffira pas si on ne mène pas une vaste campagne d’éducation populaire, comme on a pu le faire avec le TCE dans les années 2004 – 2005, que chacun se sente concerné et descende dans la rue pour soutenir les secteurs en grève et bloquer l’économie, la seule possibilité de faire reculer un gouvernement ultra-libéral et sécuritaire.
Le pire, c’est qu’ils nous disent que les Français, en les élisant, ont voulu cette réforme. Même moi j’ai voté Macron au second tour ! On se demande s’il faut retenir plutôt la rouerie, la mauvaise foi, le mépris ou l’hypocrisie. On prend tout.
Dans la séquence questions – réponses, Postel répondra même à des questions qui ne lui ont pas été posées : « je fais comme Georges Marchais, je dis que c’est peut-être pas votre question mais qu’en tout cas c’est ma réponse ! ». « Au-dessus de 4 millions de francs je prends tout ! », disait Marchais au duo Duhamel et Elkabbach dans les années 1970. 4 millions d’Euros, maintenant ? Avec ça, plus de problème de retraites !
17 janvier 2023
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Bravo pour ce compte-rendu très fidèle et pour les commentaires très éclairants avec lesquels je suis d’accord.Tu aurais pu ajouter que l’égalité des salaires hommes-femmes apporterait également une augmentation des cotisations.Et il y a d’autres sources,en tapant plus haut!
Oui tu as raison, ça manque, mais je ne peux pas parler de tout dans le cadre d’un article.
On y reviendra.
Merci pour ce beau compte rendu ! Il me remet notamment en mémoire la phrase de Marchais : « Ce n’est peut-être pas votre question, mais c’est ma réponse ». Cette belle phrase, sans doute spontanée, mais très profonde, fait écho à Marx et à Bourdieu ! Marx : « Ce n’est pas seulement dans leurs réponses, mais bien déjà dans les questions elles-mêmes qu’il y avait une mystification » (L’idéologie allemande). Bourdieu, un peu partout, cf. cette phrase : « Le plus caché, c’est ce sur quoi tout le monde est d’accord, tellement d’accord qu’on n’en parle même pas , ce qui est hors de question, qui va de soi » (Questions de sociologie). Bref, questionner ce qui est « hors de question » pour les journalistes : comment vivent les gens qui sont déjà sans travail entre 60 et 62 ans ? Vous pourriez-vivre comme cela ? De combien la fortune des grands actionnaires a-t-elle été augmentée depuis 10 ans ? Etc.
merci Christian pour ton retour. Et tes références à Marx et à Bourdieu. J’avais lu L’idéologie allemande il y a longtemps mais ça m’est largement passé au-dessus de la casquette. C’était en tout cas un bon débat et il faudrait multiplier ce genre d’initiatives dans la période.
A ce que je vois, les commentaires ne manquent pas… le sujet interpelle ! Merci pour ce rappel des mauvaises raisons de cette mauvaise réforme des retraites. De donner les chiffres exacts (et dérisoires) du « déficit ».. Macron s’obstine, mais qui est dupe ?
Le Sénat protège son régime de retraite spécial… et supprime les régimes spéciaux de retraite de certains salariés… ! Jusqu’où l’indécence peut-elle aller ?