Versant plus lumineux, ou moins sordide disons, que l’article paru il y a un mois sur les critiques de rock qui avaient plutôt mal tourné ; portrait rapide de 8 journalistes rock ici parmi les plus brillants de leur génération qui ont mené une carrière professionnelle et une vie d’homme tout à fait estimables. Ils sont pour noms Philippe Garnier, l’ami américain de Rock & Folk, Francis Dordor, le punk jamaïcain de Best, Paul Alessandrini, l’intellectuel de la bande, Philippe Paringaux, poète et nouvelliste, Alain Dister, l’éternel hippie photographe, François Ducray, l’esthète styliste , Jean-Pierre Lentin, le music man d’Actuel et Jacques Vassal, le « folk » de Rock & Folk à lui tout seul.
Il fut un temps où nous admirions autant ceux qui écrivaient sur le rock que ceux qui en faisaient. Nous étions las des pop stars, de leurs propos stupides, de leurs frasques et de leurs états d’âme et nous nous laissions subjuguer par ces articles de Rock & Folk ou de Best qui nous montraient l’envers (l’enfer) du décor avec des analyses qui devaient autant à la sociologie qu’à la politique.
Nous nous rêvions en Yves Adrien ou en Philippe Garnier, ayant remisé nos guitares électriques pour reprendre la plume. Personnellement, j’inondais la rédaction de Rock & Folk de mes lettres en espérant que l’une d’elle serait publiée, voir que l’ensemble de ces courriers me vaudrait un jour une proposition à devenir l’un de leurs pigistes. Qui sait ? Il n’en a rien été.
Après cette introduction, on commence par le grand Philippe Garnier, celui qui était entré dans la rédaction de Rock & Folk après un courrier enflammé descendant Blood Sweat & Tears contre Paringaux qui les soutenait. Que cela semble loin, l’été 1969 et la sortie du catalogue CBS (Pop music revolution) où c’est Paringaux lui-même qui faisait l’article pour les produits de saison.
Garnier a tout d’abord été le correspondant à Londres du mensuel, glorifiant des groupes comme Mott The Hoople ou les Kinks, pour lesquels il avait une tendresse particulière. Puis il s’est barré aux States (comme il le disait lui-même), pour parler avant tout le monde du dernier Velvet Underground ou de groupes méconnus comme Thunderclap Newman ou le Sir Douglas Quintet. Puis c’est le service militaire, en 1972, et il nous revient avec une rubrique Soul music et en collaborateur du Pop 2 de Blanc-Francard. Il est le premier à parler de Reggae et d’un certain Bob Marley.
C’est ensuite la dérive aux États-Unis, « coast to coast », de Boston à Los Angeles en passant par le Midwest. Là-bas, il découvre pour nous toutes les pépites du punk américain. Il s’établira à Los Angeles pour changer de registre et nous causer cinéma et littérature. En littérature, il deviendra le traducteur de plusieurs auteurs importants, dont Bukowski et John Fante et en cinéma, il sera l’interviewer des plus grands metteurs en scène d’Hollywood. Il signera aussi des articles dans Metal hurlant et Libération et sortira des biographies (David Goodis), une superbe autobiographie (Les coins coupés) et des sélections de la meilleur littérature américaine dont il restera le spécialiste le plus éclairé. Il est toujours en activité à Libé. Thank you uncle Garnuche !
Philippe Paringaux a longtemps été le rédacteur en chef du Rock & Folk superbe des années 1970. À la fin des années 1960, il écrivait un bon quart du journal, nous faisant part de ses emballements et de ses dégoûts d’une plume toujours alerte et avec un goût très sûr.
Changement de décor en 1972 où il écrit de moins en moins et inaugure sa rubrique Bricoles, de courtes nouvelles où dandysme et romantisme se donnent la main. On regrette de ne plus le voir souvent au sommaire. Il signe des scénarios de bandes dessinées avec des dessinateurs comme Loustal ou Clerc et on sent qu’il commence à s’ennuyer au journal qu’il laissera à d’autres à la fin des années 1980.
Il va fonder un magazine spécialisé dans le sport américain (base-ball, football US, golf…) avant de continuer à travailler avec ces grands de la B.D et de publier quelques livres. Une plume élégante, un brillant polémiste et un romantisme caché sous un cynisme glacé. Tel était Paringaux.
Paul Alessandrini était lui aussi une légende de la critique rock. Corse pied-noir, il débute en 1968 à Rock & Folk en s’intéressant à tout ce qu’il y a de plus obscur et de plus exigeant dans la pop music. École de Canterbury, kraut-rock, underground… Et Free jazz. C’est le plus politique des journalistes rock. Il créera la rubrique « Bruits de l’ombre » pour nous faire découvrir toute cette faune originale et signera quelques articles splendides, aussi bien sur David Bowie que sur James Dean ou Hendrix.
Alessandrini sera aussi chroniqueur à Actuel sous le pseudonyme de Paolo D’Alessandro (clin d’œil à l’acteur de la factory Warhol) pour la rubrique Groovy ! Il partira ensuite à New York où il produira des documentaires de sport pour la télévision française, tout en se consacrant à la photographie d’art. Il a publié quelques livres aux éditions Le mot et le reste. Un intellectuel, un vrai, mais aussi un grand critique qui n’a pas été sans influence politique sur toute une génération.
Francis Dordor a débuté à Best comme chantre du Reggae, en homologue de Garnier, et aussi du Punk-rock, avec Patrick Eudeline. Là où Eudeline en faisait un peu trop dans la pose et l’attitude, lui gardait ses distances avec beaucoup d’humour.
Ce Niçois finira par devenir rédacteur en chef puis directeur de la rédaction du magazine, élargissant sa palette à toutes sortes de courants musicaux, avec toujours beaucoup de goût et un grand esprit d’ouverture. Après la faillite de Best, il ira rejoindre la rédaction des Inrockuptibles pour des articles toujours aussi passionnants. Talentueux, il va devenir un critique respecté
Alain Dister, ancien étudiant de HEC, a débuté comme photographe pour des publications genre Salut Les Copains. Fin 1966, il fait partie de l’équipe des fondateurs de Rock & Folk et, après avoir écrit quelques articles sur le rock californien, il partira à San Francisco et deviendra le plus fin connaisseur de la galaxie hippie. Ses reportages en Californie feront date.
Dister, on l’a vu, est aussi photographe et il parsème ses articles de ses photographies toujours inspirées. Il revient à Paris en 1968 et repart aussitôt à New York pour nous parler du MC5, des Fugs, des White Panthers ou des Yippies. Il inaugurera la collection Rock & Folk Albin Michel par une biographie des Beatles, avant d’écrire sur le rock anglais ou sur Frank Zappa.
Dister sera par la suite journaliste au Nouvel Observateur et se spécialisera dans la photographie, notamment de photos d’enfants. Il est décédé en 2008 et il nous manque.
François Ducray a débuté dans le même Rock & Folk en 1972, en plein boom du rock décadent. Il adore Bowie, Roxy ; Elton John et Rod Stewart, et se fait remarquer d’emblée par sa plume alerte et son humour décapant. Élégance de style et sens de la formule, Ducray oscille entre les écrivains fin de siècle et San Antonio (la palette est large). Dans les concerts, on peut le voir cannette à la main toujours vêtu de sa longue gabardine beige.
Il va devenir un Punk n’ayant pas renoncé à l’élégance, ni surtout à l’intelligence. Ducray passe ensuite à Télérama qu’il quitte assez vite avant de collaborer à toutes sortes de fanzines. On le retrouve, passé à l’ennemi, dans les colonnes de Best sous le pseudonyme – anagramme de Fat Yarcud (il pointait au chômage et ne tenait pas à se faire repérer) et il va écrire une somme sur Led Zeppelin dont il reste le spécialiste (avec Pink Floyd).
Ducray travaille ensuite pour des publications de luxe et écrit des notes de pochette pour des coffrets luxueux. Il est aujourd’hui à la retraite et coule des jours paisibles dans son Berry natal. C’est qu’on l’aimait bien, le père François.
Tout différent était Jean-Pierre Lentin, critique rock à Actuel, plutôt sobre et rigoureux. Il est le fils du journaliste Albert-Paul Lentin, l’un des fondateurs de Politique Hebdo ancien grand reporter à l’Humanité. Lentin s’intéresse au rock progressif, au Kraut-rock et à toutes les formes de jazz, éclectique comme pas un.
On pourra l’écouter sur France Musique puis sur Radio Nova et il va ensuite faire du journalisme scientifique dans différentes revues, en spécialiste des ondes et de l’électromagnétisme. Il sera d’ailleurs à ce titre un ardent militant contre les antennes relais. Documentariste pour Arte notamment, Lentin écrira aussi sous pseudonyme et en tant que pigiste au Canard Enchaîné, genre Jérôme Canard ou Louis Colvert. Il est décédé en 2009 et on retiendra de lui un type bien, aussi compétent sur la musique que sur la contre-culture ou les sciences. Un sage.
On termine la série avec Jacques Vassal, lui aussi parmi les membres fondateurs de Rock & Folk. Vassal sera ce « fou du folk » (titre de sa rubrique dans le journal) qui écrira de longs papiers sur tous les folksingers et protest-singers américains avec, lui aussi, une vision très politique.
Fin lettré et traducteur de Woody Guthrie, il fonde la collection Rock & Folk / Albin Michel où il publie des essais sur la nouvelle chanson bretonne ou des biographies de Dylan ou de Leonard Cohen.
En 1974, il crée l’éphémère Le nouveau dire avec son ami François Jouffa avant d’écrire sur le folk et les chanteurs régionalistes dans La gueule ouverte et de créer son émission Folk en liberté sur France Musique. Une émission qu’il avait rodée sur RTL avec un Jean-Bernard Hebey qui l’a un soir viré du studio pour ses goûts jugés non conventionnels et en tout cas propres à faire fuir les auditeurs d’une station commerciale. Vassal va ensuite partir en URSS où il se livrera à un trafic de voitures anciennes à l’époque de la Glasnost et de la Perestroïka. Camarade Vassalovitch ?
Le fou du folk va travailler longtemps à Politis avant d’y céder la place à mon ami Jacques Vincent, autre rock critique estimable. Mais raconter son histoire prendrait beaucoup trop de place.
3 mai 2023
Cet article est tout aussi intéressant sur ceux qui sont cités que sur ceux qui ne le sont pas.
Ah, Jacques Vassal ! Je me précipitais toujours sur ses articles. Et sur les livres qu’il écrivait. Que j’ai tous gardés, d’ailleurs. Même le dernier, la bio de Graeme Allwright, qui est loin d’être le meilleur. Mais bon… Passons. C’était Jacques Vassal. Je l’avais rencontré et interviewé avant d’écrire « Pierre Barouh, l’éternel errant »., la bio de l’auteur de célèbre Chabadabada…
Quelqu’un de très bien à mes yeux. Mais l’histoire de « trafic de voitures anciennes » fait tache dans l’idée que je me faisais de lui.. Je savais qu’il était amateur de motos et voitures anciennes, mais pas de « trafic »…
salut Joël
Oui, c’est une vieille histoire assez connue, par ouï-dire, mais il y a prescription. Ça n’entache pas tout ce qu’il a pu faire pour le rock (et le folk surtout).