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LES MÉDIAS CONTRE LA GAUCHE

Bolloré en couverture d’un numéro de Politis. Pour ne pas remettre l’affiche, controversée, du débat public du 16 juin. Merci à Politis.

C’est le titre d’un essai de notre invitée Pauline Perrenot (Acrimed) qui sera, avec le chroniqueur de Politis Sébastien Fontenelle (Politis) présente à notre débat public du 16 juin à l’ESJ sur les médias. Face aux médias dominants, une presse libre et indépendante est-elle possible ? Tel est, pour rappel, le thème de ce débat public qui devrait nous permettre d’approfondir la question et d’ouvrir des pistes d’action et de réflexion. Pauline Perrenot a sorti un livre, Les médias contre la gauche, qui illustre si bien les débats que l’on devrait avoir que je n’ai pas résisté à l’envie d’en faire une chronique dans ce blog.

Pauline Perrenot fait partie de l’association Acrimed et écrit régulièrement au Monde Diplomatique, c’est écrit sur la page 4 de couverture.

Elle se livre dans cet ouvrage très complet à une critique argumentée des médias dits dominants, son champ de vision allant des médias audiovisuels à la grande presse en France. Elle ne parle pas, ou elle parle peu des formes plus récentes que sont les réseaux sociaux, blogs et autres podcasts, de même que son ouvrage ne prend pas trop en compte la presse en ligne.

On a donc ces bons vieux médias. L’audiovisuel public (France 2, 3 et 5 plus Radio France et en particulier France Inter), privé (Canal +), les chaînes info en continu (BFM TV, Cnews, LCI), la presse quotidienne nationale (Libération, Le Monde, Les Échos, Le Figaro, Le Parisien – Aujourd’hui), la presse hebdomadaire (Le Point, l’Express, L’Obs, Paris Match, Le Figaro Magazine, Marianne ou Valeurs Actuelles), sans oublier la presse quotidienne régionale souvent sous le haut patronage du Crédit Mutuel. De quoi faire.

Pauline Perrenot choisit 5 thématiques éclairantes quant aux biais, au formatage, au conformisme, au mépris de classe et, pour tout dire, à la médiocrité des médias dominants. Mais une médiocrité qui n’a rien de modeste et d’humble. Bien au contraire, elle est suffisante, arrogante et méprisante pour tout ce qui vient tant soit peu contredire sa vision pour le moins réactionnaire de la politique, de l’économie ou de la société (ne parlons pas du social, une catégorie depuis longtemps abandonnée ; pas plus que de la culture, un domaine quasiment ignoré sauf à se ruer derrière les blockbusters et les stars de la variété). Quant à l’étranger, on sera souvent privé, du moins dans l’audiovisuel lambda, d’aller voir ailleurs tant l’information – ou ce qui en tient lieu – est largement hexagonale. On ne parle souvent des autres pays qu’en cas de catastrophe naturelle, de tuerie de masse ou d’élections (et encore, pas toujours et pas partout).

5 thématiques donc, « un journalisme de cour », « un journalisme de dédiabolisation », « journalisme de classe », « journalisme de préfecture » et, pour finir, « les médias face au péril rouge », le sujet principal d’un livre édifiant. On va se contenter de reprendre et de développer chaque tête de chapitre tant la chronologie et la structure du livre sont importants pour ce qui fait l’objet d’une démonstration aussi brillante qu’implacable.

« Le journalisme de cour » d’abord, ou comment ces médias ont fait un candidat, Macron pour ne pas le citer. Candidat des milieux d’affaire et des puissants, il avait tout pour incarner l’image d’un homme politique qui condamne les vieilles lunes des partis et des classes sociales pour se projeter dans l’avenir, la high tech, les start-ups, les nouveaux médias, l’intelligence artificielle ou les entreprises innovantes. « Il faut être résolument moderne », disait le poète. Mais pas n’importe comment, au service d’une classe sociale – la sienne – de la finance et des marchés. L’autrice nous reproduit les unes de 2017 (« Macron forcément ») et de 2022 (« Macron éperdument »). Des médias qui se mettent au service d’un petit prince de la politique, celui qui coche toutes les cases de leur vision du monde : la modernité, la nouveauté, le respect des fondamentaux économiques et de l’ordre social, le tout sous couvert de disruption et de style nouveau. Le livre raconte les petites histoires du microcosme, les effets « wahou » et le storytelling, la palme revenant à des Léa Salamé, Laurent Delahousse ou Nathalie Saint-Cricq . Mais on pourrait en citer des dizaines d’autres.

« Le journalisme de dédiabolisation » concerne bientôt le Rassemblement National (ex Front). « Plutôt Hitler que le Front Populaire », comme s’était résignée la bourgeoisie en 1936. Ici, c’est plutôt un duel Macron – Le Pen pour éviter Mélenchon ou qui que ce soit à gauche. Comment on a, depuis longtemps, repris les sujets de l’extrême-droite (immigration ou insécurité), comment on a fait de Fifille Le Pen une politicienne respectable, contrairement à son père qui puait encore le fascisme. Comment on a finalement montré de l’intérêt pour la PME Le Pen et comment on en a fait des « people », des personnalités médiatiques. Entre les discours xénophobes, sécuritaires et sexistes de l’extrềme-droite et les propositions sociales de la gauche, la presse a choisi. Les unes sont là pour le prouver. D’autant qu’on a Zemmour, dont les thèmes nauséabonds et les discours délirants ne sont pas forcément stigmatisés, pour prouver que le R.N en vient presque à se normaliser et à rejoindre le cercle de la raison.

« Un journalisme de classe », notamment dans la presse économique, où tout progrès social et toutes propositions en faveur des salariés sont considérées comme des hérésies. L’orthodoxie règne et le grand patronat impose ses discours. Il faut travailler plus, reculer l’âge de la retraite, réduire drastiquement la dépense publique, dégraisser l’état et virer des fonctionnaires. Le bon sens au service du capital. On a eu longtemps droit à Jean-Marc Sylvestre, on a maintenant Dominique Seux et ses confrères des Échos. On avait dans le temps quelques économistes critiques comme Bernard Maris (pas remplacé) ou ceux de Alternatives Économiques, au moins sur France Inter. On a sifflé la fin de la récréation et excommunié les économistes atterrés. Quant aux Lordon ou aux Friot, on les menacerait presque d’internement psychiatrique.

Le « journalisme de préfecture » est aussi à l’honneur avec les violences policières et les nouvelles conceptions – plus agressives – du maintien de l’ordre qui ont sévi contre les mouvements sociaux et les Gilets jaunes. Gueules cassées, œil arraché, mains coupées… Les médias dominants détestent ces prolos qui font irruption dans la sphère politique. Et de quel droit ? Il faut restaurer l’autorité et renvoyer ces islamo-gauchistes et ces gueux à leurs gourbis. Le maintien de l’ordre, vous dis-je, l’ordre bourgeois et l’ordre policier, avec zèle et férocité.

Enfin, la partie la plus en adéquation avec la théorie de ce livre, « les médias face au péril rouge », ou comment les médias ont depuis longtemps décrédibilisé la gauche et toutes ses idées. Khmers rouges pour les mouvements sociaux et les activistes ; khmers verts pour les écoterroristes, il faut stigmatiser les syndicalistes « qui refusent tout », les islamo-gauchistes, partisans d’une laïcité ouverte, anticapitalistes et qui ne considèrent pas les musulmans comme des parias. Les attentats terroristes ont servi la droite, finalement, en désignant les ennemis de la République, ceux qui leur cherchent des excuses sociologiques. « Expliquer, c’est déjà excuser », comme disait Valls qui parlait de la « culture de l’excuse ». Les médias se sont engouffrés dans la brèche.

La Nupes, qui représentait l’espoir de la gauche, a subi les foudres de l’éditocratie. Encore plus durement qu’on a pu penser un moment qu’elle pouvait remporter la victoire. Mélenchon est le diable qui déclenche la haine de la bourgeoisie et les écologistes, comme les socialistes, sont tombés comme des lapins devant un boa constrictor. Même le P.S, parti de gouvernement, est tombé dans le marais gauchiste. En revanche, le PCF de Roussel est plutôt bien vu par la presse de droite, capable de punch lines aussi fameuses que « une bonne viande, un bon vin et un bon fromage ». Assurément un bon client.

La conclusion tient en une dizaine de pages et en appelle à une presse alternative, libre et indépendante, ce qu’on a appelé un temps « la presse pas pareille » et dont les meilleurs exemples sont Politis, Basta, Mediapart ou Reporterre, une presse (à laquelle on peut ajoute Fakir, CQFD et tant d’autres) qui n’a pas encore suffisamment de surface pour contrecarrer les médias dominants.

Mais c’est aussi en voulant changer ces médias que le combat doit avoir lieu. Favoriser les sociétés de lecteurs ou de rédacteurs, ne pas les déserter pour les acteurs du mouvement social, poser la question de la propriété privée des médias. Et, ce n’est pas dit explicitement ici mais c’est moi qui souligne, en revenir aux ordonnances du CNR sur la presse, notamment sur les lois anti-concentration.

En, tout cas, on ne fera pas l’économie d’une réflexion sur la presse, et une démocratie sociale et écologique ne pourra pas exister sans une presse différente. C’est le rôle d’Acrimed, avec d’autres acteurs sociaux, de la faire advenir. Merci à eux. Merci à elle.

Les médias contre la gauche – Pauline Perrenot – Agone / Acrimed

Rappel du débat public à l’ESJ, le vendredi 16 juin à 18h.

7 juin 2023  

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