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LES POLITIQUES DU ROCK

La couverture du livre, un ingénieux bricolage dû à l’épouse de l’éditeur, que l’on remercie-t-au passage.

Il est enfin sorti ! Le monde entier attendait ça (rires). Une somme de 800 pages (Camion blanc éditeur) sur les rapports entre rock et politique. On commence par les chanteurs-syndicalistes à guitare dans le dos, façon Woody Guthrie et Pete Seeger, et on termine avec les indépendants américains genre Dead Kennedy et la Brit Pop. 50 ans d’histoire de la musique populaire vue sous l’angle de la politique. Free-jazz, rhythm’n’blues, Soul, British Beat, Folk-rock, Acid Rock, Heavy Metal, Rock décadent, Reggae, Kraut-rock, Jazz-rock, Punk-rock, New Wave… Tout y passe. Roll up to the magical mystery tour ! Step right this way !

Woody Guthrie, le mentor de Bob Dylan, s’en allait chanter de piquets de grève en assemblées de travailleurs. L’album This land is your land propose les chansons composées dans le cadre de la construction d’un barrage sur le fleuve Columbia, l’un des grands travaux de Roosevelt et du New Deal. Guthrie fondera ensuite The Almanach Singer avec Pete Seeger, mais l’anarchiste qu’il était cohabitera mal avec le communiste Seeger. Tout cela importe peu, car depuis les clubs de folk de Greenwich Village, le Protest-song est né avec, outre Seeger, Tom Paxton, Peter Paul & Mary, Odetta, Phil Ochs, Joan Baez et un certain Bob Dylan.

Joan Baez aura toujours refusé de parler d’elle dans ses chansons, ce qui a beaucoup limité leur impact. Celle qu’on appellera la cheftaine du rock aura quand même laissé quelques albums marquants, sans parler de son concert de Woodstock. Il en va tout autrement d’un Dylan qui rompt, dès 1965, avec ses racines folk pour électrifier sa guitare et faire naître le Folk-rock à partir d’une prestation contestée à Newport et de l’album Bringin’ it all back home, qui précède Highway 61 revisited et Blonde on blonde, premier double album de l’histoire. Dylan, très politique, critique l’Amérique WASP des Kennedy et Johnson tout en se battant pour les droits civiques et contre le complexe militaro-industriel (« Masters Of War »). Le protest-song des débuts a vite cédé la place à une poésie surréaliste qui mêle aux réalités américaines les mythologies culturelles européennes. Controversé lors de sa tournée européenne de 1965, il se cassera le cou en moto à l’été 1966 et se retirera dans son domaine de Woodstock. Il renaîtra en chanteur country sur les traces de Johnny Cash à l’île de Wight et suivra sa route en exerçant une influence grandissante sur toute la planète rock. Pas un groupe, pas un chanteur qui n’auront pas une chanson de Dylan à leur répertoire.

À commencer par les groupes de Folk-rock, un genre qui fera florès au milieu des années 1960 à Los Angeles. On entre déjà dans l’ère psychédélique avec les Byrds, le Buffalo Springfield ou Love et les chansons se teintent de brume et d’amertume. À New York, c’est le Lovin’ Spoonful et les Young Rascals qui dominent. Les papes du LSD – Ken Kesey ou Timothy Leary – partent en croisade et l’Acid rock enflamme San Francisco avec des groupes portant haut le flambeau de la révolte : Jefferson Airplane, Grateful Dead, Country Joe & The Fish, Quicksilver Messenger Service… C’est beaucoup plus que contre le Vietnam, le Pentagone et le mode de vie américain que s’élèvent les consciences des jeunes hippies ; c’est pour explorer des modes de vie parallèles, des voies différentes pavées de fleurs et d’encens.

En Angleterre, les Beatles et les groupes du Merseybeat ont ouvert les hostilités à Liverpool mais c’est Londres qui devient la cité-phare de la jeunesse anticonformiste, celle des Mods et des Rockers, éternels rivaux détestant unanimement le monde des adultes. Les Stones chanteront le combattant des rues (« Street Fightning Man ») après leur hymne à la frustration (« Satisfaction »), mais les Kinks et les Who seront plus subtils ; les uns offrant des satires au vitriol de l’Angleterre conservatrice quand les autres vont explorer – avec Tommy puis Quadrophenia – la psyché adolescente dans un pays qui n’est plus au centre du monde.

Ailleurs en Europe, Provos et Kabouters bousculent Amsterdam et des groupes comme les Outsiders et Q65 relaient la révolte. La cité des canaux est devenue le refuge de toute la jeunesse marginale européenne. Côté belge, Ferré Grignard est le premier protest-singer de ce côté de l’Atlantique. En France, on aura Antoine et ses Problèmes.

1967. Après Monterey et l’été de l’amour viendra l’automne de la haine. Les drogues dures ont envahi San Francisco et les humeurs ne sont plus à l’ouverture des consciences, à l’optimisme béat et au mysticisme. C’est Los Angeles qui, musicalement, prend le relais avec les Doors ou Steppenwolf, des groupes qui décrivent sans hyperboles et sans lyrisme les réalités américaines les plus dures. De façon plus humoristique, Zappa et Beefheart tiennent le même discours sur la monstrueuse Amérique, celle qui broie sa jeunesse et ses minorités, ethniques ou sexuelles.

1968 verra l’échec d’une révolution mondiale, de Paris à Prague, de Mexico à Berlin. Les stars de la Soul music, les émeutiers de l’âme, auront beaucoup fait pour les droits civiques et contre le racisme, mais c’est dans le Free jazz qu’il faudra chercher les formes musicales et les brûlots politiques les plus radicaux. Après le Bop et le Hard-bop, après Miles Davis, Charlie Parker, Sonny Rollins et John Coltrane, place à Sun Ra et à Albert Ayler qui révolutionnent le concept de musique. Ce sont des dissonances, des stridences et des cris. Sur un mode plus lyrique et plus mélodique, les parrains de la Soul – Stevie Wonder, Al Green ou Marvin Gaye, après le grand Sam Cooke, éclairent le racisme endémique de l’Amerikkke de Nixon, alors que James Brown est surnommé par les Brothers « le clown de Nixon ». On viendra à la BlaXploitation, phénomène cinématographique mais aussi musical par extension, avec Hendrix, Sly Stone, Curtis Mayfield ou Isaac Hayes, plus les enfants de Miles et le Jazz-rock.

Car c’est aussi l’histoire des Black Panthers et des mouvements politiques radicaux (White Panthers, Weathermen ou Yippies) partis de Detroit, de New York ou de Californie. Les Fugs, clowns psychédéliques, sont partis à l’assaut de l’empire, inspirés par les poètes de la Beat Generation et, à Detroit, le MC5 devient le groupe des White Panthers grâce à leurs accointances avec John Sinclair. Abbie Hoffman et Jerry Rubin font scandale en brûlant des dollars sur le perron du New York Stock Exchange ou sèment le chaos à la convention démocrate de Chicago. À Woodstock, 50.000 jeunes assistent aux derniers feux de la génération hippie avant le carnage de la Mansion Family et le désastre d’Altamont et ce concert des Stones qui fit un mort.

On oublie pas les figures tutélaires des grands poètes du rock : Van Morrison, Neil Young ou Leonard Cohen, tous politiques à leur façon. Pas plus que les grandes dames qui brandiront leur féminisme parfois radical dans un monde très misogyne : Joni Mitchell, Marianne Faithfull ou Janis Joplin, la furie d’Austin (Texas). Toutes auront prouvé que les femmes sont la moitié du ciel.

En Angleterre, Pink Floyd et Soft Machine explorent les voies nouvelles du Progressive rock. Il faut savoir que Roger Waters est un gauchiste irréductible et Robert Wyatt un communiste orthodoxe. Des communautés post-hippies se forment à Ladbroke Grove, près de Notting Hil, et il en ressort des groupes libertaires et provocateurs : Mick Farren et ses Deviants, les Pink Fairies, les bons vieux Pretty Things ou Mott The Hoople. Tous ne jurent que par le Velvet Underground et les Stooges, dont les ancrages politiques – s’il en est – tiennent plutôt du nihilisme et de l’outrage. Viendront plus tard Hawkwind ou Mötörhead, moins politiques et encore plus barrés si c’est possible.

Si George Harrison s’enfonce dans un mysticisme confus et inaugure le Charity business avec le concert du Bangla Desh, Lennon devient un guerrier de la paix, parti en croisade avec Yoko Ono sur toutes les scènes du monde, avec de longs entractes sous forme de bed-ins dans des hôtels de luxe. On est déjà au début des années 1970, et Mc Govern est battu par Nixon. L’Amérique du Watergate donnera naissance au Blue Öyster Cult, aux New York Dolls ou à Patti Smith (et au boss, Bruce Springsteen), mais la pop music est devenue un cirque cruel où s’exhibent ses animaux tristes. En Angleterre, c’est le rock décadent des Bowie et Roxy, pas très politique ou plutôt réactionnaires s’ils le sont. Le strass, les paillettes, le narcissisme et les nostalgies hollywoodiennes ont remplacé les groupuscules révolutionnaires et leurs stratégies tordues. Déjà, les Skinheads avaient remplacé les Mods dans les stades et dans la rue. L’heure n’est plus aux utopies. En parallèle, les héros sont fatigués et les dinosaures rock (post Blues boom, Hard-rock ou Progressive rock) s’engluent dans l’emphase et la grandiloquence. Il est temps de réagir et la résistance s’organise.

D’abord avec Kevin Coyne puis le Pub rock de Doctor Feelgood ou des Ducks Deluxe et enfin avec le Punk-rock des Pistols et des Clash. Anarchie dans le Royaume-Uni et lutte des Clash (ou de Jam) contre des tendances plus cyniques ou désespérées avec les Stranglers. La New Wave verra émerger d’autres têtes politiques, comme Elvis Costello ou les Smiths de Morrissey qui voudront guillotiner la reine. Bonne idée. En même temps, le rock britton retrouvera le goût du social avec Rock against racism et les concerts de Billy Bragg en soutien à tous les gréviste du royaume désuni.

Un chapitre entier est consacré au Reggae et un autre au Kraut-rock allemand, et même un petit détour derrière l’ex rideau de fer, mais il n’est pas possible de les résumer ici. Il y a aussi Chicago (le groupe), le jazz-rock et Miles Davis.

On parle aussi du rock en France, depuis les chanteurs contestataires de 68, après Léo Ferré, jusqu’aux groupes pop et aux Higelin, Bashung et Lavilliers en passant par les Canadiens et le folk régionaliste. Les femmes ne sont pas oubliées, avec Brigitte Fontaine, Dominique Grange, Catherine Ribeiro ou Valérie Lagrange. Beau carré de dames.

Puis c’est le Charity business et sa charité bien ordonnée, le Hero-rock (U2, Simple Minds, Peter Gabriel…), la World Music (la sono mondiale) et les radios libres dont la plupart deviendront pires que les périphériques. Bref, ces funestes années 1980 avec MTV, NRJ, le Disco, le fric (c’est chic) et le sexe décomplexé. On ne va pas épiloguer. On mentionnera seulement quelques courageux groupes indépendants américains, dont les Dead Kennedys ou le Henry Rollins Band.

De la Brit-pop, loin de la querelle Oasis – Blur, on sauvera de justesse Pulp et Muse. Puis la politique a été portée par d’autres genres (Rap, Slam) sur lesquels nos goûts pas plus que nos connaissances ne nous permettent d’écrire. Laissons cela à d’autres.

Voilà, difficile de résumer un livre de 800 pages mais vous avez l’idée. C’est le seizième livre (le douzième en solo et quatre en collaboration) publié chez Camion Blanc, pour la pas si modique somme de 38 €, mais ça les vaut (je vais pas vous dire autre chose).

Comme disait Choron avec les premiers Hara Kiri, si vous ne pouvez pas l’acheter, volez-le !

30 mai 2023

DIDIER DELINOTTE – LES POLITIQUES DU ROCK – Camion blanc (paru le 26 mai 2023) .

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