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C’EST ENCORE LOIN L’EUROPE SOCIALE? TAIS-TOI ET CONSOMME!

Le palais Berlaimont à Bruxelles (une fois !). Là où toutes nos manifestations vinrent s’échouer. Photo Wikipedia.

À part au Sénégal, très loin de l’Europe, les fins de week-end se ressemblent avec des élections qui donnent invariablement des coalitions de droite et d’extrême-droite au pouvoir, avec des scores sans cesse plus élevés pour les néo-fascistes. À un mois des Européennes, on consacre cette chronique à l’Europe. Les forces en présence, l’irrésistible ascension de l’extrême-droite mais, surtout, les politiques de l’Union Européenne de plus en plus éloignées de aspirations des peuples. À quand l’Europe sociale qu’on nous promet depuis lurette ? Pas à l’ordre du jour.

Plus jamais ça ! Plus jamais la guerre ! C’était le cri de ralliement des pères de l’Europe, les Monnet, Spaak, De Gasperi et autres Schuman. Mais dès l’origine, l’Europe était marquée par le plan Marshall, l’Otan et les intérêts américains. L’ange pacifiste avait un pied-bot libéral et courbait les ailes devant l’Oncle Sam. La Communauté économique du charbon et de l’acier, première mouture d’une Communauté économique européenne, avait déjà en ligne de mire les intérêts industriels des pays membres dans une sorte de cénacle du patronat. La culture et le social viendraient après les intérêts économiques bien compris. On attend toujours.

C’était les années 1950, l’après-guerre et la reconstruction. Le traité de Rome allait être signé en 1957 avec la France et l’Allemagne (de l’ouest) au stylo, avec l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxemboug. Déjà, un Pierre Mendès-France s’inquiétait de cette Europe-là, inféodée militairement aux Américains et dépendant d’elle économiquement. Pour beaucoup de commentateurs, et pas seulement d’affreux nationalistes ou de dangereux communistes, l’Europe se construisait sur de mauvaises bases. On allait vérifier que leur diagnostic n’était pas erroné et qu’un Jean Monnet par exemple se comportait en parfait commis voyageur des États-Unis pour construire l’Europe des marchés et du capital.

Et ça n’allait pas s’arranger avec l’extension au Royaume-Uni puis à l’Espagne, aux pays scandinaves et, bien plus tard, aux pays restés longtemps derrière le rideau de fer. D’abord avec l’Acte unique européen en 1986 qui, sous couvert d’abolir les frontières, permettait en fait la libre circulation des capitaux dans une Europe libérale sous influence Thatcher – Reagan. Ensuite avec le traité de Maastricht et sa monnaie unique – l’Euro – qui, sous prétexte d’harmoniser les monnaies, remettait en question la possibilité pour n’importe quel pays de l’Union de mener sa propre politique économique. On a eu ensuite le TCE (Traité de Constitution Européenne), rejeté tour à tour par la France, les Pays-Bas, le Luxembourg et le Danemark, mais ingurgité de force avec le Traité de Lisbonne. Non seulement un déni démocratique, mais la soumission à un ordre économique dont la principale caractéristique était la concurrence « libre et non faussée » au nom de quoi on enterrait les services publics et les services sociaux ; le tout accompagné de traités de libre échange à usage européen tels l’AGCS ou les APE.

Et puis, le ver était dans le fruit avec les institutions européennes. C’est bien sûr la Commission qui décide, avec des commissaires européens qui sont souvent de purs technocrates inféodés aux lobbys patronaux et un Conseil de l’Europe avec des ministres des différents pays réunis en fonction des dossiers. Et le parlement dans tout cela ? Les premières élections, en 1979, devaient inciter les peuples à se rapprocher de l’institution en élisant leurs représentants, mais ces élections sont les plus délaissées par le corps électoral qui voit bien que ce n’est pas l’endroit où se prennent les décisions, sans parler des combines et des arrangements entre amis sur des votes consensuels qui finissent par lisser les positions et rendre insignifiantes les étiquettes politiques.

L’élargissement de 2004 n’a pas contribué à la naissance de l’Europe sociale. L’Allemagne réunifiée a installé ses ateliers dans les pays de l’est et le dumping social et les délocalisations ont affecté la production en France, facilitant la désindustrialisation et le chômage en faisant des classes populaires les ennemis de l’Europe.

L’extrême-droite fait ses choux gras de cette cuisine électorale au parlement, même si elle vote régulièrement toutes les mesures antisociales et qu’elle brille souvent par son absence (absence physique et absence de propositions). Mais la gauche a aussi des positions antieuropéennes tant les espoirs d’Europe sociale sont déçus et tant les logiques économiques prévalent. Un front antieuropéen s’est bâti avec des gens aussi estimables que Frédéric Lordon ou, dans une moindre mesure, Emmanuel Todd. On les préfère aux euro-béats façon Jean Quatremer ou Bernard Guetta.

La gauche a divorcé de l’Europe, à part les écologistes et les socialistes qui semblent encore y croire, ou qui font semblant. Mais ce sont les forces de droite qui se montrent les plus antieuropéennes avec le Brexit anglais, en attendant le Frexit français et le Nexit néerlandais. Et d’autres encore ?

La question que se posent les forces de gauche les plus conséquentes est de savoir si cette Europe-là, celle du capital, de la concurrence et des marchés, est encore amendable ou s’il convient de la quitter, avec le risque de renforcer des tendances au repli sur soi et au protectionnisme mais aussi de s’isoler dans le contexte d’économies interdépendantes. Le plan B mélenchoniste n’a pas fait longtemps illusion et, à part des économistes comme Jacques Sapir, chacun sait que le chemin hors d’Europe risque d’être tortueux et ardu, avec une U.E toujours sous domination allemande vent debout contre le pays qui oserait prendre le risque, quitte à lui faire rendre gorge à la manière des Grecs en 2015.

Quelles sont les forces en présence, en France, pour les élections du 9 juin ? La gauche éparpillée façon puzzle d’abord, avec toutes les familles dans les starting-blocks en espérant arriver en tête et se positionner pour être le pôle de rassemblement des présidentielles de 2027. L’Europe dans tout ça ? Pas le souci principal, même si tout le monde revendique une Europe sociale, écologique et démocratique avec réforme de la BCE et des institutions, sur l’air des lampions.

L’extrême-centre macroniste aime cette Europe-là, tellement douce aux milieux d’affaire et à la finance. Elle leur permet aussi de rejeter la faute sur l’Europe lorsque leurs choix politiques sont contestés par le peuple, même si – on l’a vu avec les pesticides – la France s’abstient sur tous les dossiers qui permettraient une meilleure prise en compte de l’intérêt général.

Mais c’est cette extrême-droite qui vomit l’Europe tout en y faisant élire des membres fantômes peu assidus dans les débats mais pas délicats pour les indemnités et les avantages de la fonction. Tout le monde a entendu parler du scandale des assistants parlementaires R.N du parlement européen, rémunérés par l’institution mais employés du parti. Le R.N est annoncé à plus de 30 % et s’apprête à entrer en masse au parlement dans le groupe Identité et démocratie (sic) avec le Vlaams Belang, le FPO autrichien ou l’AFD allemande, quand Reconquête irait rejoindre un groupe paradoxalement un peu moins à droite, l’ECR de Meloni et du PIS polonais. Néo-fascistes d’un côté, ultra-libéraux sécuritaires et anti-immigration de l’autre. Ce n’est même plus une surprise, ces deux groupes d’extrême-droite vont constituer la troisième force derrière les libéraux et les sociaux-démocrates. Ils seront suffisamment forts pour renverser la table et orienter l’Europe vers des politiques sécuritaires, anti-immigrations, liberticides, antisociales et anti écologiques.

Mais la question est de savoir, à gauche, quelle Europe voulons-nous ? Quelle Europe serait souhaitable, désirable ? Il faudrait pour cela qu’elle s’affranchisse de ses dogmes libéraux, des lobbys qui la traversent et de l’orthodoxie financière qui la guide. Même si des réformes institutionnelles, économiques et politiques sont proposées par les voix critiques, l’Europe n’est après tout que la somme de ses composantes et une Europe sociale ne naîtra pas de gouvernements nationaux de plus en plus à droite. Faut-il s’y résigner ? Non car les idées de taxations à l’échelle européenne, de justice fiscale, de réforme de la banque centrale qui encouragerait les dépenses sociales et de transition écologique font leur chemin. Pas assez, mais c’est déjà ça et les libéraux ont de plus en plus de mal à maintenir leur cap anti-impôts et pro-business avec le mythe du ruissellement.

Il faudrait d’abord affaiblir les lobbys et faire en sorte que le patronat ne se sente plus chez lui dans l’Union, à travers ses groupes d’influence comme l’European Round Table. Il faudrait surtout une convergence entre les différents partis de gauche en Europe avec des programmes à vocation majoritaire capables, eux, de renverser la table et de proposer une Europe sociale, écologique, démocratique et citoyenne. Une utopie ? Pas plus que ne l’était la CEE à ses débuts, après tout.

31 mars 2024

Comments:

Bel état des lieux, beau tableau bien brossé. La question est : faut-il désespérer de l’Europe ? La fin de l’article dit que l’espoir est toujours permis. J’ai par contre beaucoup de réticence vis à vis de l’emploi de la qualification « d’extrême centre » qui mérite d’énormes guillemets tant pour la façon dont elle peut être employée (sens très variable) que de la façon dont elle peut être interprétée.

J’appelle extrême centre des forces politiques comme celles qu’on a dans ce pays, à savoir des gens qui se revendiquent d’un centre humaniste et équilibre mais qui sont dans les faits proches de la droite, voire de son extrême Amitiés

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