Démocratie directe, démocratie participative… Depuis les projets de 6° République, le RIC des Gilets jaunes, les assemblées citoyennes et les conventions du même nom, on fait feu de tout bois pour imaginer autre chose que cette démocratie formelle et largement factice, surtout sous l’ère Macron, qui est la nôtre. De tout temps, on a réfléchi, à gauche mais pas que, à ce que le peuple soit écouté et puisse avoir voix au chapitre. Quatre événements nous invitent à en parler : un débat public sur la démocratie directe à Roubaix, une émission de radio avec Jacques Testard, un film sur la lutte de La Chapelle d’Arblay et un autre sur les cahiers de doléance laissés après l’insurrection jaune et le grand débat macroniste qui s’en est suivi. Autant d’exemples qui enrichissent un débat crucial pour l’avenir, en ces temps d’autoritarisme et de faits du prince.
C’était le 6 mai à la FAL de Roubaix dans le cadre des Rencontre militantes. Marc Dubrul, militant roubaisien bien connu et animateur de la lutte du collectif contre les démolitions dans le quartier de l’Épeule, présentait un court exposé sur la démocratie directe.
Pour lui, la démocratie formelle (ou bourgeoise) représentative a fait son temps et il est urgent de s’organiser autrement pour qu’émerge enfin la voix du peuple. Il retraçait l’historique des modes de représentation directes : tirage au sort, assemblées, conseillisme, soviets, referendums citoyens… Les Gilets jaunes avaient, en France, relancer le débat de nouvelles possibilités d’expression à travers les assemblées populaires et le RIC (Référendum d’Initiative Citoyenne). La démocratie, selon lui, devrait d’abord s’exercer à la base, par des assemblées dans les quartiers, dans les entreprises, avec l’aide des structures de terrain (comités de quartier, centres sociaux, Comités Sociaux et Économiques…). Des assemblées qui mandateraient des représentants révocables à tout instant pour porter à l’échelon d’une ville des programmes élaborés collectivement avec des listes citoyennes.
Un débat s’engage. Si les quelques participants adhèrent globalement à cette vision, le diable est toutefois dans les détails. Les assemblées seront toujours dominées par des gens qui savent parler et sont dotés de la culture politique qui peut faire défaut aux autres. Il est donc à craindre que les « grandes gueules » et les leaders d’opinion s’y imposent dans une certaine passivité générale. Par ailleurs, il ne faut pas enterrer la démocratie délégataire qui reste un moyen pour des groupes politiques d’opinion d’envoyer leurs représentants à l’Assemblée, à condition que ces politiques soient investis démocratiquement et contrôlés. Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, et la démocratie représentative a mis longtemps à se construire depuis au moins la Révolution française, que d’aucuns qualifieront de « bourgeoise ».
En tout état de cause, et en conclusion, cette démocratie directe ne pourra fonctionner qu’avec des citoyens conscients, éduqués et formés. La formation et l’information sont les deux piliers de ce qui reste une utopie, un but à atteindre. Il y a consensus sur ce point. Comme il y a consensus sur le fait que la démocratie telle qu’elle fonctionne depuis des années – mal – fait reculer la citoyenneté dans une passivité délétère qui profite à l’extrême-droite, aux démagogues et aux populistes.
Changement de décor avec une émission de radio, Angles d’ATTAC, sur Radio Campus Lille, le 18 mai. «Quelle démocratie voulons-nous », telle est la question posée, et l’émission s’inscrit dans un cadre général de l’association Attac : Ce que nous voulons. Invité, Jacques Testard qui a été le père des bébéss éprouvettes, membre du Conseil scientifique d’Attac mais aussi et surtout, pour ce qui nous intéresse, le précurseur des conventions citoyennes.
Il explique le principe des conventions citoyennes telles qu’il les a élaborées et qui ne correspondent pas du tout à l’usage qu’en a fait Macron. Un échantillon de citoyens tirés au sort, à charge pour eux de se former avec des experts sur les thématiques abordées. Ces citoyens débattent entre eux et élaborent des propositions qui sont ensuite remontées vers les institutions, à charge pour elles de les mettre en œuvre en respectant le résultat des délibérations.
Par le jeu des questions / réponses, nous abordons avec Testard les obstacles à la vraie démocratie, les conventions citoyennes dévoyées où l’on retient très peu de choses, et surtout ce que l’on veut bien retenir (voir l’environnement ou la fin de vie). Pour Testard, la clé est à chercher dans l’éducation populaire et dans la formation sur la base de l’égalité et de la prise en compte de chaque individu, à condition qu’il accepte de s’informer.
Il ne veut pas parler de démocratie participative, une tarte à la crème, pas plus que d’une démocratie délégataire ou représentative qui selon lui agonise. Il termine ses interventions brillantes par la notion d’humanitude, soit un humanisme effectif qui ferait faire un saut qualitatif à l’humanité dans la solidarité, l’égalité et le respect de l’autre.
Et la démocratie dans l’entreprise ? C’était cette fois le 6 juin, à l’initiative d’Attac Villeneuve d’Ascq, avec la projection au Kinopanorama de Villeneuve d’Ascq du films L’usine, le bon, la brute et le truand, de Marianne Lère-Lafitte. Un documentaire plutôt, sur la lutte de trois salariés de la papeterie de La Chapelle d’Arblay, l’un des combats exemplaires de l’AES (Alliance Écologique et Sociale, ex Plus jamais ça, regroupement d’associations et de syndicats pour une transition écologique et sociale) avec la Coopérative des masques à Saint-Brieuc, la raffinerie Grandpuits en Seine et Marne et la ligne de fret Perpignan -Rungis dit encore le « train des primeurs ».
Le documentaire a ses limites, et la mise en scène est parfois laborieuse, qui consiste à nous montrer trois syndicalistes en réunion dans diverses instances et accueillis comme des héros dans les bureaux de la CGT à Montreuil. L’angle est de suivre pas à pas ces syndicalistes, sans jamais voir de salariés, même si la papeterie est à l’arrêt, promise au rachat par un groupe finlandais, et à la délocalisation. On a pourtant droit à un happy end, avec les pouvoirs publics qui s’engagent et Veolia qui se mouille pour la reprise, mais pas avant 2025… Le film date de 2023, filmé en 2022. Un peu de patience…
Un petit débat se tient après le film, à une dizaine de spectateurs, où l’on décrypte un scénario pas toujours des plus clairs. Une animatrice d’Attac et un représentant de Greenpeace (composantes essentielles de l’AES dans la métropole) animent un débat passionné où il est dit notamment que l’union des forces de gauche – politiques, syndicales et associatives – est nécessaire pour en finir avec ce capitalisme prédateur peu soucieux du climat et du social, car La Chapelle est une entreprise de papier recyclé et à ce titre précieuse d’un point de vue écologique. Ses difficultés sont liées aux méventes de la presse papier, on s’en doutait un peu. Toutes et tous à vos tablettes et à vos smartphones ! Et puis, c’est bien connu, les Français ne lisent plus, ils écrivent, dixit quelqu’un.
On termine avec ce film, Les Doléances, projeté au cinéma L’Univers de Lille le 25 juin, encore à l’initiative d’Attac (Lille). C’est cette fois du sort des Cahiers de doléance rédigés après la crise des Gilets jaunes dont il est question. Hélène Desplanques, la réalisatrice, est présente pour animer le débat après le film. Il convient d’abord de préciser que l’idée de ces cahiers est venue de maires ruraux ou de petites villes désireux d’alerter sur la désespérance de leurs concitoyens.
Que sont les cahiers de doléances devenus ? On se souvient que ceux-ci avaient été rédigés après les manifestations des Gilets jaunes, en décembre 2018. Il s’appelle Fabrice Dallongeville et est maire d’une petite commune de l’Oise. Obstiné et très attaché à l’expression citoyenne, on le voit remonter la filière, allant de mairies en archives départementales, interrogeant des universitaires et d’anciens Gilets jaunes, jusqu’à l’Assemblée nationale.
On en apprend de belles : les cahiers ont été numérisés et confiés à un cabinet privé pour leur exploitation, mais le Gouvernement Macron a enterré l’affaire, passant par profits et pertes ces milliers de témoignages et incitant le cabinet à les effacer.
Macron devait prendre la parole pour en faire la synthèse, mais – c’est ballot – l’incendie de Notre-Dame de Paris a tout paralysé. Idem pour le grand débat, qui n’aura été que le moyen de calmer le jeu, sans retenir une seule proposition formulée.
Pourtant, on est émus à la lecture de ces doléances qui alertent, sans y croire vraiment, les pouvoirs publics sur la pauvreté, l’isolement, le manque de services publics. Autant de cris négligés, méprisés par ceux qui nous gouvernent. Un député nous dit qu’on pourrait s’entendre, toute famille politique confondue, sur une centaine de propositions issues de ce travail collectif, mais cela générait évidemment ceux qui n’ont aucun intérêt à prendre en compte, même à simplement examiner, ces propositions issues du peuple. « Sans filtre », comme disait Macron à propos d’une convention citoyenne. Dallongeville fait tout cela pour la démocratie réelle, et Hélène Desplanques, invitée à débattre, nous explique les conditions de tournage et les dessous d’un documentaire passionnant pour son réalisme, sa vérité et les émotions qu’il dégage.
Mais l’affaire n’est pas perdue et l’équipe du film mettra un point d’honneur à reconstituer ces cahiers.
La démocratie, décidément un enjeu majeur trop souvent relégué derrière les urgences économiques, celles qui consistent à rassurer les marchés et les capitalistes qui, eux, ne perdent pas leur temps à rédiger des doléances, vu qu’ils ont déjà tout ce qu’ils veulent.
26 juin 2024
En effet, Didier, « les assemblées seront toujours dominées par des gens qui savent parler et sont dotés de la culture politique qui peut faire défaut aux autres. Il est donc à craindre que les ‘grandes gueules’ et les leaders d’opinion s’y imposent dans une certaine passivité générale ».
Bien vu !
Dans un. courrier à Politis, suite à un numéro spécial de l’hebdomadaire sur « Mai 68″, j’avais écrit: : » Oui, nous fûmes 30.000 couillons à faire la courte échelle à une centaine de beaux parleurs pour les aider à accéder aux pouvoirs politique, médiatique, culturel, intellectuel, etc. Ce qui acheva de se concrétiser dans les années 80. »
Le journal publia de larges extraits de ma lettre mais pas la phrase ci-dessus… Et pourtant, l faut être naïf, ce que Didier n’est pas – et ça me fait plaisir –
pour ne pas voir que ce sont toujours les mêmes qui par leur bagout, leur tchatche imposent leur point de vue aux. autres. N’est-ce pas « Manu », toi qui as si bien su manipuler tes « rencontres-débats' » après le mouvement des gilets jaunes. ?
Moi qui ne sais pas parler, qui bafouille dès qu’il y a quatre personnes devant moi (jusqu’à 3 ça va encore…), je suis à la fois admiratif devant ceux qui sont à l’aise devant un vaste auditoire et en même temps je me méfie d’eux comme de la peste..
Tant de brillants orateurs ont roulé dans la farine ceux venus pour les écouter !
Ce qu’il faudrait, dans ces assemblées, c’est
– que tout le monde ait le droit à la parole en précisant, d’entrée:: « même ceux qui ne savent pas ou qui n’osent pas parler »
– et que le temps de parole soit LIMITÉ (même durée pour tous !!!) afin que les baratineurs n’aient pas le temps de faire leur numéro..
Alors oui, dans ces conditions, j’accepterai de participer à de tels débats. Et je peux assurer que je ne serai pas le seul.
Joël Luguern
PS Je précise que Jacques Testart, qui est en effet probablement l’inventeur des « Conventions citoyennes » avec la Fondation pour les sciences citoyennes qu’il a créée il y a bien longtemps, a rejoint l’association « Citoyens du monde – France » il y a une bonne trentaine d’années..
salut Joël
Content de retrouver tes commentaires sur ce blog. Même si ce que tu préconises est indispensable (donner la parole à tout le monde et limiter le temps d’intervention), il faudrait aller plus loin en enseignant, dès l’école, les techniques de prise de parole sur la forme (ton, éloquence, débit…), et surtout sur le fond (recherche des arguments, réponses, synthèse…). Tout cela pourrait s’entretenir dans les partis, les associations, les syndicats, les comités de quartier, les centres sociaux, les clubs sportifs, les CSE…
Ça me paraît être la condition préalable à un possible débat démocratique.
Amitiés
Didier