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R.E.M : UN LONG SOMMEIL PEUPLÉ DES PLUS BEAUX RÊVES

Chronic town, leur premier disque. Photo Discogs (avec leur aimable…).

On m’a parfois reproché de n’accorder d’intérêt qu’à des chanteurs et groupes des années 60 et 70. Pas faux, mais je fais une exception cette fois avec R.E.M, groupe américain de Athens (Georgie) qui a été en exercice de 1979 à 2011. Disons qu’on pourrait fêter le 45° anniversaire du groupe, mais faut-il un prétexte ? C’est pour moi ce qui s’est fait de meilleur dans la période, avec les Smith de Morrissey, Sonic Youth et les Pixies de Frank Black. Ne me demandez pas d’aller beaucoup plus loin (plus récent veux-je dire), il y a longtemps que je n’écoute plus de disques et rien ne me retient plus dans ce qu’il m’arrive d’écouter à la radio, par accident.

R.E.M donc, comme Rapid Eyes Movement, ces battements de paupière que d’éminents neurologues ont observé dans la phase du sommeil paradoxal. Ce sera le nom du groupe avec des références à la psychanalyse et à l’ésotérisme, disciplines auxquelles leur chanteur Michael Stripe s’intéresse. Pour tout dire, c’est un mystique qui a toujours surpris par ses textes sibyllins et obscurs.

Stripe était client d’un disquaire de Athens et le vendeur n’était autre que Peter Buck, guitariste à ses heures. Les deux jeunes gens écoutent le même genre de musique, punk et new wave, avec une dilection particulière pour les groupes rock des années 1960, Beach Boys et Byrds en tête. Les lascars sont américains, et ils ont été biberonnés au Folk-rock de la seconde moitié des sixties comme au psychédélisme et au rock garage.

Pour que le groupe ressemble à quelque chose, ils débauchent Mike Mills (basse) et Bill Berry (batterie) de leur université de Georgie. C’est en 1979 que le groupe, encore sans nom, donne ses premiers concerts dans le circuit des universités américaines, ce qu’on appellera le College rock, même si l’appellation a déjà été utilisée pour désigner le rock sirupeux et un peu niais des crooners crantés du tout début des années 60. Déjà, R.E.M introduit ses propres compositions au milieu d’un set largement composé de reprises des groupes qu’ils vénèrent ; Byrds et Beach Boys on l’a dit, mais aussi le Buffalo Springfield, Love ou les Beau Brummels, sans préjudice des groupes anglais des mid-sixties.

C’est en 1980 qu’ils prennent le nom de R.E.M, forts d’un succès d’estime dans la jeunesse estudiantine américaine. Les textes étranges de Stripe, la guitare en arpège de Buck et les talents de multi instrumentiste de Mills leur valent leurs premiers fans. L’année suivante, ils sortent leur premier single, « Radio Free Europe », sur le label Hip Tone, produit par Mitch Easter, lequel restera longtemps leur producteur attitré. « Radio Free Europe » condense à merveille le style R.E.M : voix plaintive, guitares en arpèges, mélodies travaillées et toujours ces textes aussi imagés qu’obscurs. Le New York Times et le Village Voice en font le single de l’année, ce qui fait tendre l’oreille aux grands labels.

Stephen Hague, leur premier producteur, refuse les offres de RCA et les fait signer chez I.R.S, un label indépendant chez qui ils enregistrent Chronic town, un maxi single sorti en 1982 après la sortie d’un deuxième single « Pilgrimage ». « Pilgrimage » et « Radio Free Europe » qui figurent en bonne place sur leur premier album, Murmur, sorti en août 1983. On y trouve aussi « Catapult » et, sur la réédition en CD, des versions live de « Gardening At Night » et du « There She Goes Again » du Velvet.

En avril 1984, c’est Reckoning avec « (Don’t Go Back) To Rockville » qui fait un hit comme « Time After Tim e » et l’excellent « So. Central Rain ». L’album est encensé par Rolling Stone qui en fait son disque de l’année et les préoccupations écologiques et pacifistes de Stripe affleurent, en même temps que ses tendances mystiques. Le groupe déteste l’Amérique de Reagan et son monde et il le crie.

Changement de décor avec Fables of the reconstruction (juin 1985), enregistré à Londres avec un nouveau producteur, Joe Boyd, celui qui a déjà travaillé avec Nick Drake ou Fairport Convention. Un album sophistiqué, peut-être un peu trop, qu’il faut écouter plusieurs fois avant la révélation. Aucun titre n’émerge, si ce n’est peut-être « Maps And Legends », et le Melody Maker parlera d’album triste et désenchanté. Le groupe va beaucoup tourner et élargir son noyau de fans à l’Angleterre et au continent européen.

Lifes rich pageant (la riche parade de la vie), en juillet 1986, est encore plus politique. L’album a été enregistré dans l’Indiana et produit par Don Gehman. Un disque truffé de références littéraires et de chansons à connotations politiques (« Underneath The Bunke r » ou « The Flowers Of Guatemala »). R.E.M vomit cette Amérique impérialiste de l’hyper consommation et de l’ultra libéralisme. Son engagement pour le Parti démocrate commence à se faire jour.

Un album curieux dans leur discographie, ce Dead letter office composé de reprises (du Velvet Underground à Roger Miller en passant par Aerosmith) et d’inédits. Mais c’est Document (septembre 1987) qui va marquer la période et mettre tout le monde d’accord sur le génie du groupe. C’est cette fois Scott Litt (Nirvana) qui produit et le groupe tient son hit mondial, « It’s The End Of The World As We Know It », qui ne le cède en rien à « The One I Love ». Un disque de haut vol où on trouve encore des chansons politiques (« Welcome To The Occupation » ou « Exhuming Mc Carthy »). R.E.M peut maintenant se prévaloir d’un succès international et on peut les voir souvent au David Letterman Show.

Mais on n’a encore rien vu, et Green (novembre 1988) est encore meilleur, si toutefois c’est possible. Pour le coup, R.E.M a signé chez Warner Bros et s’est séparé de son manager historique. Toujours produit par Scott Litt, l’album a été enregistré aux studios Bearsville de Woodstock. Cette fois, R.E.M laisse un peu de côté ses sous-entendus mystiques et ses charges politiques pour ciseler des popsongs (le titre de la première chanson) qu’on pourrait qualifier de « commerciales ». Ainsi de « Get Up », « Orange Crush », « You Are The Everything » ou « World Leather Pretend ». Certains titres atteignent la première place du Billboard en single et l’album se classe 12° au classement albums, y restant 40 semaines. On a eu la chance de voir le groupe au festival de Torhout, et c’est aussi un combo de scène.

Dépassé par son succès et harassé par les tournées, le groupe se décide à prendre une année sabbatique.

Plus qu’une année, puisque Out of time ne sortira qu’en mars 1991, soit deux ans et demi après Green. « Losing My Religion » fait à nouveau un hit international, matraqué sur les stations françaises et « Shiny Happy People » et son riff diabolique subit presque le même sort enviable. Album certifié disque de platine et gros succès commercial, mais on perd un peu la magie de R.E.M pour une pop grand public qui ne semble plus hantée, possédée.

En 1992, R.E.M produit un album des Troggs reformés pour la énième fois. 11 titres dont l’excellent « Together ». L’album s’appelle Athens (pour R.E.M) Andover pour les Troggs, cette ville près de Southampton dont ils sont issus. On reconnaît là l’admiration du groupe pour ces combos pop du British Beat et c’est une façon élégante pour eux de leur payer tribut.

La même année sort Automatic for the people et un nouveau hit mondial, « Everybody Hurts » avec aussi « Man In The Moon » qui servira de chanson au film éponyme. Là aussi, un très bon disque, mais il semble que ce qui faisait l’originalité et la rareté du groupe soit perdu, en même temps que la fascination qu’il exerçait.

On va accélérer pour la fin, puisque R.E.M n’a plus grand-chose à offrir. Si Monster (1994) est un retour au rock avec le grand « What’s The Frequency Kenneth !, » (un titre à la Radiohead, groupe qui doit beaucoup à R.E.M), on chercherait en vain la magie de R.E.M et ce n’est pas New adventures in hi-fi (1996) ou Up (1998) avec un titre écrit avec Leonard Cohen, qui vont redorer un blason passablement terni. D’autant que Bill Berry, le batteur, a été victime d’un AVC sur scène, à Lausanne, en 1997 et qu’il a décidé d’arrêter les frais.

C’est donc en trio que le groupe va sortir ses derniers disques, largement dispensables : Reveal (2001) avec un nouveau producteur, Patrick Mc Carthy, Around the sun (2004), Accelerate (2008) et enfin Collapse into now en 2001 ; les deux derniers produits par Garret « Jacknife » Lee. Michael Stripe annonce la séparation définitive du groupe le 21 septembre 2011, après 40 ans d’existence discographique.

R.E .M était passé au Rock’n’roll Hall Of Fame en 2007, soit le panthéon du rock où il méritait bien de figurer. Ainsi s’achève l’histoire, dans un dernier battement de paupière, d’un groupe exceptionnel à la fois par sa musique inspirée, par sa poésie baroque et par son inscription définitive dans la lignée des génies rock’n’rolliens, toutes catégories confondues. REM comme Rarement Entendu Meilleur.

8 septembre 2024

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