Ou comment une station innovante et réputée plutôt de gauche – ne l’a-t-on pas appelée un temps la radio de Mai 68 – est-elle devenue, au fil des ans et plus brusquement ces dernières années, un défouloir de l’extrême-droite et des populistes de tous bords. De la radio des humoristes, des jeunes et des journalistes « persifleurs » à la triste station des réacs et des fachos, un peu d’histoire… Le glissement à droite d’Europe 1, c’est naturel ?
Cette dernière phrase est un vieux slogan de la station dans les années 1970 qui ne doit plus rien dire à personne. De l’autre côté, dans la maison d’en face, RTL se proclamait sans rire « la radio des travailleurs » à la même époque. Europe 1, RTL, RMC et Sud Radio étaient ce que l’on appelle des « radios périphériques », soit des stations contestant le monopole de la radio publique en émettant depuis l’étranger proche. La Sarre pour Europe, le Luxembourgpour RTL ou Monaco pour RMC, mais les studios sont à Paris, pas très loin des Champs-Élysées. D’ailleurs, Europe 1 sera vite rattrapé par le gouvernement français, comme sa petite sœur RMC, par un lien étroit avec la Sofirad, une holding de l’audio-visuel où l’État était majoritaire. Pas de quoi mettre à mal l’indépendance de la station, ou du moins pas tout de suite.
« Number ten » s’utilise dans les pays anglo-saxons comme synonyme de « pas terrible » ou « plutôt mauvais ». Europe number 10 n’a pourtant pas toujours été cette station coincée entre émissions stupides et informations droitières.
La station est créée en 1955 par Louis Merlin et Charles Michelson, deux hommes de presse et d’audio-visuel, le premier étant le directeur du groupe de communication et de publicité Havas quand le second revendra vite ses parts, l’année suivante, à Sylvain Floirat, PDG du groupe Matra, plus voiture qu’armement à l’époque. La gouvernance d’Europe n°1 (comme on disait jadis) reviendra dans les années 1970 au groupe Matra Hachette de Jean-Luc Lagardère, le père, avant d’échoir, à sa mort, au fils Arnaud qui va vite dilapider l’héritage et laisser le contrôle à Vincent Bolloré en 2021. Il donnera à Europe le profil réactionnaire qu’on lui connaît. Avec Europe, Bolloré raflait un autre puissant média après Canal + (Cnews, C8) et ses satellites et aussi Paris Match et avant Le journal du dimanche et très prochainement Le Figaro, même s’il a dû céder Paris Match à l’autre ogre médiatique, Arnault.
Dès sa création, Europe 1 fait souffler un air nouveau sur les ondes. Des journalistes qui font leur métier et ne sont pas prisonniers de l’audiovisuel public et de la vieille ORTF. C’est le cas des Georges Leroy, Maurice Siegel, Jean Gorini et autres René Duval. Côté animateurs, après des Anne-Marie Carrière, des Roger Duquesne, des Jacques Ourevitch et des Vonny, on trouve des Jacques Chancel, des Claude Dufresne et des Pierre Bouteiller qui feront le bonheur de la radio de service public. Plus des producteurs n’hésitant pas à innover comme Jean Garetto et Pierre Codou, coresponsables de L’oreille en coin sur Inter en 1969.
À la fin des années 1950, Europe 1 innove aussi avec une émission de Jazz – Pour ceux qui aiment le jazz – présentée par Daniel Filipacchi et Frank Ténot avec, pour indicatif, le « Blues March » de Art Blakey. La station va devenir à la même époque celle du rock et des yéyés avec Salut les copains, produite par Filipacchi avec une succession d’animateurs dont Michel Brillié, Annick Beauchamp, le chanteur Monty, Hubert ou encore Jean-Bernard Hébey. Hubert Wayaffe et Viviane Blassel animent le soir Dans le vent quand Michel Cogoni, manager des Sunlights, prend l’antenne la nuit.
Sous l’impulsion du directeur des programmes Lucien Morisse, une antenne résolument jeune avec des débutants comme Marie-France Brière (pour ses Musicorama), Sam Bernet (le Hit-parade) ou François Jouffa (le premier Campus). Europe 1 est aussi la radio des humoristes avec, par ordre d’apparition à l’antenne, Fernand Raynaud, Francis Blanche & Pierre Dac, Jacques Martin & Jean Yanne, Maurice Biraud… Une série qui prend fin avec Coluche fin des années 70. Avant Roucas ou Roumanoff…
Le service sport d’Europe est également bien fourni avec Eugène Saccomano pour le foot, Fernand Choisel et Chapatte pour le cyclisme ou Roger Couderc pour le rugby. La station recrutera les premiers consultants : Roger Piantoni pour le football et Pierre Albaladejo pour le rugby, entre autres.
Mai 68 va donner un nouvel élan à la station avec l’émission Campus, animée par Michel Lancelot. Deux heures quotidiennes consacrées à la contre-culture. Christian Barbier anime les nuits en concurrence du Pop Club et Robert Willar plus Harold Kay les matinales.
C’est ensuite Pierre Delanoé qui, après le suicide de Morisse, reprend la direction des programmes et, malgré quelques bonnes intentions (le Carré bleu de Jouffa et Jacques Paoli puis Gérard Klein), le niveau baisse avec des animateurs camelots comme Jean-Loup Lafont, Yann Hegan ou François Diwo. Plus une nouvelle génération de journalistes plutôt de gauche ; les Sinclair, Lescure ou Gildas.
Mais c’est aussi l’époque où la tutelle de l’état se resserre et où Giscard donne la chasse aux journalistes « persifleurs », soit la vieille garde des Leroy, Siegel et Gorini (qui créeront VSD) mais aussi les Ivan mais Levai, Bernard Langlois ou Jean-François Kahn. Europe se normalise et s’affaiblit. Aux persifleurs succèdent des journalistes bien en cours comme Étienne Moujeotte, Robert Namias, Jean-Claude Dassier, Catherine Nay ou Gérard Carreyrou. Presque tous seront à la direction des informations de TF1, après sa privatisation.
Les années 1980 voient l’arrivée de nouveaux journalistes tels Gilles Schneider, Guillaume Durand, Stéphane Paoli ou Jérôme Godefroy mais, si la station reste appréciée pour ses informations, les émissions sont de moins en moins intéressantes avec des animateurs démagogues et putassiers comme Jacques Pradel, Delarue ou Morandini, mis en place par Jérôme Bellay arrivé de France Info en 1996 avec Yves Calvi dans ses bagages. C’est lui qui va virer les vieilles gloires de la station : André Arnaud (en retraite), François Jouffa ou Maryse. Bellay fera le ménage, du sol au plafond, faisant glisser la station vers le populisme et la démagogie.
La radio, qui fut longtemps en tête des sondages médiamétrie, n’est plus qu’en troisième position derrière RTL, son éternelle rivale, et France Inter. En guise d’humoristes, on a maintenant Gustin, Lafesse, Canteloup ou Laurent Gerra. Le niveau baisse et sera à peine relevé par Ruquier et sa bande, entre leurs prestations sur France Inter et les Grosses têtes de RTL. On rit encore, plus pour longtemps.
Lagardère fils ne contrôle plus rien et on fait venir des Hanouna, des Frank Ferrand et des Boccolini pour une station qui est devenue une radio poubelle, comme les télés du même nom. Mais ce sera encore pire – si c’est possible – avec l’arrivée de Bolloré.
Avec Bolloré, voici le temps des Sonia Mabrouck, des Dimitri Pavlenko et des Laurence Ferrari. Il a donné l’antenne à Cyril Hanouna pour une émission purement électoraliste au printemps 2024 (On marche sur la tête), pour que le R.N puisse faire le plein des voix. Mieux, il a fait venir son valet Pascal Praud de RTL pour répondre aux auditeurs le midi (Pascal Praud et vous). Il a ramené Frédéric Taddéi au bercail après ses prestations pour une télé proche de la Russie de Poutine. Mais ce n’est rien à côté d’une émission d’une heure confiée à Philippe De Villiers (face à Philippe De Villiers, il fallait oser).
Côté chroniqueur, la lie des ex-gauchistes passés à droite. Droite plutôt extrême nietzschéenne pour Michel Onfray ; droite ultra-libérale et ultra-républicaine pour Philippe Val. On le voit, du beau monde. Ah, j’oubliais, il y a aussi Sophie Davant, comme quoi tout n’est pas politique, quand même…
Et Europe 1, allez savoir pourquoi, n’en finit pas de dévisser dans les sondages médiamétrie, quasiment à la queue, talonné par RMC Infos et au coude à coude avec les radios spécialisées de Radio France, France Culture et France Musique.
Pas mal pour une station généraliste qui se veut ouverte et proche des gens. Des sondages qui valent ce qu’ils valent mais qui nous permettent de penser que la société est beaucoup moins droitisée que ses médias et que là réside peut-être un espoir. Espérons que la logique de l’audimat fera qu’Europe 1 se repentira un jour d’avoir été la radio de l’extrême-droite, mais rien n’est moins sûr. Ne sautons pas comme des cabris en criant « Europe, Europe, Europe ». Et, si ce n’est déjà fait, boycottons !
6 octobre 2024
Europe 1 était l’incontournable station des jeunes au milieu des années 60. Salut Les Copains étai le seul programme où on pouvait entendre de la musique jeune, même s’il fallait s’avaler les niaiseries musicales franchouillardes de l’époque, et que le programme n’existait qu’après les horaires scolaires de fin d’après-midi. Mon père y connaissait bien une directrice d’un département dont j’ai oublié le nom – c’est d’ailleurs elle qui m’a donné 2 billets pour voir les Beatles, avec les Yardbirds en 1ère partie, en juin 1965 – et elle m’a obtenu en 1964 ou 1965 de venir assister à une diffusion en direct de Salut Les Copains. En tout premier lieu, j’ai été surpris de voir à quel point le studio était minuscule. Une petite table ronde avec 3 ou 4 chaises, 2 micros sur la table, et voila … Ce jour-là, Johnny Hallyday était l’invité d’honneur, et il n’y avait pas assez de place pour que je puisse m’asseoir avec eux. On m’a alors mis avec l’ingénieur du son dans une salle toute aussi petite à côté, séparée par une petite vitre au milieu d’une porte de séparation …. rien de vraiment isolé pour le son … et je me suis ainsi retrouvé pendant une heure avec l’ingénieur du son qui m’a montré comment remplir le livre des titres des chansons qui passaient à l’antenne, chose qu’il devait faire lui-même en plus de jouer les disques et contrôler les volumes des deux micros et de la musique des disques sur le tourne-disque. Une fois l’heure terminée, j’ai pu serrer la main de Daniel et de Johnny, et je suis parti content de l’expérience. Il faisait beau dehors, et le mythe de Salut Les Copains n’allait plus avoir de raison d’être pour moi …