Surprise et joie d’entendre le « Roll Away The Stone » de Mott The Hoople dans la bande-son d’une série de Arte – Steeltown murders -, l’histoire d’un cold case ou d’une nouvelle enquête sur trois meurtres de jeunes filles au Pays De Galles à la lueur de l’ADN. L’occasion de se remémorer Mott The Hoople et surtout son chanteur Ian Hunter qui a plaqué le groupe en 1974, il y a 50 ans. Passés d’un Hard-rock sans le folklore macabre à un Rock décadent dans le sillage de Bowie / Roxy. Mott The Hoople aura éclaboussé le rock anglais de sa classe. Voici leur histoire.
On peut faire débuter l’histoire de Mott The Hoople en la faisant coïncider avec celle de Guy Stevens. C’est l’ancien disc-jockey du Crawdaddy Club de Richmond où ont débuté les Rolling Stones puis les Yardbirds. C’est aussi celui qui possédait la plus belle discothèque rhythm’n’blues et soul music de toute l’Angleterre. Pour l’anecdote, Stevens avait aussi une chatte qu’il avait baptisée Procol Harum, un nom qui restera dans l’histoire après que le groupe de Gary Brooker et Keith Reid l’eût adopté, même si d’autres versions ont circulé sur sa raison sociale.
Stevens aurait souhaité devenir le manager de Procol Harum, mais la justice de sa majesté l’en a empêché. En 1967, il est incarcéré pour usage et possession d’héroïne et le futur producteur des Clash aura passé deux ans dans les geôles du royaume. Depuis longtemps, Stevens avait pour ambition de trouver un groupe qui marierait la puissance rythmique des Stones avec les textes poétiques et subversifs d’un Dylan. À sa sortie de prison, retourné dans le circuit, il pense avoir trouvé l’oiseau rare avec Ian Hunter, de son vrai nom Ian Hunter Patterson, né en 1939 à Oswestry, dans le Shropshire, une province des Midlands de l’ouest à la frontière du Pays De Galles.
Hunter n’est pas exactement un perdreau de l’année et il a écumé différentes formations dont les moins obscures ont pour nom les The Shriekers ou The Scenery (avec déjà Mick Ronson). Devant l’insuccès chronique de ses tentatives, Hunter joue de la guitare ou du piano derrière Billy Fury, caricature de rocker briton ou le Nord-irlandais David Mac Williams. Mickie Most pense à lui pour faire partie des New Yardbirds de Jimmy Page, mais le prince noir du Hard-rock choisit Robert Plant et le Zeppelin pourra prendre son envol, sans lui.
Guy Stevens se rapproche de Ian Hunter qui est déjà père de deux enfants et songe à changer de métier si le succès n’arrive pas. Stevens lui adjoint deux des musiciens de Shakedown Sound, un groupe de scène employé par Jimmy Cliff sur ses tournées anglaises : le guitariste Mick Ralphs et l’organiste Verden Allen. Ralphs et Allen avaient auparavant fait partie d’un groupe du nom de Silence, avec Dale Griffin (batterie), Overend Watts (basse) et Stan Tippins au chant. Stevens pense qu’il suffit de mettre Hunter en lieu et place de Tippins pour avoir le super groupe de l’année qu’il baptise cette fois du nom du roman qu’il est en train de lire, celui de Willard Manus, un journaliste de Los Angeles : Mott The Hoople.
Le groupe est basé à Hereford, dans les Midlands de l’ouest, avec quelques incursions à Londres où ils commencent à se faire un nom. Leur premier album éponyme paraît en 1969, chez Island. On peut y apprécier une reprise hard du « You Really Got Me » des Kinks et une de leur composition, « Rock’n’roll Queen » où les talents de parolier de Hunter collent bien avec l’énergie du groupe. Mais il s’agit surtout d’un album de reprises, avec le « Laugh At Me » de Sonny & Cher et le « At The Crossroads » du Sir Douglas Quintet.
Mad shadows, leur deuxième album au printemps 1970, est plus ambitieux avec sept longs morceaux composés tour à tour par Hunter et Ralphs. Ce sont les chansons de Hunter qui sont les plus marquantes, longues ballades mélancoliques zébrées d’éclairs électriques. On a tôt fait de classer Mott The Hoople dans la catégorie Hard-rock alors que Led Zeppelin, Deep Purple ou Black Sabbath triomphent en Angleterre. S’ils ont l’énergie et la fureur propres au style, Hunter et Ralphs n’ont pas oublié Dylan et la Soul music. En octobre, on les entend sur BBC2 dans l’émission Disco2.
Deux albums pour l’année 1971. Tout d’abord Wild life et leur reprise du « Keep-A-Knockin’ » de Little Richard mais aussi des perles signées Hunter (« Angel Of Eight Avenue » ou «Waterlow »).
Brain Capers est encore meilleur, même si on aurait du mal à y dénicher un hit, malgré les efforts conjugués de Hunter, Ralphs et Stevens lui-même.
Faute de succès probants, le groupe est au bord de la rupture et Ian Hunter songe à se consacrer à l’écriture de chansons après une tournée houleuse du groupe en Suisse et un concert parisien. En ces temps de rock progressif et de plaisirs d’esthètes, Mott n’a pas la côte.
La fée Bowie va passer par là et Mott The Hoople pouvoir entamer une seconde carrière en surfant sur la vague Glam rock ou, ce qui leur correspond mieux, Rock décadent. Bowie, qui se souvient d’avoir été un fan, leur a écrit « All The Young Dudes », lequel se classe à la troisième place des charts. Ils signent chez CBS et l’album éponyme sort dans la foulée, produit par Bowie pour Mainman avec le concours de Mick Ronson. Outre leur hit international, on trouve l’excellent « One Of The Boy » ainsi qu’une reprise époustouflante du « Sweet Jane » du Velvet Underground. Hunter est maintenant seul maître à bord (peut-être après Bowie). Ariel Bender (qui se faisait appeler Luther Grosvenor au temps de Spooky Tooth) a remplacé Ralphs parti fonder Bad Company avec les musiciens de Free quand Morgan Fisher a remplacé Allen aux claviers. Le nouveau Mott est arrivé.
Mott, paru en 1973, est un grand disque avec neuf excellents morceaux signés Hunter dont les plus marquants entament (« All The Ways From Memphis ») et clôturent (« I Wish I Was Your Mother ») l’envoi. Mott The Hoople est enfin respecté par le fan de rock moyen, celui-là même qui les dédaignait voilà peu. Ils tournent aux États-Unis avec Queen en première partie et leurs frasques font les choux gras de la presse rock internationale quand bien même Ian Hunter n’est plus un teen-ager.
The Hoople, en 1974, ne lui cède en rien côté émotion et finesse avec des chansons comme « Golden Age Of Rock’n’roll » ou ce « Roll Away The Stone » à tomber. Hunter évoque avec mélancolie le cirque pop, la solitude de la pop star, le rock business et tout un petit monde de vanité et de démesure, d’hubris. Il se pose en nostalgique d’un âge d’or du rock où les choses faisaient encore sens, avec un minimum d’honnêteté, de sincérité.
Après un album live fin 1974, Mott The Hoople Live, enregistré à New York (Broadway) et à l’Hammersmith de Londres, Ian Hunter quitte le groupe, las des tournées, des pressions incessantes et des parasites. Il est hospitalisé pour une sévère dépression nerveuse et a réfléchi à l’opportunité de mener une carrière en solo à son rythme, mais la pression va vite le rattraper. Il aura en tout cas écrit une belle page de l’histoire du rock anglais, en compositeur émérite et en poète du rock. On se contentera de citer ici la compilation Shades of Ian Hunter où le croisement entre les Stones et Dylan, dont rêvait Stevens, est presque devenu une réalité.
À quoi bon parler du groupe qui signera encore deux albums (Drive on en 1975 et Shooting and pointing 1976) sous le nom de Mott avant de se baptiser The British Lions. Seuls Griffin et Watts seront encore fidèles à ce Mott fantôme qui sent l’imposture à plein nez. Tout cela se terminera en 1980 mais il y aura des reformations et des tournées mondiales avec les membres orignaux, dont Ian Hunter, pas chien.
« Mott The Hoople », ça c’est du rock, bande d’intellectuels ! ». Telle était l’apostrophe d’un certain Philippe Garnier aux lecteurs et lectrices de Rock & Folk, après un concert du groupe à Paris en novembre 1971. C’était avant la reconversion Glam rock sous influence Bowie – Roxy, mais le camarade Garnuche avait du flair, et du goût.
Que sont-ils devenus ? Rien de bien fameux, si ce n’est Hunter intronisé poète du rock devant l’éternel et Guy Stevens qui produira le London calling des Clash. L’un est toujours debout à 85 ans quand l’autre nous a quitté en 1981. La parfaite alchimie entre Dylan et les Stones, ils l’avaient presque trouvé ces cons-là.
5 octobre 2024
PS : appris avec tristesse la mort de Kris Kristofferson. Il est temps de réécouter « Me And Bobby Mc Gee », « Help Me Make It Through The Night » ou encore « Sunday Moring Coming Down », entre autres. Bye bye, cow-boy mélancolique ! Et quel acteur !
Merci, Didier, pour ce rappel remarquable.