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MÉDIATONIQUES 3

POLITIS : INDÉPENDANT, ENGAGÉ ET COOPÉRATIF

Le logo historique du journal, avec leur aimable autorisation.

Depuis septembre, l’hebdomadaire Politis s’est transformé en coopérative avec un collège lecteurs, un collège partenaires, un collège salariés et un collège investisseurs. Des souscriptions sont lancées et on ira sur le site du journal (politis.fr) pour contribuer à l’initiative, si on n’est pas déjà abonnés car le journal est absent des kiosques depuis bientôt trois ans. L’occasion de revenir sur l’histoire de ce journal avec lequel j’ai toujours eu une forte relation affective avec une centaine de lettres envoyées (les 3/4 publiées) dans le Courrier des lecteurs. Depuis février 1988 et la folle entreprise de Bernard Langlois jusqu’à nos jours et cette société coopérative. Histoire d’un canard pas tout à fait comme les autres.

On dit parfois que Politis est le fils (ou le petit frère) de Politique Hebdo, hebdomadaire lancé par Paul Noirot, Albert-Paul Lentin (ex grands reporters à L’Humanité) et Paul Blanquart, ex Témoignage Chrétien. Ce n’est vrai qu’en partie, car Politique Hebdo a été, entre 1970 et 1976, le carrefour de l’extrême-gauche post soixante-huitarde quand Politis visait dès le début un public plus large. Au reste, on ne retient des deux canards que la signature de Claude-Marie Vadrot (qui signait Boris dans P.H).

Plus de dix ans après, en 1988, la presse de gauche est dans un sale état. Témoignage Chrétien a quasiment disparu comme Charlie Hebdo, depuis 1982. L’Express de Françoise Giroud et JJSS a été cédé au libéral Jimmy Goldsmith et à son porte-voix Jean-François Revel. Le Nouvel Observateur s’est converti au au social-libéralisme, laissant derrière lui les vieilles lunes du PSU. C’est devenu Vive la crise et vive l’entreprise. Ramsay a lancé Les Nouvelles mais s’est vite retiré. Au quotidien, les choses ne vont pas mieux avec le virage libéral-libertaire du premier Libération, Le Monde de plus en plus quotidien vespéral des marchés et Le Matin de Paris à l’agonie. On ne parle pas de la presse communiste, pas encore libérée des mirages du socialisme réel et du stalinisme.

C’est dans ce contexte que paraît le numéro 0 de Politis, en février 1988. À la barre, Bernard Langlois (ex La vie catholique, Europe 1 et Antenne 2) avec quelques journalistes expérimentés parmi lesquels Michel Soudais (déjà là), Rémy et Françoise Galland, Michel Naudy (ex France 3), Yves Kergoat et Jean-Paul Besset, entre autres.

Dès ses origines, le journal, sous-titré Le citoyen, se donne l’ambition de marier écologie et social et c’est d’ailleurs le premier organe de presse écologiste dans une séquence où les Verts en sont déjà à s’empailler sur des questions de stratégie. Chaque journaliste défend sa chapelle dans un éventail large de ce qu’on appelle pas encore la gauche plurielle. Disons plutôt la « gauche de gauche ». Kergoat pour le PSU moribond, Besset pour l’écologie politique, Naudy pour le PCF ou encore Jean-Pierre Beauvais pour la LCR. La gauche arc-en-ciel est représentée dans toutes ses couleurs, du rouge foncé au vert pâle en passant par le rose.

Dès le début des années 1990 qui voient un retour net de la conflictualité après des années 80 désespérantes sous l’assaut des libéraux et du capital, on peut lire des articles de Denis Sieffert (qui deviendra vite rédacteur en chef et éditorialiste), Thierry Brun (pour l’économie et le social), Patrick Piro (pour l’écologie), Jean-Claude Renard ou Christophe Kantcheff pour les pages culturelles sous la responsabilité de l’ex-chanteur et poète Jacques Bertin. Lecroart y dessine, bien avant Aurel.

À un moment, la pagination se réduit et l’hebdomadaire ne comporte plus que 8 pages format journal. Au milieu des années 1990, le journal se dote d’un agenda militant et se fait l’écho des luttes et des mouvements sociaux : A.C, le nouveau syndicalisme de Sud et les « sans » ((papiers, droits, logis…).

Et aussi Attac, ce qui ne va pas aller sans heurts, la nouvelle direction du mouvement altermondialiste entendant faire de Politis son porte-parole, faisant fi de l’indépendance des journalistes.

C’est un peu plus tard que viendra la crise, en 2006. Le journal perd des lecteurs et des abonnés, malgré une qualité rédactionnelle remarquable et un travail d’information toujours exemplaire. Les vieux chefs de tente politiques sont partis depuis longtemps et de jeunes journalistes ont repris le flambeau : Ingrid Merckx pour les pages société, Olivier Doubre pour les pages Idées puis Vanina Delmas pour les pages écologie et Pauline Graulle pour les pages politiques. Sébastien Fontenelle tient la chronique « de bonne humeur », humeur noire comme l’anarchie. Le journal se rajeunit et se féminise.

Un appel aux dons est lancé et les lecteurs y répondent massivement. Une association des amis de Politis est créée, participant aux conseils d’administration (collège Lecteurs), qui deviendra « Pour Politis », avec mission de promouvoir le journal sans toutefois interférer sur sa ligne éditoriale. Des tables de presse sont tenues ainsi que des débats publics et autres initiatives, en région parisienne comme en province. Les Saumons, journal de l’association, verra le jour et Politis retrouvera des couleurs. Tour à tour se succéderont à la présidence Jacques Hébert, Dominique Noguères, Jean-Claude Blondeau, Valentin Gaillard et Pierre Humbert, avec assemblées générales annuelles et des aides financières précieuses pour le journal. On n’oublie pas Jean Sorin, maître Jacques de l’association.

Une rubrique est tenue par des économistes atterrés qui remettent en question la vision néo-classique de l’économie. On aura Jean Gadrey, Dominique Plihon, Jean-Marie Harribey, Geneviève Azam, Thomas Coutrot, Mireille Bruyère et beaucoup d’autres, souvent liés à Attac mais pas toujours.

La rubrique culturelle a toujours été l’un des points forts de Politis, sous la responsabilité de Christophe Kantcheff après le départ de Bertin suivi par celui de Langlois. Kantcheff fait le cinéma et la littérature, Renard la photo et les arts plastiques quand Gilles Costaz et Anaïs Halluin causent théâtre et l’ami Jacques Vincent rock, plus quelques pigistes, surtout des femmes, dans d’autres domaines.

Les journalistes de Politis commencent à s’exporter. Pauline Graulle est recrutée par Médiapart mais Agathe Mercante, venue des Échos, la remplace. Les éditoriaux de Sieffert, souvent consacrés au Moyen-Orient, font autorité et Erwan Manac’h remplace Thierry Brun pour les pages économie – social quand Nadia Sweeny se substitue à Ingrid Merckx aux pages Société. On remarque un sommaire Étranger plus fourni avec, sous la houlette de Patrick Piro, de nombreux correspondants parmi lesquelles la regrettée Angelique Kourounis (Grèce), Rachel Knaebel (Allemagne) ou encore Alexis Buisson aux États-Unis. Olivier Doubre écrit souvent sur l’Italie.

Et toujours des appels, comme celui de juin 2008, le plus célèbre, appelant la gauche à s’unir pour de possibles victoires électorales. Politis a oeuvré depuis sa création pour l’unité à gauche, au-delà des petites différences narcissiques, des batailles d’ego et des conflits de personnes.

Si Sieffert est l’inamovible directeur de la rédaction, les rédacteurs en chef se succèdent : Roger Tréfeu (venu de Témoignage Chrétien) puis Gilles Wullus (ex Gai pied), Antonin Amado et Pierre Jacquemain de Regards). Mais c’est à nouveau la crise et, en 2022 au sortir de la crise sanitaire, c’est encore les appels à dons qui seront comme d’habitude entendus. Malgré cela, le journal disparaît des kiosques et des maisons de presse ; seuls les numéros spéciaux (les hors-série) sont y sont disponibles.

Une nouvelle direction se met en place avec Agnès Rousseau (Bastamag) et Pierre Jacquemain, confirmé comme rédac’ chef. Denis Sieffert envoie toujours ses éditoriaux édifiants et une nouvelle équipe se constitue avec Pierre Jacquier-Zalc (économie – social), Hugo Boursier (société), Nils Wilcke (étranger) et Lucas Sarafian (politique), plus le photographe Maxime Sirvins.

On n’oublie pas les piliers de Politis, secrétaires de rédaction comme Pascale Bonnardel et Marie-Édith Alouf ou responsables du pôle développement comme Carole Rouaud. Autant de rouages indispensables, notamment pour la gestion des abonnements, les relations avec l’association et la promotion du journal, notamment de ses nombreuses nouvelles formules depuis un peu plus de 35 années qu’il existe.

Dernière innovation, une rubrique Intersectionnalité et une page Carte blanche laissée à disposition de lecteurs ou d’associations. Plus un site Internet de plus en plus fourni. Agnès Rousseau annonce qu’elle quitte le journal au moment où la coopérative est lancée. Mauvais signal ?

En tout cas, je serai toujours un fidèle de Politis, animant une association de lecteurs dans la métropole lilloise passant du temps à convaincre des gens qui parlent de se désabonner pour un éditorial de Sieffert attaquant Mélenchon ou un article qui leur a déplu. Car Politis, c’est aussi la démocratie, l’indépendance, le pluralisme et le « penser contre soi-même ». On n’est pas obligés d’être d’accord à chaque fois et on peut déplorer la part réservée aux luttes intersectionnelles par rapport aux luttes de classe, mais ça n’enlève rien à la qualité du canard, à la tenue de ses articles, à sa hauteur de vue et à ses indispensables informations qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Un outil de réflexion indispensable concocté toutes les semaines par de belles personnes. Je les connais un peu…

28 octobre 2024

Une version écourtée de cet article paraîtra dans Les Saumons, journal de l’association.

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