Tristesse d’apprendre le décès de Rachid Mekhloufi, gentleman des stades (pas un seul carton dans toute sa carrière) et footballeur élégant. Après des débuts en Algérie (c’était encore la France), l’A.S Saint-Étienne puis l’équipe du FLN avant retour chez les Verts et fin de carrière au SEC Bastia. Avant de faire une fin honorable en sélectionneur des Fennecs, la sélection algérienne. Portrait d’un homme aussi simple qu’attachant.
Au bon vieux temps du WM, le poste d’intérieur gauche (on disait inter gauche) ne souffrait pas la médiocrité. À l’époque de Mekhloufi, on y trouvait les meilleurs : Salif Keita (qui allait prendre sa suite chez les Verts), Théo à Monaco, Piantoni à Reims, Di Nallo à Lyon. Sans parler, à l’international, d’un Eusebio à Benfica, d’un Rivera au Milan AC, d’un Mazzola à l’Inter ou encore d’un Ferenc Puskas au Real. Le poste exigeait une rare clairvoyance, des talents de dribbleur hors norme et de passeur consommé. L’inter avait pour mission principale de mettre l’avant-centre dans les conditions idéales, ce qui ne l’empêchait pas de concrétiser lui-même, avec souvent un pied gauche redoutable.
Avec le 4-2-4 puis le 4-3-3, le poste de n°10 est celui de plaque tournante, tel que fut un Michel Platini, puis s’est banalisé avec le football moderne jusqu’à devenir un simple milieu offensif parmi d’autres.
Rachid Mekhloufi jouait inter gauche, pas vraiment au milieu. Il régalait Geoffroy Guichard et les stades du pays par la finesse de son jeu, par sa capacité à garder le ballon, à écarter l’adversaire d’une feinte déroutante, à servir des caviars à ses partenaires et, le cas échéant, à tenter lui-même sa chance en faisant souvent mouche. On le reconnaissait à sa silhouette un peu courbée, à sa petite taille, à sa fine moustache et à son regard d’aigle.
Il débute dans son pays, qui était encore la France, dans le club de l’USM Sétif (M pour Musulman) et c’est Jean Snella, alors recruteur de l’A.S Saint-Étienne, qui le recrute en 1954, année de la Toussaint révolutionnaire qui marquera la naissance du FLN et le début des « événements ».
Les Verts sont champions en 1957 et doivent largement leur succès à un Mekhloufi inspiré qui évolue au milieu des Domingo, N’Doumbé, Tylinski, Ferrier… Ils sont battus en finale de coupe de France en 1960 face à l’AS Monaco mais remportent l’édition 1962 contre l’A.S Nancy. Mais Mekhloufi est déjà parti.
En 1958, alors qu’il est sélectionnable pour la coupe du monde en Suède, Mekhloufi prend le maquis et s’en va compléter l’effectif de l’équipe du FLN algérien. Une équipe censée représenter sportivement les indépendantistes algériens aux quatre coins du monde avec des matchs exhibition, des soirées de gala sans enjeu si ce n’est que de montrer une façade respectable à l’opinion internationale. Avec Mekhloufi, il y a du beau monde comme le Lensois Arribi ou le Lyonnais Kermali, autant de joueurs qui feront un peu plus tard le bonheur de la sélection algérienne, les Fennecs.
Dès la libération de son pays, Mekhloufi retrouve Jean Snella qui a laissé sa place à Albert Batteux chez les Verts et s’occupe maintenant du Servette de Genève. Les accords d’Évian ont signé la fin de l’équipe du FLN qui restera dans l’histoire. La Suisse est certainement le pays qui a le plus aidé la résistance algérienne via le réseau des porteurs de valise et c’est tout naturellement que Mekhloufi rejoint ce club, réputé l’un des meilleurs du pays à l’époque.
Mais l’épisode suisse est de courte durée puisque Mekhloufi suit à nouveau Snella qui retrouve son poste d’entraîneur des Verts. On l’a dit, Saint-Étienne a remporté le coupe cette année-là, sans Mekhloufi et s’apprête à un long règne sur le football français. Jusqu’ici abonné aux places d’honneur, le Saint-Étienne du retour de Mekhloufi remporte le championnat en 1964 avec des petits nouveaux du nom de Robert Herbin, Bernard Bosquier, Hervé Revelli, José Broissart, Georges Polny ou Aimé Jacquet. Carnus (ex Stade Français) a remplacé le vieux Abbes dans les buts.
Les performances en coupe d’Europe ne sont pas brillantes à ce stade et on n’en est pas encore à l’épopée des Verts. Saint-Étienne, en coupe des clubs champions, coupe des vainqueurs de coupe ou coupe des villes de foire (avant la coupe de l’UEFA) est souvent éliminé dès l’entame.
C’est le rival du F.C Nantes qui remporte les éditions 1965 et 1966, ce qui n’empêche pas Mekhloufi de marquer deux buts en finale de coupe de France contre Bordeaux en 1968 (doublé coupe-championnat), son cadeau d’adieu après avoir remporté le championnat l’année d’avant, en 1967. Salif Keita va prendre la place de Rachid Mekhloufi poste pour poste avec une nouvelle vague où figurent Jean-Michel Larqué ou Georges Bereta. Il aura été honoré du titre d’étoile d’or de France Football, soit le meilleur joueur du championnat, pour les années 1964, 1966 et 1967.
Pour la petite histoire, les Verts feront un nouveau doublé coupe et championnat en 1970, seulement concurrencés par Marseille au début de ces années 70. L’équipe, renouvelée, sera enfin compétitive en coupes d’Europe et y battra les meilleurs, jusqu’à cette finale de Glasgow en 1976 contre le Bayern Munich, apogée de l’épopée des Verts qui marquera aussi la première étape de leur déclin, malgré l’arrivée de Michel Platini.
Mekhloufi part en Corse, au SEC Bastia, un club devenu récemment pensionnaire de la Division 1 avec les Pantelic, Félix, Dogliani et autres Claude Papi. Il jouera une saison avec Bastia avant d’en devenir l’entraîneur. Mais ce n’est pas avec lui que Bastia disputera la finale de la coupe de France en 1972, remplacé par Pierre Cahuzac.
Rachid Mekhloufi a raccroché les crampons définitivement en 1970, à 34 ans après treize années d’une carrière au plus haut niveau, si on veut bien excepter l’épisode FLN qui ne l’a pas servi sportivement et financièrement, mais qui a fait de lui un héros de la cause algérienne.
L’Algérie qu’il va retrouver après l’épisode bastiais et, eu égard à ses états de service, il est appelé à diriger la sélection algérienne – les Fennecs – dans les années 1970 et au début des années 1980. Il remporte avec les Fennecs les Jeux méditerranéens en 1975, la coupe d’Afrique des Nations en 1978 et est toujours à la tête de la sélection, avec Mehiaddine Kalef, lors de la coupe du monde espagnole de 1982. L’excellente équipe algérienne des Madjer, Dahleb, Belloumi ou Assad qui sera éliminée après avoir battu la RFA à la suite du fameux « match de la honte » entre la RFA et l’Autriche où le ballon n’a pas quitté le rond central. Comme il est loin d’avoir l’échine suffisamment souple pour céder aux amicales pressions des politiques et des militaires algériens du FLN qu’il a modestement servi en d’autres temps, Mekhloufi finira par jeter l’éponge. Il était un combattant de la liberté, pas un suppôt du pouvoir.
Plus dans ses cordes car correspondant mieux à ses talents d’éducateur et de passeur, il va fonder plusieurs écoles de football en Algérie, en lien avec la fondation du FLN. Un rayonnement qui s’étendra ensuite dans toute l’Afrique.
En 2012, Éric Cantona, admirateur éperdu de Mekhloufi, lui consacrera un portrait dans son documentaire Les rebelles du football. La séquence Mekhloufi le rebelle nous le montre toujours vert, à 75 ans, lui qui s’est toujours tenu à une discipline sportive quotidienne, sans excès d’aucune sorte. Dans ce film, il s’explique longuement sur son engagement dans l’équipe du FLN, subissant l’incompréhension du petit monde du football français et de l’opinion publique, sans s’attarder, avec beaucoup d’élégance à l’image du personnage, sur ce qu’a pu représenter en terme de sacrifices (argent, popularité et succès) cette parenthèse de quatre ans parmi ses compatriotes.
L’année d’après, on lui attribue le titre honorifique d’ambassadeur de l’A.S Saint-Étienne qui ne l’a jamais oublié, les Verts sachant ce qu’ils lui doivent. Il va s’atteler à créer de toute pièce le musée de l’A.S Saint-Étienne. Il n’a pour autant jamais oublié l’Afrique, faisant des allers et retours entre l’Algérie et la Tunisie en défendant partout un football humaniste de générosité et de solidarité.
Les journalistes du magazine So Foot l’avaient classé à la 25° place des 1000 meilleurs joueurs du monde, en 2022. Nous, on le mettrait dans le Top 5 des plus grands messieurs du foot avec Caszely, Socrates, Pasic et Della Rina, autant de rebelles au grand cœur du foot. Bien vu Cantona !
1° décembre 2024