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L’EUROPE BUISSONNIÈRE

Les Danois après le malaise de l’un des leurs. Mal débuté qui finit bien ?

Arrivés aux quarts de finale, bien malin (comme aurait dit Thierry Roland) celui qui sait qui remportera cette 16° coupe d’Europe des nations, comme on disait dans le temps. Des grands d’Europe comme la France, l’Allemagne, le Portugal ou les Pays-Bas sont dores et déjà éliminés quand des outsiders, Suisse, République Tchèque ou Danemark viennent bouleverser les hiérarchies. Solides et présents au rendez-vous, la Belgique, l’Espagne et l’Italie ont les faveurs des pronostics, mais pourquoi pas l’Angleterre, ou l’Ukraine, la grosse cote ?

Les équipes restant en lice auront en tout cas beaucoup voyagé, de Londres à Rome et de Munich à Saint-Pétersbourg. Antoine Blondin aurait pu parler d’Europe buissonnière. Pour fêter les 60 ans de l’épreuve, on souhaitait cette traversée de tous les pays dans un grand élan sportif et fraternel. Un peu politique aussi, cette Europe des nations qu’on tirerait vers un fédéralisme européiste dont les frontières seraient soudainement abolies par la grâce d’une compétition sportive ayant lieu tous les quatre ans.

La France était donnée favorite, avec des allures d’ogre napoléonien qui aurait fondu sur une Europe déjà conquise. Les armées étrangères n’auraient plus qu’à nous regarder triompher avec cette équipe de rêve sur laquelle le chœur des journalistes sportifs s’est tant enthousiasmé. Las ! Après des débuts convaincants contre une Allemagne passablement émoussée, deux nuls laborieux contre la modeste Hongrie et le Portugal, c’est la Bérézina et Waterloo réunis pour cette défaite (aux penalties quand même) contre la Suisse. La Suisse où l’on compte plus de naturalisés serbes ou kosovars que d’helvètes élevés au chocolat blanc, mais ne chipotons pas.

La défense à 3 n’a pas fonctionné, avec un Lenglet dont on se demande ce qu’il peut bien apporter à un club aussi prestigieux que le Barça. Les longs ballons suisses passaient à travers nos lignes comme à la parade et, deux ou trois passes plus tard, un attaquant helvète se retrouvait nez à nez avec Hugo Loris. Malgré les retouches apportées à la mi-temps par Deschamps, de telles actions se sont reproduites à plusieurs reprises en seconde période, ce qui a occasionné le penalty non transformé du malheureux Rodriguez.

Les deux buts de Benzema et celui, superbe, de Pogba ne nous ont pas mis à l’abri et une défense fébrile comme un M’Bappé en état de disgrâce (il a tout raté, du début à la fin) ont fait le reste. L’épreuve des penalties en devenait anecdotique et c’est bien avant qu’on avait perdu. On s’est vus trop beau, comme on dit dans l’Équipe ou dans France Football. On a oublié que la victoire en 2016 avait été celle d’une équipe jouant en contre et ne se livrant pas, quand d’autres équipes, la Belgique et la Croatie par exemple, étaient certainement plus fortes techniquement et physiquement. Une impression de fin de cycle et encore un long chemin à parcourir avant de revenir sur le toit du monde. Une impression de gâchis aussi, voire d’incompétence quand Deschamps confie le dernier penalty à un M’Bappé malheureux de bout en bout et, qui plus est, blessé.

« Et à la fin c’est toujours les Allemands qui gagnent », selon la brillante formule de Gary Lineker dans ce qui reste la plus drôle définition du football. Cela fait quand même un bout de temps que ce n’est plus vrai et la coupe du monde de 2014 semble tellement loin, avec les quelques rescapés de la glorieuse épopée (Hummels, Muller, Kimmich, Kroos, Neuer) et une relève qu’on attend encore. Jusque-là sûrs d’eux et dominateurs, comme aurait dit le grand Charles, les Allemands sont devenus fébriles et inquiets. Psychologiquement fragiles, comme disent les commentateurs.

Quant aux Portugais du grand Christiano Renaldo, ils ont prouvé dans ce qui était considéré comme le groupe de la mort qu’ils avaient de beaux restes, avec le lillois Renato Sanchez souvent à la manœuvre, mais l’effectif, malgré quelques perles comme Bernardo Silva, n’était pas suffisamment costaud pour aller beaucoup plus loin, pour remporter le tournoi comme en 2016 avec ce but d’un autre ex lillois, Eder. N’empêche, le Portugal a presque toujours été présent dans les phases finales et c’est quasiment la seule fois qu’ils sont sortis à ce stade de la compétition.

Que dire des Pays-Bas ? Certes, il y a beau temps que les Oranje n’ont plus les individualités des années 80, les Van Basten, Rijkgaard ou Gullit, sans parler de la génération prodigieuse des Cruyff , des Haan ou des Neeskens. Mais il y a quand même de beaux restes et on est toujours en présence d’une équipe offensive qui ne calcule pas trop, avec des joueurs valeureux qui font les beaux jours des plus grands clubs européens.

On aurait pas misé la moindre peseta sur l’Espagne, mais force est d’admettre que, là aussi, si on n’est plus en présence de l’invincible armada qui régna longtemps sur le monde dans les années 2000 avec deux clubs – le Réal et le Barça – au-dessus du lot, l’équipe propose toujours un football séduisant. Les Torres, Koke, Busquets et Morato sont capables de renverser la vapeur et de sortir la Croatie de Modric, vice-championne du monde, par deux buts d’écart.

La Belgique, c’est du solide. Sans génie, mais un bloc compact et un collectif solidaire en l’absence de leur meneur de jeu, le mancunian Kevin Debruyne (et Eden Hazard ne se sent pas très bien). Les frères Hazard, justement, font merveille et Thorgan, le cadet qui évolue au Borussia Dortmund, est l’une des révélations du tournoi. Lukaku se ballade et la légion étrangère vieillissante du royaume, les Vertonghen (passé à Benfica), Alderweirelt, Vermaelen et autres Witsel tiennent la baraque (à frites). Une équipe joueuse, inspirée, réaliste et efficace mais souvent malchanceuse et habituée à buter sur le dernier obstacle. Par parenthèse, la Belgique est toujours première au classement FIFA sans avoir remporté une compétition officielle. Bizarre, une fois ? Non ?

On avait oublié l’Italie, pas très brillante depuis sa victoire aux penalties au Mundial de 2006. On croyait même que c’était plié avec les retraites de joueurs comme Pirlo ou Gattuso. Et divine surprise, les Italiens surprennent agréablement. Finis le catenaccio et la comedia mais une équipe offensive avec des joueurs qu’on connaissait comme Immobile ou Insigne, mais aussi des révélations comme Locatelli ou Chiesa, sans mentionner la vieille garde des turinois Chiellini et Bonucci. Bref, on ne serait pas étonnés si les Italiens de Mancini allaient jusqu’au bout.

Et si c’était les Anglais qui nous surprenaient ? On nous a tellement bassinés avec une équipe nationale réputée faible, des gardiens lamentables et des clubs dominateurs uniquement par la grâce de joueurs étrangers. Ce n’est pas tout à fait ça et force est de constater que les rares anglais qui évoluent dans ces grands clubs, les Walker, Stones, Sterling, Kane ou Rashford (excusez du peu) tiennent la route. On va dire que les joueurs anglais se sont améliorés au contact des plus grandes vedettes internationales. Pour faire mentir Lineker, les Anglais ont battu l’Allemagne après un parcours en demi-teinte dans les poules qualificatives, et un nul contre l’ennemi écossais. Il est vrai qu’ils avaient été battus il y a cinq ans par l’Islande et le Pays de Galles. A work in progress.

Enfin l’Ukraine, qu’on attendait pas à ce niveau, pas plus que la République Tchèque, la Suisse ou le Danemark d’ailleurs. La Suisse tombeuse des Français avec de bons joueurs évoluant dans les championnats les plus prestigieux, tels Shaqiri à Liverpool ou Xhaka à Arsenal. Parmi tous ces seconds couteaux, on ficherait volontiers un billet sur le Danemark, qui avait très mal commencé par une défaite contre la Finlande et la frayeur causée par le malaise vagal (euphémisme) de Erikssen. Rappelons qu’en 1992, les Danois s’étaient vus repêchés au détriment d’une Yougoslavie en voie d’éclatement et ils avaient décroché la timbale grâce à un Michael Laudrup en état de grâce.

Voilà, on va terminer là cette revue d’effectif en espérant que le variant Delta ne sera pas trop virulent pour les joueurs et pour leurs supporters. On regrettera quand même que certains matchs ne soient pas visibles faute d’avoir BeIN, comme les matchs de Champions League sont devenus interdits à qui n’a pas RMC Sports. On a déjà eu l’occasion de parler de tout cela dans nos articles sur les droits TV. D’autant plus qu’on atteint cette année le summum avec Amazon, la funeste multinationale de Jeff Bezos, qui rafle le marché au nez et à la barbe des BeIN et Canal +, laquelle a payé plus cher qu’Amazon pour diffuser ses deux matchs du week-end et menace de ne pas honorer ce qui ressemble à un marché de dupe. La Ligue a fait le choix surprenant d’Amazon, sûrement pour le paiement en cash et d’autres projets non encore connus mais sur lesquels on reviendra en temps utile.

S’il n’y avait pas cet élan populaire qui a parfois favorisé les révolutions, notamment dans les pays arabes, il y a longtemps que le football aurait fini de nous passionner, malgré toute la ferveur qu’on peut encore avoir en réserve pour ce sport qui est tellement plus qu’un sport : un fait social total, comme disent les sociologues. Marre de ce football tout fric et tout spectacle où des équipes de riches se vendent à des télévisions de niche pour priver de spectacles les catégories les plus modestes, sans vergogne et avec cette arrogance et ce mépris des kékés opportunistes (Labrune) ou des pseudo-sages dépassés (Le Graët). Du beau monde assurément, mais qui ne fera jamais oublier les figures pour lesquelles on aime encore le foot : les Yachine, Socrates, Piantoni, Garrincha, Best, Cruyff, Di Stefano, Eusebio, Kopa, Maradona ou Lineker. Pour ne citer qu’eux. Ils sont 11, vous pouvez recompter, mais plus d’attaquants que d’autre chose. Est-ce étonnant ?

Dernière minute : pas trop de surprises, pour une fois, en quarts de finale. On aura Italie – Espagne et Angleterre – Danemark en demi. On prévoit une finale inédite Italie – Danemark et même une victoire des Danois qui nous referont le coup de 1992. Vi kings of the year ! Au fait, ils ont le même maillot que le Stade de Reims (et Arsenal). Ça doit aider.

30 juin 2021

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