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NOTES DE LECTURE (15)

STANILAS LEM – SOLARIS – Présence du futur / Denoël

Un peu de science-fiction, une fois n’est pas coutume. Avec Stanilas Lem, un Polonais à la fois écrivain, médecin, biologiste, cybernéticien, philosophe et cybernéticien. Ce qui s’appelle un homme complet et dépasse largement la définition de « l’honnête homme » du XVIII° siècle.

On connaît, ou plutôt on croit connaître, le roman grâce à deux adaptations cinématographiques : le superbe Solaris d’Andréi Tarkovski en 1972 et, plus près de nous, le pas si terrible Solaris de Steven Soderbergh, un petit malin d’Hollywood, avec l’impayable George Clooney, en 2002. Presque 20 ans quand même…

Solaris ou la planète qui rend fou. Une planète qui tourne autour de deux soleils, un rouge et un bleu, recouverte d’un immense océan protoplasmique dont la nature intrigue les chercheurs. Un super cerveau ? Une entité malveillante ? Le néant à l’état liquide ? Le roman se limite à quatre personnages : Kelvin, le héros, qui revoit sur la planète Solaris une femme – Harey – qu’il a aimée et qui s’est suicidée par sa faute, croit-il. Il y a aussi le physicien Sartorius au comportement inquiétant, et le cybernéticien Snaut, qui pilote les opérations de recherche sur la planète sauvage.

L’océan aurait la capacité de capter les pensées et les rêves des chercheurs et de recréer des formes d’êtres qu’ils ont chéri. Il joue ainsi de leur culpabilité, de leurs émotions et de leurs rêveries en les faisant douter de la réalité. Ainsi de la femme qui revit dans l’esprit du narrateur, Kelvin.

Il est question aussi d’un certain Gabarian, mort alors qu’il tentait de percer le mystère, mais il reviendra vivant dans l’esprit des protagonistes, recrée par l’océan ? Ou pas vraiment mort ?

Lem consacre aussi de longs chapitres à toutes les études qui ont été menées sur Solaris, avec les récits validés, les textes apocryphes, ceux mis à l’index… Il semble établir un parallèle avec les saintes écritures, les prophètes, les évangélistes et les pères de l’église.

Tout cela est passionnant, même si on peut peiner sur les longues digressions scientifiques des différentes écoles, mais le propos est autant philosophique que métaphysique et traite aussi bien de la nature, du cosmos, de la métaphysique et de la place de l’homme dans l’univers.

C’est de la « speculative » fiction comme on savait la faire dans les années 1960 – 1970 (l’édition originale est de 1961), qui délaisse les robots et les vaisseaux spatiaux pour les sciences humaines vues à travers le prisme du futur. Ça se lit presque d’une traite et on a l’impression de se sentir plus intelligent une fois le livre fermé. L’impression seulement, faut pas rêver. Encore que ce bouquin superbe nous y invite.

JOSEPH KESSEL – LE LION – Folio Gallimard

On connaît trop la figure héroïque de Joseph « Jef » Kessel, aventurier, aviateur, grand reporter, écrivain et académicien. Sanctifié héros de son vivant, pour le dire autrement. Le bonhomme a les traits boucanés de l’aventurier et l’auréole d’un héro de roman.

On n’oublie pas non plus que Kessel a fait partie des mousquetaires (ils étaient 4 en fait, comme les vrais) correspondants de guerre du France Soir de Pierre Lazareff, avec Henri de Turenne, Lucien Bodart ou Jean Lartéguy. C’était, il est vrai, dans les années 50 et Kessel a bourlingué (comme disait son ami Cendrars), en Israël au moment de la création de l’État, en Afghanistan, en Birmanie et, bien sûr, en Afrique orientale.

Le genre chasse en Afrique constitue un pan de la littérature à lui tout seul. Avant Kessel, des auteurs, et non des moindres, y ont sacrifié. Citons pour mémoire Hemingway ou Conrad. D’illustres devanciers, encore qu’on préfère de beaucoup le second au premier.

Soit l’Afrique, le Kenya, le Kilimandjaro. Un baroudeur propriétaire d’une réserve de chasse – Bullitt – sa femme qui a le mal du pays, leurs serviteurs rompus à la savane et aux bêtes sauvages, et la petite Patricia, leur fille, qui sera le personnage principal avec le narrateur, lequel se confond avec l’auteur.

Patricia qui entretient des rapports presque charnels avec un lion nommé King, qu’elle a recueilli tout petit. Ses parents veulent lui faire quitter la brousse et la placer dans un pensionnat à Nairobi, mais elle préfère sa liberté aux milieu des bêtes et des guerriers Massaï.

Le narrateur est fasciné par cette fillette qui transcende les règnes animaux et humains pour communier avec la création toute entière. C’est souvent émouvant, même si le style a un peu vieilli. Et ça pose surtout la question de nos rapports avec les animaux, les bêtes, nos inférieurs.

Le romancier de Belle de jour, de La passante du sans souci ou de L’armée des ombres (et d’une cinquantaine d’autres romans), a du métier, du style et déploie son talent au long de ces 250 pages denses pour un roman bien construit dont on se surprend à tourner les pages aussi vite.

C’est professionnel, talentueux, sans surprises. Sans génie non plus, mais bon. On peut préférer les ambiguïtés, les raffinements et la complexité de Belle de jour, par exemple, mais Kessel fait partie de ces hommes à la stature légendaire dont la vie est encore plus importante que l’œuvre.

WILLIAM BOYLE – LE TÉMOIN SOLITAIRE – Gallmesteir

C’est la nouvelle étoile montante du polar américain, annoncé à son de trompe par les Guérif, Raynal et compagnie, tous les directeurs de collection français.

Un engouement qui n’est pas sans raison. William Boyle vient de Brooklyn où il a été gérant d’un magasin de disques. Il vit maintenant à Oxford (Mississippi). C’est à peu près tout ce qu’on sait de lui et il faudra lire ses romans pour le connaître mieux.

Pas qu’ils soient autobiographiques, non, mais ils en disent long sur Brooklyn, quelque part entre Gravesend et Bensonhurst ; un Brooklyn qu’il nous fait découvrir et on marche avec lui dans cette partie de New York où tous ses personnages ont des noms à consonance italienne.

À commencer par Amy Falconetti (comme l’actrice ayant incarné Jeanne d’Arc dans le film de Dreyer, est-ce un hasard ?). Une ancienne party girl, lesbienne, qui est entrée en religion en s’occupant de petites vieilles délaissées au nom de la paroisse de Ste Mary.

Elle suit le fils de l’une de ses pensionnaires, Vincent, qui essaie de la remplacer auprès de sa mère. Son comportement est suspect et elle s’amuse à le filer, plus par désœuvrement que par curiosité. C’est là qu’elle assiste à son assassinat. Elle est persuadée que le meurtrier ne l’a pas vue et va même jusqu’à emporter l’arme du crime, un couteau qu’elle cache dans son réfrigérateur.

Elle se trompe. S’ensuit une « béchamel infernale », comme aurait dit Audiard, à base de vol de bijoux, de haine père / fils et d’adultère. D’autant que, pour embrouiller le tout, le père d’Amy, qui l’a abandonnée toute jeune, refait surface et qu’il sera mêlé à l’histoire.

Mais plus que l’histoire, c’est encore le style et l’étude des personnages qui sont à retenir. Notamment le portrait de la petite Amy, jeune femme en quête de rédemption qui finira par se décider à vivre sa vie avec l’argent en poche, sans vergogne, après avoir jeté à la mer les cendres de son défunt père.

Un roman qui vous happe, où l’auteur fait preuve de plein de bonté pour ses personnages et vous entraîne avec lui dans un Brooklyn de légende où circule, impassible et brinquebalant, le métro aérien. Brooklyn avec ses italiens qui ont fui la misère, ses irlandais qui ont fui la faim ou ses juifs d’Europe centrale qui ont fui les pogroms. On aurait envie d’y aller et de voir sur place les endroits décrits. C’est aussi cela que les grands romans incitent à faire. « Brooklyn by the sea », comme chantait Mort Schuman. On pense à lui comme on pense aussi au regretté Hubert Selby Jr.

D’autres héros de Brooklyn en attente de résurrection.

VISION ET PRIÈRE (ET AUTRES POÈMES) – DYLAN THOMAS – Poésie Gallimard

Le poète en costume et gilet dans la verte nature galloise (on suppose)

Un peu de poésie pour changer. Et quelle ! L’Écosse a Robert Burns, l’Irlande a William Butler Yeats et le Pays de Galles a Dylan Thomas, le barde des terrils et des vertes prairies.

Encore que sa poésie ne soit pas vraiment tellurique ou panthéiste, comme celle des deux autres. Non, Dylan Thomas est un barde obscur au langage poétique étincelant, mais il faut souvent relire au moins trois fois ses poèmes pour y trouver quelque sens. Il a l’hermétisme d’un Mallarmé – participant de cette mystique de la poésie – en même temps que la phrase directement issue de l’inconscient, semblable en cela à Tristan Tzara ou à certains surréalistes, Crevel en tête.

Plusieurs poèmes de ces recueils parlent métaphoriquement de son frère jumeau mort-né, et c’est ce qui semble avoir déclenché en lui ces vertiges existentiels qui donnent ces fulgurances poétiques nous laissant souvent pantois, avec l’analogie entre le ventre qui porte l’enfant et la tombe.

Dylan (Bob) a pris son pseudonyme du poète gallois, et ce n’est pas un hasard quand on se penche sur sa prosodie et ses thèmes récurrents dont la religion et le mysticisme, même si lui n’a pas la tête politique et encore moins sociale.

Dylan Thomas est mort à New York où il donnait souvent des lectures, complètement alcoolique, à 39 ans. Son Portrait de l’artiste en jeune chien (titre inspiré par Joyce) nous avait déjà marqué. Ses poèmes sont d’une beauté troublante qui tient de la magie verbale, faisant naître des images venues du fin fond de l’imaginaire, des profondeurs de l’âme. Un poète voyant, chaînon manquant entre Rimbaud et les poètes de la Beat Generation. Un génie du verbe aux celtitudes inébranlables dont seul l’alcool pouvait avoir raison.

27 septembre 2021

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