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WILLIAM BOYLE : LE BARON DE BROOKLYN

William Boyle, chantre de Brooklyn en visite à Paris.

À ne pas confondre avec William Boyd, ami de David Bowie auteur du fameux Comme neige au soleil, William Boyle est la dernière révélation du polar américain. Des personnages insignifiants dont la destinée se trouve bouleversée par des événements improbables dans un Brooklyn omniprésent, cadre et âme de ses livres passionnants où l’aventure s’invite dans les fêlures des vies les plus ordinaires. Boyle, avec seulement 5 romans, vient se hisser au niveau des Don Winslow, des James Lee Burke et des James Ellroy. Dans un genre très différent.

On avait parlé la fois dernière, dans les Notes de lecture, de Le témoin solitaire (2018), l’histoire d’une jeune femme témoin d’un meurtre et qui, menacée par l’assassin, va réussir à lui échapper et aller jusqu’au bout de ses rêves, loin d’une réalité couleur muraille et d’un avenir bouché.

On avait déjà souligné à quel point Brooklyn était important dans son œuvre, et on parcourt, dans ses trois premiers romans (Gravesend, Tout est brisé et Le témoin solitaire), les rues de Brooklyn en s’arrêtant sur chaque commerce, chaque école, chaque église, comme en pèlerinage avec des gens aimantés par ce bout de New York adossé à l’Atlantique. « Brooklyn by the sea… », chantait jadis Mort Schuman.

On pourrait parler de cette façon de Tourcoing ou de Montauban, sauf que l’auteur qui le ferait serait d’emblée suspecté de propensions localistes saugrenues alors qu’ici, on touche à l’universel et ces lieux nous deviennent familiers, comme si nous aussi y étions nés. C’est la force des grands auteurs de faire de leur environnement le centre du monde.

Ainsi, Chandler et Ellroy pour Los Angeles, la cité du mal, Chester Himes pour Harlem, Jerome Charyn pour Manhattan, James Lee Burke pour la Nouvelle-Orléans ou Jim Thompson pour le Texas. Côté britannique, le Leeds et le Yorkshire de David Peace ou le Édimbourg de Ian Ratkin. Sans parler de Paris et de sa banlieue pour moult auteurs français, de Léo Malet à Thierry Jonquet. Dans la littérature policière en particulier, il est important de se situer et de parler de quelque part. Il en est de même pour des genres musicaux populaires comme le Blues ou la Country’n’western.

Gravesend, c’est ce sous-quartier de Brooklyn dont est natif William Boyle, au sud de Brooklyn, autant dire au sud de nulle part. Le roman introduit une dizaine de personnages autour d’une seule intrigue, des personnages qu’on pourra retrouver dans les deux autres livres de ce qui ressemble fort à une trilogie. Ainsi Alessandra Biagini et Amy Falconetti, qu’on retrouve dans Le témoin solitaire, deux femmes devenues amantes, la première rêvant d’une carrière d’actrice à Hollywood, quand l’autre sert dans un bar et ne nourrit plus d’illusions sur ce que sera sa vie, avant une rédemption inespérée.

L’histoire est relativement simple : Conway, l’un de ces anonymes de Brooklyn, a perdu son frère Duncan, mort accidentellement par la faute d’un petit truand, Ray Boy Calabrese, qui le traquait en voiture simplement parce que homosexuel. Accident mortel. Employé dans une pharmacie et vivant toujours à 30 ans chez son père malade, Conway n’a qu’un but dans la vie, liquider Calabrese dès sa sortie de prison. Sauf que les choses, bien sûr, ne se passent pas comme on peut s’y attendre, ce serait trop simple et il n’y aurait pas de roman ou, en tout cas, pas d’aussi subtil.

Calabrese se révèle hanté par le meurtre qu’il a commis et il cherche la rédemption auprès de celui qui a promis de le tuer, Conway, dont la volonté de se faire justice s’en trouvé ébranlée. Conway amoureux de la belle Alessandra et qui, à travers son désir de vengeance, découvre le vide de son existence et les désirs enfouis dans l’alcool.

Tous les personnages du roman sont attachants, d’Alessandra, de retour dans son quartier après ses échecs à Hollywood, de sa copine d’enfance Stephanie, qui vit dans son ombre et se trouve laide, sans aucun attrait et sous la coupe d’une mère à demi-folle. Il y a aussi Mc Kenna, l’ami de Conway, à son service et prêt à tout pour qu’aboutisse sa vengeance, plus deux petites frappes dont le rôle sera décisif dans le déroulement d’une intrigue que l’on va se garder de gâcher : Eugene, le neveu de Ray Boy, un gamin handicapé physique qui fait les 400 coups et son copain Sweat, un gosse obèse qui lui sert de chauffeur pour tous ses petits méfaits pas toujours innocents.

Des personnages vrais qui ont la simplicité des gens ordinaires, avec leurs petits boulots merdiques, le souvenir de leurs amours, leurs parents souvent à charge qui ne les ont jamais compris, des difficultés matérielles et, surtout, la nostalgie de leur jeunesse qui s’éloigne à mesure que le temps passe.

Pas de héros ni de salauds chez Boyle, mais de simples individus ballottés par la vie, sans prise sur leur destin, arrivés au bout de leurs illusions et condamnés à vivre leur solde d’existence dans la résignation et la tristesse. Dans la rue sans joie.

Il faut une situation romanesque issue de l’imagination de l’auteur pour que leurs vies soudain s’animent, pour le meilleur ou pour le pire, pour qu’enfin la vie leur confère un rôle, si insignifiant soit-il, et qu’ils se décident à arrêter de faire de la figuration. C’est ainsi que procédait un David Goodis avec ses personnages.

C’est exactement ce qui arrive aux anti-héros de Boyle, et c’est souvent par un petit truand à la solde de la mafia ou des gangs que la métamorphose opère, car Brooklyn est aussi une place forte de la mafia et des trafiquants en tous genres. Des truands qui ont parfois tutoyé la gloire et qui font retomber sur leur quartier perdu les derniers feux d’une renommée acquise à coups de revolver.

Ce qui ne trompe pas avec les romans de William Boyle, c’est la vitesse avec laquelle on tourne ces pages sans forcément s’attarder sur des prouesses de style, mais avec des dialogues au cordeau, des situations fortes décrites sans fioritures et la constante impression d’être dans la tête de tous ces personnages qui finalement nous ressemblent dans leur médiocrité attendrissante. Plus évidemment Brooklyn, le théâtre où tous les acteurs du roman viennent jouer leur partie.

William Boyle a 43 ans, et il a finalement quitté Brooklyn pour s’installer à Oxford (Mississippi), cette fameuse « Oxford Town » que chantait Bob Dylan (et Hugues Aufray après lui). « Baisse la tête quand la cloche sonne… ».

Il a été longtemps disquaire à New York, on l’a dit, et les références au rock abondent dans ses pages et, dans une interview à Libération, il dit sa passion pour les Cramps, les Replacements, Sonic Youth ou les Ramones, les faux-frères Ramones originaires, eux aussi, de Brooklyn (du Queens en fait) et qui, vers 1976, auront réveillé le rock américain avec leurs morceaux imparables de 2 minutes 30 (maximum). En cela, il est un peu l’équivalent amerloque des britanniques Ian Rankin ou Peter May. Les médias français lui ont rendu hommage, notamment France Culture dans Sombres rivages, Antoine De Caunes sur France Inter et Laurent Busnel dans sa Grande librairie sur France 5. Pour une fois qu’ils ne prennent pas le train en marche, on ne va pas s’en plaindre…

Mais ce sont ses références, ses parrains littéraires qui nous intéressent plus : Flannery O’Connor, John Kennedy Toole ou encore Hubert Selby Junior, le damné de Brooklyn (lui aussi), infatigable lutteur contre le mal et la folie et lui aussi toujours en quête d’une improbable rédemption. C’est peut-être l’effet qu’a sur les gens le ciel nuageux de Brooklyn.

Et on a hâte de lire ses tous récents romans sortis en 2020, soit, dans l’ordre, L’amitié est un cadeau à se faire (rien que ce titre!) et, non encore traduit, City of margins, sans parler d’un recueil de nouvelles intitulé Death don’t have no mercy (2015), titre en référence au blues du Révérend « Blind » Gary Davis, popularisé par le Grateful Dead avec le superbe solo d’orgue du regretté Ron « Pig Pen » Mc Kernan.

Avec Boyle, on s’éloigne des bons faiseurs, à la John Grisham ou Michael Connelly ou des princes noirs du sordide à la James Ellroy. Non, on est dans le peloton de tête du polar américain, tout près des Don Winslow ou des James Lee Burke, des Lehane ou des Pelecanos. On est chez les grands, les très grands.

Bref, on n’en a pas terminé avec William Boyle, et c’est une raison de plus pour se lever le matin, sachant qu’il a encore devant lui de longues années pour nous écrire, depuis son Mississippi d’adoption, des histoires passionnantes nées dans son Brooklyn natal avec ses héros solitaires se débattant dans la jungle des villes.

De New York, à travers les romans et les films, on connaissait plutôt Manhattan, le Bronx ou Harlem. Boyle, après Selby, inscrit Brooklyn sur la carte de l’imaginaire collectif. Et il le fait avec toute son humanité empathique et tout son talent de chroniqueur des bas-fonds. Loué soit-il !

Tous les livres traduits de William Boyle ont paru chez Rivages noirs et chez Gallmeister.

10 octobre 2021

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